Chronique

C’est plutôt rare. Mais ce matin, pour m’acquitter de ma chronique Stratégies – exercice que j’apprécie pourtant chaque mois –, l’inspiration ne vient pas. D’habitude, quelques jours avant la date butoir, un ou deux sujets s’imposent, parce qu’ils m’ont marqué dans l’actualité ou chez mes clients. Une idée, un rebond, un plaidoyer, un coup de cœur ou un brin de colère et la plume coule pour atteindre sans trop de difficultés ses 4000 signes. Ce matin non. 

Il y a un mois – oui, en général quand je rends une chronique, j’anticipe la suivante –, j’avais prévu de revenir sur les « blabla caisses » lancés par un grand distributeur. Un sujet un peu léger mais un vrai « signal faible » comme nous les aimons, un « objet » emblématique d’une tendance, en l’occurrence la recherche de convivialité, le besoin de prendre son temps et la nécessité de retrouver un dialogue vrai. Je vous aurai rappelé que dans notre dernier Baromètre des Territoires, 67% des Français pensent qu’on ne peut plus discuter sereinement entre nous. Le besoin de se retrouver, de réapprendre à vivre ensemble, de lutter contre la déshumanisation de nos sociétés, voilà une lecture qui dans le cœur de l’hiver vous aurait mis du baume au cœur. C’était il y a un mois… 

Il y a quinze jours, j’avais également envisagé d’écrire sur le recul d’Omicron, et sur la sortie progressive des contraintes liées au covid. Cela aurait fait une petite chronique optimiste, qui serait d’abord revenue sur les deux sombres années passées et leur cortège d’inquiétudes personnelles et collectives. Et puis sans trop de facilité, je vous aurai parlé de nos moments retrouvés, de ces masques remisés mais stockés (on ne sait jamais), de ces terrasses désirées, de ces projets de vacances idéalisés, et même pourquoi pas du dynamisme de la croissance économique et de la perspective du plein emploi. C’était il y a quinze jours… 

Il y a douze jours, je pensais encore vous parler d’élection présidentielle, de cette campagne qui tardait à démarrer, de l’angoisse des sondeurs, de l’incertitude des sondés. J’avais pensé aussi à la nécessité du récit, cette nouvelle icône de la communication. Ce récit qui embarque, qui transcende, qui impacte. Et des difficultés des candidats sans récit. Je vous aurai aussi parlé de tous ces thèmes qui sont des priorités et que l’on évoque peu. De toutes ces propositions très créatives faites par les entreprises ou les acteurs professionnels et qui avaient du mal à susciter le débat, tant le jeu politique semblait avoir pris le dessus. C’était il y a douze jours… 

Tout s’est arrêté

Comme dit la chanson, c’était il y a un an, il y a un siècle, il y a une éternité. Depuis, tout s’est arrêté, figé dans une angoisse immense et profonde que nous n’avions jamais connue jusqu’à alors. La guerre a surgi dans notre quotidien. La guerre, les bombes, les chars, les combats dans les rues, les enfants arrachés à leurs parents, les familles séparées. Sans parler de la menace nucléaire. Qu’elle est loin, dans ce contexte, la joie de la sortie du covid ! Qu’il semble subitement si supportable, le confinement ! Quel sens donner à un signal faible alors que les signaux forts sont annonciateurs de menaces ? Quelle force donner à la campagne électorale, moment démocratique essentiel, quand l’essentiel justement apparait si fragile ? 

Sur quoi écrire aujourd’hui, alors que notre monde semble sur un équilibre instable ? De quoi vous parler quand on n’est pas chroniqueur militaire, et qui ne vous semblerait ni décalé, ni futile ? Depuis douze jours avec l’Ukraine, l’actualité est redevenue tragique. Notre génération et celles qui nous suivent l’avaient oublié. Que dire qui n’ait pas déjà été dit ? Notre peur, nos fragilités, notre impuissance. 

Passer son tour ce mois-ci et se dire simplement que ça ira mieux le mois prochain. Que l’inspiration sera revenue. Que les sujets seront foisonnants. Que les nouvelles seront bonnes. Que le cauchemar sera éloigné. Et se remettre sans rechigner à cette chronique qu’on aura retrouvé plaisir à écrire.

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