Au siècle dernier, le terme «engager» revêtait une forme d’entièreté, induisait une notion de binarité. S’engager, c’était aller au bout de ses idées, au bout de sa passion. Cela signifiait l’engagement patriotique en s’enrôlant, l’engagement passionnel en se mariant. D’ailleurs une des traductions anglaises de ce terme polysémique renvoie directement au mariage (to engage).

En une quinzaine d’années, les nouvelles technologies ont permis d’atomiser les formes d’engagement. « Atomiser » au sens propre du terme, sans connotation péjorative. Précisément en leur faisant perdre leur unité en les divisant en une multitude d'éléments.



Prenons l’exemple de la politique. Les formes de l’engagement politique se limitaient à se présenter comme candidat à une élection, être militant d’un parti, aller voter pour son candidat ou s’adonner au prosélytisme idéologique aux dîners familiaux. Il y a aujourd’hui mille et une façons de s’engager politiquement : le like d’une page d’un candidat, le micro-don, le feedback pour la construction d’un programme, le partage d’un contenu décrédibilisant le candidat adverse, le community management pro bono pour un candidat, etc. La politique est un exemple parmi d’autres. Cela s’applique à quasiment tous les domaines de notre vie, de la relation amoureuse à notre relation à l’entreprise.

Et cette atomisation de l’engagement est salvatrice car elle permet de répondre à un besoin impérieux de recherche de sens et de façon beaucoup plus graduelle qu’avant. Il y a une quinzaine d’années, « s’engager » nécessitait de franchir un mur très haut, aujourd’hui nous pouvons monter progressivement les marches. 

Pourquoi ce besoin impérieux de recherche de sens ? Car notre culture et notre mode de pensée sont fondés sur une vision platonicienne du monde dans laquelle ce dernier peut être décrit uniquement à travers sa mathématicité, en en oubliant au passage le sens. Ces théories platoniciennes ont été reprises, intégrées et développées par Galilée, Descartes, Henri Laborit pour n’en citer que quelques-uns. Elles s’opposent aux théories aristotéliciennes où le sens avait une place beaucoup plus importante. Prenons l’exemple d’un livre : Platon l’aurait décrit comme un ensemble de feuilles de papier avec des lettres assemblées pour donner des mots, le tout relié à travers une couverture rigide, Aristote y voyait un objet qui lui a évoqué des sentiments et des souvenirs, éveillé des sensations…



Et c’est Platon qui a raflé la mise.



Mais un profond changement s’est enclenché et s’est considérablement accéléré. Prenons aujourd’hui l’exemple des algorithmes : Longtemps vus comme des modèles d’objectivité parce que « mathématiques » et idéalisés pour leur « neutralité », ce sont finalement des objets fortement subjectifs. Subjectifs car ils introduisent une certaine vision du monde, une croyance et donc une forme de sens. Il suffit de lire les articles sur la responsabilité du développeur sur son code, les articles sur les biais fatalement introduits par les développeurs dans les algorithmes d’intelligence artificielle. Et plus la science progresse, plus cette réalité de sa subjectivité devient visible.

Ainsi notre rapport à la science est en train d’être profondément modifié. D’autant plus que, concomitamment, les avancées scientifiques actuelles vont totalement bouleverser notre rapport au temps. Il suffit de lister les grandes thématiques du moment : les objets connectés (Internet of Things / IoT), le Big Data, l’Intelligence Artificielle (IA). L’IoT est un moyen parmi d’autres de générer de formidables quantités de données, le Big Data va agréger l’ensemble de ces données et l’Intelligence Artificielle va consommer ces données agrégées pour créer des algorithmes qui vont pouvoir automatiser beaucoup de métiers et notamment ceux des cols blancs. Nous aurons donc davantage de temps disponible.

Mais qu’allons donc nous faire de notre temps dans un monde en pleine mutation où nous nous rendons compte que nous avons oublié le sens en cours de route ? S’engager c’est commencer à essayer de retrouver le sens.



Et l’entreprise dans tout cela ?



Le challenge des entreprises tient principalement dans leur capacité à recruter des talents. Des talents capables de s’intégrer dans un monde d’une formidable complexité et capables d’être complémentaires de l’IA. Des talents avec des capacités relationnelles fortes. Car le sens se trouve aussi beaucoup dans les relations.

Et ces talents, il va falloir réussir à les engager, dans tous les sens du terme. L’entreprise va donc plus que jamais devoir donner du sens. Donner du sens c’est avoir des valeurs et les respecter, mais c’est aussi avoir sa place dans la société, dans la cité. L’entreprise va participer à se créer une place à part entière dans la cité et va in fine porter des attributions qui reviennent aujourd’hui à l’état mais dans lequel il échoue partiellement faute de véritables leviers.

Mais cela ne suffira pas. La capacité à communiquer ces valeurs deviendra un facteur différenciant fort. Pour l’entreprise, cela induira une convergence encore plus forte entre la communication interne, la marque employeur et les autres communications avec ses audiences externes.

On pourrait alors imaginer créer le poste de Chief Engagement Officer, mais, et d’ailleurs cela tombe très bien, celui à qui ce poste incombe directement est bien le CEO.

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