Les titres de presse rafraîchissent leur page sur le digital (refonte de sites et applications, création de nouveaux produits éditoriaux…) et se lancent sur tous les canaux, notamment WhatsApp. Revue des nouveautés.

Si c’était une compétition sportive, les développements digitaux de la presse seraient un marathon. Pour tenir la distance, les éditeurs maîtrisent la fréquence de leurs investissements. « Les activités numériques demandent une grande capacité d’adaptation, ne serait-ce que pour suivre la réglementation de la Cnil ou encore les évolutions des plateformes, expose Bertrand Gié, directeur du pôle news du Figaro. Il faut travailler en permanence tous les axes : la production de contenus, l’intégration de nouveaux outils et l’adoption de nouveaux canaux de distribution. » Le responsable évoque le développement récent, en interne, d’un outil permettant au Figaro de maîtriser ses offres sur les abonnements numériques. Le service marketing peut ainsi concevoir des offres en temps réel, alors qu’il avait jusqu’ici recours à une solution extérieure. « On investit également sur la connaissance client », fait savoir Bertrand Gié.

De nombreux chantiers

Dans la presse, les ponts entre le print et le digital sont de plus en plus facilités et perfectionnés, en particulier via les CMS (les systèmes de gestion d’articles utilisés par les journalistes, soit l’arrière-boutique des sites internet). Au sein de L’Humanité, Frédéric Gargaud, directeur du digital, expose : « On a complètement transformé notre chaîne de production en 2023, qui était auparavant rythmée par le quotidien. On est passé d’un CMS orienté print (le web découlait de l’export des articles) à une plateforme gérée sur Wordpress. » Ce nouveau CMS a permis au journal indépendant d’ouvrir un service web : les journalistes arrivent à la rédaction tôt le matin pour concevoir la newsletter « L’Humatinale ». « En septembre, on a lancé un nouveau site et une nouvelle application, on a développé plus de formats nativement digitaux comme les directs écrits », poursuit-il.

Le quotidien gratuit 20 Minutes a également revu son écosystème avec la mise en ligne début mars d’un nouveau site et d’une nouvelle app développés en interne. « L’expérience utilisateur a été au cœur de notre réflexion avec une proposition plus aérée, une publicité plus digeste. On va continuer d’améliorer le site en fonction des retours des utilisateurs », expose Fanny Annoot-Oualia, directrice de la rédaction, qui précise « on se soucie de l’écoresponsabilité dans tous nos développements ». Le journal souhaite renforcer ses verticales servicielles « Vie pro » autour de l’emploi et « Tempo » sur le bien-être et l’art de vivre. Cet été, 20 Minutes prévoit de capitaliser sur la force de ses live pour couvrir les Jeux olympiques et paralympiques. « On applique la logique de l’usage du second écran [le commentaire en direct d’émissions télévisées sur X, par exemple] à notre site internet pour les événements sportifs », explique la journaliste.

L’Obs a également dévoilé en mars l’aboutissement de son chantier sur le web qui l’a mené à une nouvelle formule et à un changement de nom : «Le Nouvel Obs». « La réflexion sur la refonte de notre site nous a conduits à changer notre identité graphique avec une affirmation magazine plus prononcée qu’avant. On a travaillé l’UX et le design de nos pages articles, notamment sur mobile », relate Cécile Prieur, directrice de la rédaction. Une transformation totalement réalisée en interne et salutaire pour le newsmag. Depuis la mise en ligne du nouveau site, « on a doublé les abonnements digitaux », se félicite Cécile Prieur. La stratégie marketing accompagne ce lancement avec « des pop-ins qui visent à créer une relation plus affinitaire avec la marque », souligne-t-elle. Une application mobile suivra et devrait être disponible en septembre. « Les newsletters aussi vont être refondues d’un point de vue graphique et certaines vont être repensées d’un point de vue éditorial », ajoute-t-elle.

Au sein de Ouest-France, les efforts se concentrent sur la nouvelle application mobile. « Historiquement, nous avions deux applications : l’une dédiée au journal, l’autre à la vie du site internet. On a décidé de les fusionner », introduit Caroline Tortellier, rédactrice en chef déléguée chargée de la communication externe. La homepage de la nouvelle application est désormais gérée indépendamment de celle du site. « Et l’utilisateur peut personnaliser l’application en fonction de sa ville de cœur (Rennes, Nantes, Caen, ou même Paris, Lille, Toulouse, Bordeaux, Marseille…), sachant que 70 % de notre audience est réalisée en dehors de l’Ouest, complète Caroline Tortellier. Nous avons aussi souhaité rendre les jeux (mots mêlés, matoku, belote…) plus accessibles ». Autre nouveauté chez Ouest-France : son supplément numérique « L’Édition des Jeux » dédié aux JO, enrichi de vidéos, podcasts, infographies…

