TRIBUNE

Comme Enzo Ferrari dans le dernier film de Michael Mann, la représentation des entrepreneurs au cinéma est souvent le reflet de la société qu’ils décrivent, même s'il existe des différences selon les pays.

Le dernier film de Michael Mann sur la vie d’Enzo Ferrari rappelle une fois encore que la figure de l’entrepreneur est un filon inépuisable pour attirer les amateurs de grand écran dans les salles. Dans le costume du héros, un homme seul, parti de rien, qui prend son destin en main pour s’élever en affrontant les embûches jusqu’à la réussite.

Sur le plan juridique, l’entreprise est elle-même une fiction. Pour autant, les entrepreneurs sont bien réels et les producteurs n’ont de cesse d’exploiter ces destins peu communs pour vendre du pop-corn. Steve Jobs (Jobs), Walt Disney (Walt avant Mickey) ou Thomas Edison (The Current War) ont déjà eu droit à leur biopic, faisant recette de la part d’extraordinaires derrière des hommes que rien ne prédestinait à ces destins prométhéens.

Pour la gloire, la liberté ou pour l’argent

Le plus souvent, les fresques entrepreneuriales s’attachent à raconter les origines d’individus mus par un besoin de reconnaissance sociale (Tetris, ou comment un Américain a acquis un jeu soviétique), le désir de liberté (Itinéraire d’un enfant gâté avec son héros solitaire) ou plus prosaïquement l’attrait de l’argent (Le loup de Wall Street et son trader fou, Jordan Belfort).

Les mêmes ressorts sont d’ailleurs à l’œuvre dans les films sur la mafia, preuve que le business n’est pas toujours une affaire de probité. Le Parrain est à ce titre une pure saga entrepreneuriale, en particulier la partie 2. Alors le cynisme serait-il un ingrédient essentiel au succès ? C’est en tout cas ce que laisse à penser la grande majorité des productions hollywoodiennes. Et quand, comme dans Tucker, un manager tente simplement de concrétiser son rêve d’enfant en construisant la voiture du futur, l’histoire finît rarement en happy end.

S’il faut parfois du génie pour entreprendre, le travail, la résilience et les sacrifices n’en sont pas moins indispensables. Les films sont là pour nous rappeler que l’isolement, la trahison, voire la folie ne sont jamais loin, et le cinéma n’a de cesse d’interroger le prix du succès de ces héros atypiques.

David Fincher l’a bien montré dans The Social Network, en faisant de Mark Zuckerberg un personnage aussi fascinant qu’exécrable.  Quoique rarement exprimée, la sentence morale n’est donc jamais loin. Dans Un fauteuil pour deux, satyre de Wall Street, la question est par exemple de savoir si la réussite tient de l’innée ou de l’acquis. Le dernier plan de Citizen Kane s’applique à rappeler qu’en dépit du succès, le bonheur est ailleurs. Quant à Glengarry Glen Ross, la guerre entre vendeurs qui s’y joue montre combien l’univers du business est impitoyable quand le mensonge est roi. Chaque fois, le destin de l’entrepreneur est une morale posée sur le monde. 

Le rêve américain en filigrane

L’archétype du film d’entrepreneur est peut-être Le Fondateur, sur la création de McDonald’s. Mickael Keaton y incarne un Américain moyen prêt à tout pour industrialiser le concept de fast-food créé par deux frères et les écartant de sa réussite. Il n’est pas interdit d’y voir une mise en abime du rêve américain, construit sur les cendres des populations autochtones.

On ne s’étonnera d’ailleurs pas de voir une surabondance de films américains s’intéresser au sujet de la réussite entrepreneuriale tant le schéma narratif est imprégné du mythe d’une nation construite sur une terre à défricher. Explorateurs, pionniers, chercheurs d’or et cow-boys ont peu à peu laissé place à la figure de l’entrepreneur audacieux.

La bascule entre ces deux périodes est même narrée dans There will be blood quand un chercheur d’or fait fortune dans le pétrole. Mais si le personnage du self-made man s’accorde parfaitement avec la mythologie outre-Atlantique, ce dernier résonne moins bien ailleurs.

Les entrepreneurs français, un vivier cinématographique inexploité

En France, les films vantant l’entrepreneuriat sont rares. Toujours aucun film sur Xavier Niel, et il aura fallu célébrer le centenaire de sa mort pour voir Gustave Eiffel porté sur grand écran. Épiphénomène, les deux films sur Yves Saint-Laurent ne compensent pas l’absence de long-métrages sur les premiers constructeurs automobiles français ou sur les frères Lumière, dont l’œuvre n’est sûrement pas la moins cinématographique. La vie d’Alice Guy aussi mériterait d’être portée à l’écran si le monde connaissait mieux l’histoire de cette réalisatrice française partie monter l’un des plus grands studios de cinéma aux États-Unis au début du XXe siècle.

Chez nous, la représentation de l’entrepreneur au cinéma s’attachera plutôt à relater les difficultés économiques ou le chômage (Ma petite entreprise, Petit paysan, Que les gros salaires lèvent le doigt). Face à l’adversité, le chef d’entreprise y est le plus souvent névrosé ou arrogant, ce qui en fait aussi un excellent personnage de comédies à succès (La Vérité si je mens, La Zizanie, Coco).

Dans la représentation cinématographique du chemin vers la réussite, l’entrepreneur doit enfin s’imposer dans un environnement difficile, voire belliqueux. Le monde économique devient l’arène du combat de David contre Goliath, à l’image du héros du film australien Coca-Cola kid. Et pour souligner l’engagement d’un homme face au système, la sur-représentation d’une virilité solitaire fait le plus souvent l’ellipse sur la réalité de la création : une aventure collective qui gagne à capitaliser sur la diversité de celles et ceux qui la font.

A ce titre, les femmes sont trop longtemps restées en retrait de la vie économique. Le cinéma les réhabilite timidement. En héroïne comme dans Coco avant Chanel ou en anti-héros comme dans Le grand jeu. Un signe positif ? Dans Joy (avec Jennifer Lawrence) comme dans Elle (avec Isabelle Huppert), la femme est enfin l’égal de l’homme, dans sa réussite comme dans ses excès. Finalement, les films sont à l’image de la société qu’ils décrivent. 

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