Celui qui était jusque-là à la tête de M6 Publicité a pris le 23 avril les rênes du groupe en remplacement de Nicolas de Tavernost. Stratégies l’a rencontré pour évoquer avec lui les principaux chantiers du groupe audiovisuel. Revue stratégique.

« Un gars très doué, à la fois ingénieur et commercial, qui s’est extrêmement bien adapté à la publicité alors qu’il n’y connaissait rien, un candidat interne qui ne va pas tout bousculer ». C’est ainsi que Nicolas de Tavernost décrivait son successeur fin mars devant l’Association des journalistes médias, ajoutant qu’il avait « des valeurs », étant « droit, loyal, moderne et assez RSE ». David Larramendy, qui a pris la présidence du directoire du groupe M6 le 23 avril, n’en est pas moins attendu au tournant dans un contexte de baisse de la durée d’écoute de la télévision. Saura-t-il développer le streaming pour offrir un relais de croissance au linéaire ? Maintiendra-t-il ses audiences commerciales et une rentabilité de 18 à 19 % face à la Bourse ? Renforcera-t-il la puissance du groupe pour lui permettre d’apporter une couverture large et instantanée aux annonceurs ? Donnera-t-il à son actionnaire les conditions idéales pour une revente au meilleur prix ? Ce sont avec ces questions que Stratégies a rencontré mi-avril David Larramendy au siège de M6. D’emblée, le nouveau président de 50 ans se souvient de la première réaction de son patron lorsqu’il a pris les rênes de la régie en 2014. « Ne me remerciez pas trop vite, m’a-t-il dit, vous avez intérêt à délivrer, je prends un gros risque ». Mais l’homme avait alors réussi à vendre MisterGoodDeal à Darty. Aux yeux de Nicolas de Tavernost, il devait pouvoir vendre de « beaux espaces publicitaires ». Le dirigeant a fait mieux. Mais il doit désormais présider aux destinées de l’ensemble du groupe M6. Voici ses principaux enjeux.

- Les contenus

La « patte » Larramendy ? L’homme répond d’abord par la fidélité à son mentor : le côté entrepreneur, la mentalité de challenger, la capacité d’adaptation, la défense des intérêts du groupe, la force d’un collectif… Avec peut-être une petite nuance, sans créer de bataille de chapelles, cela peut se faire « chacun dans son style », estime-t-il. Une façon pour ce Basque, père de deux filles, de dire que la centralisation autoritaire est peut-être une histoire ancienne. Dans tous les cas, le nouveau patron de M6 aura un chantier à mener autour des contenus. En matière de points forts, David Larramendy peut compter sur les programmes emblématiques de flux que sont Top Chef, La France a un incroyable talent, L’Amour est dans le pré, Les Traîtres« Ces marques fortes permettent de créer des carrefours d’audience y compris en délinéarisé », explique-t-il. Il en veut pour preuve le succès de Pékin Express, qui attirerait en moyenne 2 millions de personnes à J + 1 et 3 millions avec le streaming. « Désormais, on a une réflexion unique, on regarde la photo globale, entre le linéaire et le streaming, et on fait nos arbitrages comme cela », note le patron. L’après-midi, l’offre de documentaires Un Jour, un doc est selon lui en train de trouver sa place, tandis que Le Juste Prix « marche très bien, notamment auprès des jeunes », complète-t-il. Reste des pistes d’amélioration. « Nous ne sommes pas contents de nos audiences sur la journée du samedi », diagnostique le président du directoire, qui, avec Guillaume Charles, patron des programmes, entend se pencher sur la façon de rendre l’antenne plus attractive ce jour-là. Alors que TF1 a relancé Plus Belle la Vie en janvier, M6 promet son feuilleton quotidien pour « l’été 2025 ». Il se passera dans un hôtel du sud de la France et sera produit par SND, filiale cinéma du groupe, forte de 15 films produits ou distribués en 2023. Enfin, il faudra au nouveau dirigeant statuer sur le cas Stéphane Plaza et sur son maintien ou non à l’antenne, alors que l’animateur accusé de violences conjugales devra faire face à un procès cet été.

- Le streaming

La bataille des contenus se jouera également sur la plateforme de streaming M6 +, attendue pour mi-mai. Le groupe compte passer de 40 millions d’investissements cette année à 100 millions en 2028. Vases communicants ? « Surtout pas, répond-il, tout notre enjeu est de nous renforcer dans le digital pour développer un groupe assis à la fois sur le linéaire, qu’on va défendre coûte que coûte dans les années à venir, et sur le pilier digital qui va être un formidable relais de croissance. » Objectif : doubler les audiences en atteignant le milliard d’heures visionnées et tripler les revenus à 200 millions d’euros, ce qui permettrait de porter la part du streaming dans les revenus de 7 % à 20 %. Si l’horizon 2028 avait été d’abord envisagé, David Larramendy vise désormais 2027. Décliner les contenus en streaming, proposer des fonctionnalités inédites, soigner le catalogue, les pistes exploitées sont nombreuses.

