Le consommateur est devenu un «shopper», une nouvelle race de client hyperinformé grâce au Web et connecté jusque dans les rayons via son mobile, que la grande distribution et les réseaux de boutiques cherchent à attirer en multipliant les initiatives digitales.

«Dans le commerce de demain, le monde digital sera étroitement imbriqué au monde physique», expliquait en septembre dernier Thierry Aouizerate, directeur marketing de Casino, lors de la présentation de l'application Mcasino NFC (Near Field Communication ou communication sans contact à courte distance). Une prophétie déjà accomplie, tant le digital s'est introduit dans tous les types de points de vente.
Face à des consommateurs surinformés - 91% se renseignent sur le Net avant d'effectuer leurs achats, selon une étude d'Ifop et Wincor Nixdorf (1) - et capables grâce à leur mobile de comparer prix et produits dans les rayons et de partir s'ils sont déçus - 65% le font, selon l'étude européenne IConsumer de McKinsey (2) -, les commerçants ne pouvaient rester inertes.

Le nouveau shopper «solomo» (social-local-mobile) ou «ropo» (research online, purchase offline, soit le fait de rechercher en ligne et d'acheter hors ligne), en jargon marketing, a pris le pouvoir. «Avec ce shopper connecté, on est en pleine schizophrénie. Il dispose d'énormément d'informations sur le Net, mais pas en magasin», relève Jérôme Toucheboeuf, directeur de Fullsix Retail. «L'expérience e-commerce est devenue plus satisfaisante que l'achat en magasin. C'est un paradoxe», estime Olivier Debin, président de Dagobert.
Pour «réenchanter» le point de vente, distributeurs et commerçants multiplient les dispositifs digitaux. Self-scanning, vitrines interactives, tablettes pour vendeurs, mobilier intelligent: le magasin du futur sera connecté ou ne survivra pas. Pour Claude Nahon, président Europe de Mood Media, «le "digital in store" (numérique en magasin) a un triple usage: créer de l'émotion, aider à la vente et fidéliser».

Olivier Debin préfère employer les termes «digital»et «store»: «C'est un parcours qui commence avant d'entrer dans le point de vente (s'informer), se poursuit pendant la visite (découvrir, être aidé) et après (recommander ou pas sur ses réseaux).»

 

Un supermarché «full NFC»

Tout a commencé quand la grande distribution a décidé d'accélérer le passage en caisse en proposant à ses clients des douchettes de self-scanning, qui permettent de lire à l'avance les codes-barres et de donner cette liste à la caissière avant de payer. Car pour le shopper, perdre son temps n'est plus envisageable. «Il est habitué à l'achat et au paiement immédiat sur le Net. En magasin, c'est l'inverse: il faut attendre aux caisses, puis encore attendre pour payer», explique Jérôme Toucheboeuf. Résultat: 25 % des clients d'hypermarché ont déjà renoncé à un achat en raison d'une trop longue attente en caisse.
Mais les enseignes n'ont pas osé aller au bout de cette démarche en installant les tunnels de self-scanning, dans lesquels le client glisse lui-même ses produits. Trop risqué et ces dispositifs signeraient l'arrêt de mort des «hôtesses de caisse». Aux États-Unis, la chaîne Kroger teste un tunnel muni de caméras capables de lire les étiquettes par reconnaissance optique de caractères (OCR) mis au point par Fujitsu; Rewe en Allemagne et ICA en Suède expérimentent des tunnels Wincor Nixdorf équipés de huit scanners.
Casino a choisi une autre voie avec son application Mcasino NFC. Le client télécharge l'application sur son smartphone compatible NFC et peut ajouter des articles à son panier, obtenir des renseignements sur les produits (est-il allergène?), connaître les promotions et choisir son mode de livraison. Une innovation inaugurée le 14 novembre dernier dans le supermarché situé rue des Belles feuilles dans le XVIe arrondissement de Paris, avec 25 000 références dotées d'étiquettes NFC. Deux bémols: on ne peut pas encore payer avec son smartphone, une fonctionnalité «prévue» selon l'enseigne, sans précision de date. Et l'Iphone d'Apple (un quart du parc installé en France) n'est pas compatible avec cette technologie.
Plus spectaculaire, le Digital Wall est une vitrine interactive codéveloppée par Casino avec Adactive, avec laquelle le shopper peut se prendre pour Tom Cruise dans Minority Report. Grâce à un système de détection de présence, on peut sélectionner des produits, les déplacer d'un simple geste pour les mettre dans le panier ou les en sortir, puis transférer celui-ci vers son smartphone. En photographiant le QR code, on pourra payer et se faire livrer. Le Digital Wall n'est pas encore opérationnel en magasin.

 

Des vendeurs connectés

D'autres enseignes mettent du digital dans leurs hypermarchés. Au Royaume-Uni, Sainsbury a équipé les chariots de son magasin de Kensington à Londres avec des Ipad. Objectif: permettre à Monsieur de suivre un match de football tout en faisant ses courses sans crainte de se cogner aux autres clients, le chariot possédant un détecteur de proximité et un amortisseur...

Aux États-Unis, Whole Foods teste une tablette Windows équipée du système Kinect pour ses chariots. Bientôt, on pourra même scanner pommes et poires grâce à l'Object Recognition Scanner de Toshiba, qui utilise une caméra pour reconnaître les fruits et légumes.
Les réseaux de franchises et les boutiques de marques ne sont pas en reste. Keyrus Management a réalisé une étude en octobre dernier (3) qui présente pas moins de 250 initiatives numériques en magasin dans le monde (lire l'encadré).

