Loisirs

Longtemps rangé au fond du placard et considéré comme un objet tabou, le jouet érotique se démocratise et son image tend à évoluer. Jusqu'à devenir un objet de beauté à part entière ?

En février 2021, l’Ifop réalise une étude pour la boutique Passage du Désir et révèle qu' « un tiers des Français et Françaises ont utilisé un sex-toy en 2020 ». En ce début d’année, une nouvelle étude paraît cette fois-ci pour LoveHoney, fabricant et distributeur de produits dédiés au plaisir, confirmant cette tendance avec « plus d’un tiers des sondés (31 %) qui déclarent avoir déjà utilisé un sex-toy, et deux tiers d’entre eux (63 % des hommes et 67 % des femmes) qui disent en utiliser plusieurs fois par mois ». Ce constat, Masha Sexplique, créatrice de contenus sexo depuis près de deux ans, le fait aussi : « Au tout début, parler de sex-toy était plus compliqué parce qu’il subsistait beaucoup de méconnaissance sur ce sujet. Maintenant, même si je montre des jouets sans trop en parler, cette question revient moins. Je pense que le marqueur le plus signifiant, c’est que des créatrices de contenus qui ne sont pas spécialisées dans l’éducation sexuelle acceptent des collaborations avec des marques de sex-toys. » Des personnalités comme les entrepreneuses Élise Goldfarb et Julia Layani, ou encore l’influenceur Bastoos, ont déjà fait la promotion de produits via leur story Instagram.

Accessoire de bien-être

De cette libération de la parole autour des jouets pour adultes et de l’engouement de ce contenu sur les réseaux sociaux est née une réelle opportunité pour les marques de s’adapter en proposant des nouveautés. C’est le cas de Puissante, lancée en 2021. Sa créatrice Marie Comacle définit le sex-toy non plus comme «un objet érotique», mais comme « un objet de bien-être ». Le vibromasseur « Coco », premier de la gamme, est présenté dans un emballage travaillé, discret et attrayant, à l'instar de ce que l'on peut trouver pour des produits de maquillage. « Le but, c’est de sortir de l’image historique du sex-toy et de le considérer comme un produit qu’on est content de déballer, de pouvoir acheter comme n’importe quel objet », confie la fondatrice. Puissante a enregistré près de 2 600 précommandes pour son lancement, sur un objectif initial de 100 commandes. « Nous sommes le 40e projet financé sur la plateforme parmi 35 000 projets. À chaque achat, un euro est reversé à l’association Les Orchidées Rouges qui lutte contre les violences faites aux femmes. » 

En septembre dernier, la jeune entrepreneuse s’est associée au média Paulette dans l’idée de proposer un sex-toy plus «engagé». Mégane Bregeon, chargée des projets chez Paulette et Loïse Dewildeman, community manager pour le média et pour Puissante, en témoignent : « Notre message, c’est d’en parler comme un accessoire de bien-être. Les effets de la masturbation peuvent vraiment encourager à prendre soin de soi, de notre santé mentale, la réduction du stress, etc. Les marques de jouets pour adultes destinées aux femmes étaient faites par et pour les hommes, alors que Puissante est fait par et pour les femmes. Nous avons fait écrire un livret par des spécialistes pour déculpabiliser, décomplexer la masturbation. La démocratisation des sex-toys peut aussi aller très vite vers l’injonction à l’orgasme, et on ne veut pas tomber là-dedans. » 

Lucie Solal a créé Blush Intimacy avec Nadini Sathiyarajan en novembre 2021. Ancienne conseillère en stratégie pendant dix ans, elle a changé de carrière pour se consacrer à cette nouvelle opportunité. « Lors d’une soirée entre filles, nous nous sommes rendu compte que lorsque nous cherchions des sex-toys sur internet, nous ne nous se sentions pas concernées. Ça ne donnait pas envie d’être consommatrice. Le lendemain, nous avons échangé par téléphone en nous disant “et si nous faisions le site sur lequel nous aurions aimé tomber ?” », confie l’ex-ingénieure. Épuré, naturel, exposant des boîtes et des designs faits pour et par les femmes, tel est le mot d’ordre de ce nouveau concept store. « C’est une démarche de bien-être, c’est pour ça que nous parlons de démarche sexuelle et pas de sex-shop. Ce que nous cherchions, c’est un bien-être dans notre sexualité, un côté lifestyle dans le sex-toy. »

Encore des progrès à faire

Cette image moins “dégradante” du sex-toy comme on peut l’entendre a aussi été pensée par Patrick Pruvot, fondateur du leader en la matière Passage du Désir et du concept de “love store” qu’il a créé en 2006 : « Si on parle de sexualité mainstream, il n’y a pas de raison que ce soit théâtralisé dans des lieux glauques renvoyant à de la pornographie. Aujourd’hui, la communication autour du sex-toy est telle, et il devient tellement beau, qu’on enlève toute vulgarité. » Du 29 décembre au 4 janvier, Passage du Désir a dévoilé une nouvelle campagne d’affichage dans les métros parisiens, “Love Unlimited”, pour célébrer l’amour et tous les couples. Sur cette démocratisation, Patrick Pruvot constate un paradoxe : « La libération du secteur n’est pas si effective que cela. À la télé, on peut uniquement faire de la communication entre deux et quatre heures du matin, et même à la radio le mot “sex-toy” est censuré. Avec cette campagne, on sous-entend qu’on vend des sex-toys sans le dire. Sur les réseaux sociaux ou sur les moteurs de recherche, certains contenus des comptes qui en parlent sont invisibilisés par les plateformes, c’est étrange, car il y a trois ans ce n’était pas le cas. »

Masha Sexplique rapporte par ailleurs recevoir de nombreux messages privés de la part de femmes qui lui disent ne « pas oser acheter de jouet, car elles ont peur que leur compagnon le prenne comme un rival. Pour intégrer cette démocratisation, il faut dépasser cet a priori dans les couples hétérosexuels. » Camille Lextray, militante féministe et détentrice du compte Instagram @hysterique_mais_pas_que, alerte quant à elle sur un risque de féminisme et de pink washing affiché par des marques sans valeurs. Du chemin reste à faire également sur l’aspect environnemental. Selon une étude de ELLE Belgique publiée en 2017, chaque année, plus de 3 millions de sex-toys sont jetés en Europe.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.