- Les Coupes du monde de foot

Autre chantier, le sport. David Larramendy récupère les rênes du groupe quelques semaines après que M6 a frappé fort en annonçant avoir acheté - seul - les droits des Coupes du monde de football 2026 et 2030. Une première, qui s’est concrétisée au nez et à la barbe de TF1, diffuseur des précédentes éditions. Avant cela, l’Euro 2024 arrivera à l’antenne dès le 14 juin pour une partie des principaux matchs, le reste étant chez le premier rival. « Nous aimons les grands événements sportifs », appuie le patron, qui sait bien leur potentiel d’audience et d’attractivité pour les annonceurs, dans un contexte d’érosion du temps passé devant la télé et d’ultra-concurrence avec les plateformes. Mais il ne peut ignorer qu’ils sont compliqués à rentabiliser… Difficile dans ces conditions de faire cavalier seul ? « Je n’en sais rien, nous sommes partis pour, rétorque-t-il. C’est le scénario principal. Nous avons les droits pour la diffusion de deux fois 54 matchs », assure David Larramendy. « Nous avions l’habitude d’aller ensemble souvent avec nos confrères de la première chaîne sur les grandes compétitions notamment l’Euro […] Notre concurrent n’a pas souhaité poursuivre ce partage et c’est la raison pour laquelle nous avons pris nos responsabilités », confiait Nicolas de Tavernost, sur RTL le 7 mars. « La rentabilité dépendra de l’équipe de France mais la prise de risque nous paraît très raisonnable entre ce qu’on a dépensé et ce qu’on estime qu’on gagnera », prophétise le nouveau patron, prévoyant « de nouveaux coûts » comme « de nouveaux revenus dans ce monde de rareté des contacts puissants » alors que la compétition comptera un match de plus de l’Équipe de France (en 1/16e de final). Ce gain de droits constituerait-il un moyen de rebattre les cartes de la prime au leader ? M6 se voit en tout cas déjà « dans la même cour » que TF1. « M6 joue en première division, cela passe par des investissements de grille dont la Coupe du monde fait partie. »

- Les rédactions

David Larramendy se dit « très fier » de la qualité des JT de M6 et de leurs performances sur les moins de 50 ans. « Personne ne peut dire que c’est de droite ou de gauche, c’est factuel, avec l’objectif de rassembler les gens ». Pas question de regrouper sa rédaction avec celle de RTL : « Ce sont deux couleurs, deux tons et deux informations très différentes même si nous avons des mutualisations de moyens ». Nicolas de Tavernost était réputé interventionniste sur les contenus, notamment dans Capital quand les intérêts économiques du groupe étaient en jeu. Qu’en pense son successeur ? Faut-il une muraille de Chine entre rédaction et régie pub ou des intérêts bien compris de part et d’autre ? « Les deux, répond-il, il peut y avoir une muraille et effectivement les émissions purement polémiques ne sont pas pour nous. »

- La radio

Le patron veut veiller à raccourcir certaines émissions pour leur donner plus de « peps » et, en parallèle, laisser des marques de programmes et des animateurs grandir. Le 9h-10h de Julien Courbet sur RTL pourrait ainsi être décalé dans la matinée et donner lieu à une émission d’infotainment pour prolonger la matinale. « Le pôle RTL n’a pamais été aussi rentable », en raison de l’attention aux coûts et à la commercialisation, rappelle-t-il. Quant au partage d’antenne avec M6, il ne faut « surtout pas le faire à tout prix ».

- Les innovations

David Larramendy est aussi attendu sur les innovations. Avec sa spécialisation « traitement du signal », cet ingénieur de Supelec est probablement le seul patron à parler la même langue que ses équipes techniques de diffusion. Il revendique aussi une approche « rationnelle » : « Quand un problème est trop compliqué, on le subdivise en sous-problèmes simples. » Il a gardé un esprit entrepreneurial de MisterGooddeal, dont il était actionnaire, et éteint les lumières après son départ de l’entreprise. Fin mai, il connaîtra la réponse de Bruxelles à la proposition de l’Arcom qui oblige les fabricants et FAI à mettre en avant les services d’intérêt général (SIG), à savoir les chaînes de TNT gratuite, au même titre que les plateformes Prime ou Netflix dans les magasins d’applications. M6 est partisan du système anglais (Freely) qui permet de récréer l’ordre de la numérotation de la TNT. Concernant M6 +, «elle sera présente partout », à partir du 14 mai, et il reste à négocier sa visibilité auprès des constructeurs de téléviseurs.

- Le lobbying

Le patron aura aussi à poursuivre le travail de son prédécesseur en lobbying pour tenter de ramener de cinq à deux ans le délai de revente d’une chaîne après le renouvellement de son autorisation. 6Ter étant reconduite jusqu’en 2027, RTL Group ne peut, en l’état, pas céder le groupe M6 avant le 1er janvier 2032. La proposition de loi Lafon, qui sera discutée en mai à l’Assemblée, offre une opportunité pour cela. Sur Paris Première, deux dossiers devraient être déposés à l’Arcom le 15 mai, en gratuit et en payant, dans le cadre de l’appel à candidatures pour une fréquence. L’un des deux sera ensuite retiré. Aucune décision n’est prise. Mais Nicolas de Tavernost plaide pour la plus large diffusion possible.

- La diversification

« On est là pour investir, on n’a pas de dette et une très belle trésorerie, ça peut-être des chaînes ou de la diversification. On va relancer avec Henri de Fontaines [membre du directoire, directeur général de M6 Digital Distribution] une revue systématique des opportunités de diversification ». L’affichage, l’entertainement, les parc à thèmes, voire la radio font partie de ses cibles. Il compte sur le fait que RTL Group cherchera à vendre un groupe en pleine forme. « J’ai une feuille de route d’investissements pour maintenir M6 en première division ».

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