Initiées par Apple dans ses stores, les tablettes pour vendeurs sont de plus en plus répandues, et 60% des réseaux ont prévu de les déployer d'ici à deux ans. Chez SFR, une centaine de vendeurs sont équipés de tablettes sous Androïd leur permettant d'accéder aux offres du magasin, de consulter le détail des promotions en cours, de montrer en 3D les téléphones disponibles ou encore d' envoyer rapidement l'offre par SMS ou email.

Chez Sephora, les vendeuses utilisent un Ipod Touch et l'application My Sephora pour accéder aux données personnelles des clients en scannant leur carte de fidélité et ainsi leur proposer des promotions et suggestions personnalisées (cf. Stratégies n°1698). L'enseigne propose même un magasin dépourvu de caisse à New York: tout est réalisé sur tablettes et terminal de paiement mobile.

Aux États-Unis, Mercedes a fourni des Ipad, avec signature sur écran tactile, à ses 335 concessionnaires. Des Ipad également chez Burberry, qui invite des clients privilégiés à visionner en direct les défilés sur tablettes puis à commander vêtements et accessoires sur ces dernières.

 

Des vitrines d'essayage

Après les bornes interactives (But, Castorama, Clarins, Leroy Merlin, J.C. Penney, etc.), voici l'ère du mobilier intelligent (tables tactiles, vitrines connectées), que l'on trouve surtout dans les boutiques d'équipement de la personne (textile, optique, etc.). Atol a ainsi équipé 300 de ses boutiques avec la vitrine Activ Screen, qui permet de s'immerger dans l'image 3D pour essayer verres et montures en montant un escalier ou en conduisant une voiture (virtuelle).

Morgan a installé son Tweet Mirror dans son flagship des Champs-Élysées: une fois habillé, on se prend en photo pour demander l'avis de son réseau. Chez Diesel à Madrid, le principe est le même mais avec Facebook. Au Japon, The Digital Cosmetic Mirror de Shiseido permet, grâce à son scan facial, de tester virtuellement des produits de maquillage.

L'initiative la plus spectaculaire, à ce jour, est la vitrine Adiverse Virtual Footwear Wall d'Adidas, créée avec Intel et installée à Londres et Nuremberg, dans le flagship de la marque aux trois bandes. Ce mur tactile composé de douze écrans permet au shopper de faire défiler les 8000 modèles de baskets en 3D, de les faire tourner sur elles-mêmes, d'en changer la couleur... Les commentaires des internautes sur Twitter et Facebook sont affichés en direct. C'est le vendeur, équipé d'une tablette tactile, qui enregistre la commande.

Des innovations qui ont certes un coût, mais s'avèrent indispensables pour redonner envie au shopper de délaisser son écran pour revenir faire ses achats en magasin, rendu sexy et attirant grâce au digital.

 


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Le smartphone, futur outil clé

Keyrus Management a publié en octobre une étude sur le numérique en magasin fondée sur l'analyse de 250 initiatives dans le monde entier utilisant cinq types d'outils: smartphone, tablette, borne interactive, mobilier intelligent et écran. Tous les secteurs s'équipent, mais la grande distribution, les services financiers et l'automobile regroupent 80% de ces projets. La tablette est l'outil qui connaît la croissance la plus rapide, avec 50 projets en cours. La digitalisation du point de vente vise prioritairement à améliorer le taux de transformation: 54% des dispositifs sont consacrés à l'avant-vente et 32% à la vente. En revanche, le «social commerce» reste balbutiant: seules 6% des initiatives intègrent les réseaux sociaux, majoritairement Facebook. Dans les trois ans à venir, le smartphone devrait s'imposer comme l'outil clé en point de vente, à la fois scanner, mode de paiement ou carte de fidélité. Alors que les tablettes pour vendeurs devraient s'imposer pour les achats importants, les bornes interactives vont décliner, trop chères et moins pratiques que les mobiles. Le mobilier intelligent (tables tactiles, cabines d'essayage virtuelles) encore très peu présent, devrait se développer. Le fameux cross canal entre point de vente, e-commerce et m-commerce, dont tout le monde parle, deviendra alors bien réel.

 

 

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Un nouvel eldorado pour les agences?

Avant l'avènement du digital, le point de vente était la chasse gardée des agences de marketing services, comme Ogilvy One, MRM, Proximity BBDO ou encore Publicis Dialog. Mais depuis que le magasin est connecté, il est aussi devenu très tendance dans les agences de publicité et interactives, qui multiplient les départements «retail» ou «shopper». Pour Nicolas Czorny, directeur de l'agence Kassius, qui se positionne sur les «connected shoppers», «aujourd'hui, il y a majoritairement deux types d'agences: celles issues de la communication digitale, qui traitent les canaux de contact numériques, et celles issues de la communication commerciale, ex-agences de promotion rebaptisées shopper marketing, qui traitent les points de vente. Notre projet, c'est la rencontre de ces deux mondes».

Saatchi & Saatchi X a été précurseur dès 2004. Son directeur général François Tastet a ensuite été débauché en 2008 par l'agence interactive Business Lab, avant de devenir en mars dernier directeur exécutif de MRM, l'agence de marketing services de McCann, bouclant la boucle. En 2007, BETC a fondé BETC Shopper. High Co Shopper a été créé en avril 2010, Fullsix Retail en juin 2011. En juin dernier naissait Publicis Shopper, division spécialisée dans le retail au sein de Publicis Dialog, pilotée par Valérie Piotte, ex-directrice générale de High Co Shopper. Le pionnier du Web Patrick Robin (fondateur en 1995 du FAI Imaginet) a lancé en 2006 24 heures, site de ventes événementielles devenu agence interactive spécialisée en «Web to store». Digitas a sorti, en septembre dernier, son offre «Connected Commerce». Une liste qui devrait continuer de s'allonger dans les mois à venir.

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