Le Parisien, qui peut se vanter d’avoir atteint les 100 000 abonnements numériques en mars, a réalisé une autre performance cet hiver, d’après sa directrice générale Sophie Gourmelen. « En décembre, on a touché 11,6 millions de vidéonautes. Sur YouTube, Le Parisien a 1,5 million d’abonnés et a dépassé le million sur TikTok », informe-t-elle. Cette montée en puissance de la marque sur la vidéo s’est accélérée en 2023, explique la dirigeante. Cela permet au quotidien de rajeunir sa cible car « les vidéonautes ont en moyenne 34 ans » quand les lecteurs du journal « sont plutôt âgés de 45-50 ans ». Le Parisien emploie actuellement 22 journalistes à la vidéo. La plupart des titres de presse fourbissent leurs armes sur la vidéo. C’est le cas de L’Équipe, non titulaire des droits de diffusion des JO, qui prévoit « énormément de contenus vidéo sur les à-côtés de l’événement », indique Mickaël Busson, responsable vidéo, audio, OTT live et réseaux sociaux du média sportif.

« Être lus hors les murs »

Comment évoquer les développements digitaux sans évoquer les réseaux sociaux ? « Fin 2022, on a investi fortement sur une équipe [16 personnes : des journalistes, des vidéastes et un motion designer] pour produire des contenus destinés à être lus hors les murs (vidéo, reel, story…) », appuie Bertrand Gié du Figaro. Au sein de Prisma Media, Jérôme Cariou se présente comme responsable de la stratégie social media au niveau du groupe. « À Paris, on est une dizaine à occuper ce type de poste. On fait le lien entre les régies commerciales et les rédactions, on insuffle les bonnes pratiques, on assure un même niveau d’information à tous les community managers des marques », résume-t-il. « Tout évolue assez vite. Les réseaux sociaux étaient historiquement pourvoyeur de trafic, notamment sur le mobile, mais cela a été chahuté ces dernières années car les plateformes font de la rétention de l’attention », dépeint de son côté Mickaël Busson de L’Équipe. La stratégie de la presse y est désormais celle de la notoriété. Du côté des outils, les community managers sont dotés de logiciels de programmation dopés à l’IA comme Echobox ou son concurrent Nonli, de création comme Canva et de lutte contre le harcèlement en ligne comme Bodyguard.ai.

La baisse du reach sur Facebook a incité les éditeurs à déployer leur marque sur d’autres plateformes. « On a lancé l’an dernier notre compte TikTok, alimenté avec les chroniques féministes de Violaine de Filippis ou encore le format "Momo Décrypte", et on va créer notre chaîne Twitch cet automne, à l’occasion de la prochaine Fête de l’Humanité », annonce Frédéric Gargaud à L’Humanité. Pour conquérir une cible plus jeune, les marques de presse peuvent s’appuyer sur leurs recrues formées aux nouvelles écritures ou à des créateurs de contenu, à l’instar du titre Ça m’intéresse de Prisma Media qui fait appel à Corentin Colin pour son format « Dis pourquoi ? » sur Instagram. « L’objectif est d’offrir une offre éditoriale sur les réseaux sociaux (TikTok, Snapchat…) à des personnes qui nous connaissent moins, sans être discordants avec qui l’on est », remarque pour sa part Armelle Le Goff, directrice adjointe de la rédaction du Point.

Ruée sur WhatsApp

Parmi les dernières nouveautés, on peut noter la ruée sur WhatsApp. « Nous avons ouvert notre chaîne fin 2023. Nous sommes sur une stratégie sélective avec une publication d’un à trois articles par jour comme des reportages, des grands dossiers… », présente Anne Kerloc’h, rédactrice en chef social media et vidéo du Point. L’hebdomadaire y compte une communauté de 10 000 abonnés. « Nous venons d’ouvrir une deuxième chaîne consacrée à l’Afrique », ajoute-t-elle. « Comme l’utilisateur doit faire l’action d’ouvrir lui-même la chaîne, et qu’il est limité en termes d’engagement [il peut réagir avec des emojis], il faut proposer une ligne éditoriale forte. À 20 Minutes, on a lancé en début d’année notre chaîne "Fake Off" de debunkage d’intox », présente Fanny Annoot-Oualia. « On fait des tests pour Cuisine AZ et Capital », informe de son côté Jérôme Cariou. « Aucun titre de presse se lance à corps perdu sur un réseau social sans avoir la moindre garantie d’audience et de monétisation », prévient Mickaël Busson. Au Figaro, Jean-Baptiste Semerdjian, rédacteur en chef des médias sociaux et Pierre Houlgatte, responsable du développement digital, disent tout de même envisager le réseau social BeReal. « À nous d’y définir notre grammaire journalistique », se réjouissent ces deux passionnés.