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L’industrie du sexe ne connaît pas la crise, mais le genre érotique était en redressement judiciaire. Dans la lignée de l’empowerment féminin, porté par le succès de Cinquante Nuances de Grey puis par les podcasts, il renoue avec un nouveau public : celui des femmes et des jeunes.

Il fut un temps, pas si lointain, où l’érotisme sortait du cercle intime pour s’afficher dans la mode, l’art, la chanson… Très vite, les paroles de « Je t’aime… moi non » susurrées par Jane Birkin raisonnent : « Tu es la vague, moi l’île nue, tu vas et tu viens entre mes reins ». Une ode au plaisir qui ferait rougir les plus pudiques. Parce que c’est bien ça l’érotisme, une « description et exaltation par la littérature, l’art, le cinéma, etc., de l’amour sensuel, de la sexualité », rappelle le Larousse. Qu’il soit solitaire ou à plusieurs, le plaisir se vit. La sexothérapeute et fondatrice du compte Instagram @mercibeaucul, Léa, donne une définition plus exhaustive : « C’est le fait de donner envie à quelqu’un sans lui donner ce qu’il veut. Ce moment de latence permet toute une créativité qui va autour de l’acte sexuel et élargit l’acte sexuel à plus que des corps. L’érotisme joue sur le rapport au désir quand la pornographie ne le fait pas. »

L’avènement du porno et du digital aura eu, un temps, la peau du genre érotique, jugé trop ringard, voire « cheesy » comme diraient les Anglo-Saxons. C’était sans compter l’histoire d’un certain Monsieur Grey et cette bonne vieille Miss Robinson. Adapté en livres puis au cinéma, Cinquante Nuances de Grey, sorti il y a plus de dix ans, créé l’émoi et remet le genre sur le devant de la scène, surtout auprès des femmes de 50 ans et plus. Ce « mummy porn » fait vendre de nombreuses marques qui ont surfé sur la tendance.

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Désormais, la génération Z n’est pas non plus épargnée. Attention moins de 18 ans recommandés. Les séries du moment aiment à montrer des jeunes, disons-le presque pubères, profiter des plaisirs charnels sans vulgarité certes, mais sans poésie non plus, en témoignent les séries La Chronique des Bridgerton, Sex Education ou encore Elite. Les productions font monter la température. Le genre érotique ferait-il donc son come-back ? « Je ne sais pas si on peut parler de renouveau, le genre érotique a toujours été là, c’est simplement qu’il n’a pas eu de visibilité pendant une période. Dans mon travail, je constate qu’il y a une véritable demande de contenus proches de la réalité, plus beaux, plus esthétiques… Les gens attendent une représentation de la sexualité comme elle est dans la réalité. Il y a aussi un besoin d’identification, un concept que l’érotisme défend. Il laisse plus de place à l’imagination. Depuis que j’ai ouvert mon compte il y a cinq ans, je réponds toujours aux mêmes questions : comment faire pour avoir un orgasme, comment réactiver ma libido… selon moi l’érotisme est la réponse à toutes ces questions », préconise Léa.

Derrière ces questions, 80% de sa communauté sont des femmes dont 40% ont entre 25 et 32 ans. « Au début, la tranche d’âge qui me suivait majoritairement était les 18-24 ans mais depuis le début d’année, je touche une communauté plus âgée », indique la fondatrice de @mercibeaucul. Le genre érotique ferait-il tout simplement son "coming out" ? Les femmes semblent en être les principales consommatrices et ne s’en cachent pas. En novembre 2022, le Salon de la littérature érotique notait que son public était majoritairement féminin. Une première ! « La tendance des réservations de billets dépasse les 50% pour les femmes cette année, contre 40% pour les dernières éditions », remarquait Flore Cherry, fondatrice de l’évènement. Dans la lignée des mouvements féministes et du combat Metoo, l’empowerment féminin passe aussi par cette réappropriation du corps et du désir.

Le terrain du podcast, encore vierge de l’invasion masculine, est un territoire fertile où les codes restent encore à inventer et où les désirs féminins sont moins enfermés par des représentations déjà établies. Ainsi en 2022, la start-up de solution audio Audion a observé que le podcast érotique prenait de l’ampleur sur le marché, porté par la tendance du marché du bien-être sexuel qui pourrait atteindre les 108 milliards de dollars en 2027, comparés aux 23 milliards réalisés en 2014. « Le podcast érotique existe depuis longtemps, le plus souvent sous forme d’abonnement car cela reste encore compliqué pour les plateformes de trouver des annonceurs pour les monétiser avec des publicités. Il reste encore un tabou autour de ces sujets. Pourtant un Français sur quatre écoute un podcast, c’est un format qui marche bien pour le storytelling, les talk et l’érotisme. Il prend le contrepied d’internet où tout est très explicite, il permet d’offrir un format plus intimiste », explique le cofondateur d’Audion, Arthur Larrey.

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Ainsi, si des podcasts natifs consacrés au sujet sont déjà présents sur le marché, comme Voxxx, Le Son du désir ou encore Femtasy, des studios de podcasts plus grand public s’intéressent de près au sujet. En première ligne, Louie Media, qui fin 2022 lançait Steamy, une série de dix nouvelles érotiques racontées par des romancières connues. Des marques, dont le fonds de commerce est l’industrie du sexe, sautent aussi le pas. Durex a créé avec l’agence Dentsu Creative Histoire de se faire plaisir, un podcast érotique personnalisable. Grâce à la commande vocale du smartphone, il n’y a qu’à se laisser guider en répondant aux questions sur ses préférences sexuelles et ses envies du moment pour découvrir une histoire érotique contée… Alors, tenté·e?

« D’une manière générale, le marché français du podcast est moins mature et donc moins financé. Comparé aux États-Unis, nous avons deux à trois ans de retard. Les tops éditeurs indépendants français comme Binge ou Louie Media ont du mal à être mis en avant… Ils progressent seulement de 10 à 20% par an. S’ajoute à cela la problématique de modération des contenus érotiques sur les plateformes. Apple n’est pas vraiment "porno-friendly" tandis qu’une plateforme suédoise comme Spotify le serait peut-être un peu plus », analyse le cofondateur d’Audion. Étonnant quand on sait que l’industrie du sexe est un des secteurs les plus lucratifs avec plus de 50 milliards d’euros générés par an. Selon Audion, ces porncasts manquent de têtes d’affiche. « En plus de se faire héberger par des plateformes grand public, la clé pour démocratiser ces podcasts et leur donner plus de visibilité serait de faire venir des personnalités pornos ou des influenceurs spécialisés dans le domaine du sexe », lance Arthur Larrey. Donner accès à ces contenus permettrait aussi de normaliser la sexualité et légitimer le plaisir. Une conquête que la génération Z semble entreprendre et qui sait, peut-être que leur génération fera disparaître un temps l’industrie du porno au profit de l’érotisme.

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