Achat d'art
Alors que le Festival international de mode et de photographie de Hyères s'est achevé le 27 avril, Séverine Morel, acheteuse d’art chez Havas Paris, journaliste à L’œil de la photographie et contributrice de la revue Off the wall, revient sur les dernières tendances françaises en matière de photographie, notamment publicitaire.

Que signifie être photographe aujourd’hui ?

Séverine Morel. Être photographe c’est savoir utiliser les moyens de création numériques et de diffusion infinis mis à la disposition de chacun pour servir et développer sa créativité. Une constellation d’outils permet, via la photographie, d’être dans le peer-to-peer des émotions, et de repousser les limites de l’esthétisation et de la diffusion de l’intime et de l’ordinaire. La photographie est devenue une nouvelle langue universelle.

 

Quels sont, selon vous, les jeunes talents à suivre ?

S.M. J’ai eu un vrai coup de cœur pour Mazaccio & Drowilal, qui ont développé un travail personnel entre images mentales et visuelles. Leur posture d’artistes leur a permis d’utiliser à outrance le signe photographique et le langage conceptuel. Leur univers les conduira nécessairement vers la publicité, qui appréciera leur savoir-faire décomplexé, leur provocation et la créativité intellectuelle qu’ils éveillent. Le jeune photographe de publicité Léo Caillard intègre lui aussi les nouvelles techniques de création d’image. Sa photographie est une symbiose de différents mondes, de références, de codes visuels. C’est le regard d’un jeune talent sur notre société, pour autant non dénué de racines artistiques. Dans un tout autre genre, Theo Gosselin s’est fait connaître par Facebook. Inspirant et épris de liberté, ce jeune photographe est un véritable phénomène humain et viral.

 

Quelles compétences les photographes de publicité doivent-ils développer ?

S.M. Ils peuvent être d’une créativité impressionnante, mais ils deviennent de plus en plus des faiseurs d’images: ils maîtrisent la photographie, le montage, la retouche, souvent le film et la 3D pour suppléer à ce que le réel ne peut pas offrir pour illustrer l’idée créative. Ils sont capables de gérer un staff d’intervenants artistiques, une équipe de production. Le photographe de publicité doit être multi-talents, apporter une authenticité artistique et préserver la force de l’idée conceptuelle.

 

Est-ce que la France est un marché riche en jeunes photographes publicitaires ?

S.M. Oui. Nombre d’artistes de la jeune génération sont inspirants pour la publicité, de par leur esthétique conceptuelle et leurs univers très personnalisés. La photographie publicitaire regorge de talents d’une grande valeur artistique, non pas uniquement en commande, mais aussi dans leurs travaux personnels. Il y a du potentiel à mélanger les genres, car si les artistes créent du contenu de valeur, les marques et le buzz autour de celles-ci contribuent aussi à la valeur artistique du photographe. J’aimerais que mon métier d’acheteuse d’art évolue vers un métier de galeriste publicitaire! J'ai de la chance de travailler pour une agence qui va dans ce sens.

 

Y-a-t-il des publicitaires français dotés d'un réel talent pour la photographie ?

S.M. Ma petite perle photographique, c’est le directeur de la création Rémi Noël [Lowe Stratéus]. C’est un éternel amoureux de la photographie argentique en noir et blanc. Il a le talent de raconter toute une histoire en une belle image.

 

Comment définiriez-vous une photographie publicitaire réussie ?

S.M. C’est un subtil équilibre entre l’idée artistique et l’idée conceptuelle, les contraintes du client et les exigences des créatifs. Une photographie publicitaire réussie est à la fois belle et impactante, elle doit raconter une histoire en un coup d’œil et toucher notre imaginaire, souvent par l’humour d’ailleurs.

 

Des exemples?

S.M. La campagne «Never Hide» de Ray Ban (Marcel), photographiée par Mark Seliger - plutôt celle de 2013-2014 que la nouvelle d’ailleurs - est un très bel exemple de publicité presse m’ayant vraiment séduite. Le message publicitaire est au cœur de la photographie dans laquelle tient toute l’histoire. On plonge dans l'époque, le casting, le stylisme et le traitement nous y conduisent. Un autre exemple d’utilisation intelligente de la photographie: la dernière campagne «Photographié avec un iPhone 6», qui affiche en plein format une belle photographie d’un moment simple et agréable réalisée par un anonyme. On revient au naturel. Sinon les campagnes Lacoste, Evian, Air France de BETC font une belle place à la photographie.

 

Peut-on dire que la photographie publicitaire se porte bien en France?

S.M. Pas trop, les exemples de ce type sont rares. En dehors du secteur de la mode et du luxe, qui sont très prolifiques et créatifs, on voit de plus en plus de créations molles ou surfaites, des montages de morceaux de rêve. Par manque de budget, par frilosité, par «ROIsme», c’est souvent l’idée, ou plutôt le besoin du client qui prime finalement sur l’idée créative qui se délite. Et puis, avec la retouche et la 3D, le client se croit tout permis. Et, en définitive, le budget de postproduction dépasse souvent celui du photographe...

 

Quelles en sont les conséquences pour ce métier ?

S.M. Non seulement les budgets diminuent, mais ils sont souvent investis en priorité dans le web, où l’audience est plus vive et interactive. On demande donc de plus en plus aux photographes de se mettre à l’image animée. Ainsi, tandis que les agents de photographes développent des talents dans ce domaine, les boîtes de production film, elles, se mettent à représenter des photographes pour répondre aux besoins de mutualisation. En outre, des cellules de création, d’achat d’art et de post-production sont de plus en plus souvent intégrées ou directement gérées par les annonceurs. L’industrie de l’image n’a pas fini d’évoluer.

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