Société
Le film Get Out est le succès surprise de l'année, tandis que la série de Netflix Dear White People met en scène les tensions raciales dans une université. Dans la publicité, la représentation de la minorité noire reste un sujet brûlant...

Beau-papa avait pourtant l’air sympa. D’emblée, il annonçait la couleur: il serait prêt à voter une troisième fois pour Obama s'il le pouvait. Mais bien souvent, une coolitude trop affichée cache de sombres desseins… Le film Get Out raconte l’odyssée horrifique de Chris, jeune homme noir qui forme un couple mixte avec la très WASP Rose. Un week-end chez les beaux-parents, accueillants mais inquiétants, va virer au bain de sang… La fable politico-gore est l’un des succès surprises de l’année: plus d’un million d’entrées en France, 175,4 millions de dollars de recette aux Etats-Unis pour un budget de 4 millions.

Œuvres au noir: sur Netflix, une nouvelle série ironiquement titrée Dear White People [Chers Amis Blancs] démarre sur un scandale. Dans l’université imaginaire de Winchester, une soirée «blackface», où les Blancs se griment en Noirs, vient d’être organisée. De quoi porter les tensions raciales à incandescence, sur le campus de cette fac de l’Ivy League…
Parallèlement à cette flambée fictionnelle, dans la vraie vie, le mouvement Black Lives Matter, qui vise à dénoncer les exactions policières à l’encontre de la minorité noire, n’en finit plus de figurer en tête des «trending topics» sur Twitter. «D’une manière générale, on a le sentiment d’une résurgence de ces questions prégnantes aux Etats-Unis depuis les années 1960, remarque Fabien Le Roux, planneur stratégique chez BETC. La “mainstreamisation” de ces questions est liée à l’américanisation du monde, à la twitterisation ambiante.»

Représentation raciale

Selon François Peretti, planneur stratégique éditorial chez Relaxnews, «le premier élément logique d'interprétation est celui du contrecoup Obama. L'élection du premier président noir lui avait d'ailleurs valu un Prix Nobel de la paix à peine en fonction. Aujourd'hui, le symbole Trump ramène en arrière. Mais le phénomène est bien plus profond que cela, plus complexe également. Symboliquement, Obama ne fut un “président noir” qu'avant son élection. Mais dès le moment où l'élu devient mandataire, les médias ne mettent plus en scène que sa vie, sa famille, sa coolitude, son ouverture d'esprit... et plus sa couleur de peau».
Jordan Peele, réalisateur de Get Out, ne dit pas autre chose. «Quand j'ai eu l’idée du film, nous avions un président noir et nous vivions dans cette espèce de mensonge postracial… L’idée étant qu’on n’en est plus là, plus là du tout… Le film a pour but de donner à voir le monstre raciste qui se tapait derrière les situations et les conversations en apparence les plus innocentes.»
En jeu, deux manières diamétralement opposées d’envisager la race, expose Fabien Le Roux: «En gros, soit on est “color blind” à la française, c’est-à-dire qu’on ne fait aucune différence entre blanc et noir - ce qui évite de penser la discrimination. Soit on est “color minded” et tout est pensé, interprété et vécu en fonction des races.»
Comme le rappelle Emmanuel Sabbagh, directeur du planning stratégique à l'international de TBWA, «95 % des exemples de ces mises en scène de l’antagonisme Blancs/Noirs sont américains. En France, notre histoire est bien différente». Ce qui ne veut pas dire qu’on ne revient pas de loin… «Dans notre histoire publicitaire, la représentation de la population noire a connu plusieurs à-coups, relate Emmanuel Sabbagh. En 1988, les biscuits St Michel lançaient la marque Bamboula, un petit enfant à la “Y a bon Banania”, vêtu d’une peau de léopard, qui passe de liane en liane… En 1998, après la Coupe du monde, Danette exploite la France Black Blanc Beur avec son “On se lève tous pour Danette”, dans lequel le “tous” a un sens éminemment inclusif… En 2008, l’élection d’Obama inaugure la figure du “Super Noir”. Obama a été une marque de coolitude tellement forte que les marques ont voulu s’y arrimer. C’est l’époque des campagnes McDonald’s “Venez comme vous êtes”, dont la première illustration publicitaire sera un jeune homme de couleur. Aujourd’hui, dix ans plus tard, on essaie encore de trouver un rapport “normal” à la question de la représentativité.»


Récupération malheureuse

Car en l’espèce, la route est glissante et le dérapage jamais très loin. Pepsi l’a appris à ses dépens en avril dernier, avec un spot ridicule dans lequel la starlette Kendall Jenner, ressortissante de la famille Kardashian, se mêle à une manif très «Black Lives Matter» et amadoue un policier en lui offrant un Pepsi. Mais qu’est-ce qui leur a pris ? «Pour reprendre un terme un peu ringard, Pepsi, comme beaucoup d’annonceurs, vit dans la culture du “buzz”: la marque a réagi trop rapidement, pour surfer sur un mouvement porté par les réseaux sociaux», suppose Fabien Le Roux. «Ce qui choque dans la pub Pepsi, analyse quant à lui François Peretti, c'est la caricature par les riches (un mannequin et une foule réesthétisée), l'instrumentalisation d'un mouvement populaire qu'on vide de son sens et de sa revendication en le mimant, en en détournant les symboles…»

Pourtant, au début des années 1970, se souvient Corentin Monot, directeur du planning stratégique de CLM BBDO, Coca-Cola avait avec profit récupéré le «Flower Power» avec son fameux film «I’d Like to Buy the World a Coke» [J’aimerais offrir un Coca au monde]: «Mais Pepsi illustre un cas d’école: une marque qui finit par perdre toute humilité pour basculer dans un opportunisme hallucinant. Une dérive actuelle des marques, qui de plus en plus s’emparent artificiellement de sujets de société, sans être légitimes ni pertinentes.»

En France, l’agence Fred & Farid a récemment soutenu le projet «No More Black Targets», lancé à New York pendant le Black History Month en partenariat avec l’association New York Society for Ethical Culture. Comme l’expose Farid Mokart, coprésident et cofondateur du groupe Fred & Farid: «Get Out, Dear White People… tous ces projets contribuent, de par leur médiatisation et leur succès auprès du grand public, à exorciser ce que le réalisateur Jordan Peele appelle les “social demons”.» Le racisme, ce vieux démon tenace.

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