High-tech
Google, Apple, Samsung, LG, Microsoft préparent des montres et lunettes connectées à Internet. Un nouveau segment marketing aux implications profondes sur la vie des consommateurs. Et un nouvel eldorado pour l'électronique grand public.

Il s'étire, se sert un café puis sort dans la rue tandis que diverses informations s'affichent à tour de rôlesur les verres de ses lunettes, juste devant ses yeux: une dizaine d'icônes donnant accès à divers services, la météo, un «chat» avec un ami pour prendre rendez-vous... Soudain, un message lui signale que le métro à proximité est fermé, un plan Google Maps s'affiche aussitôt avec l'itinéraire de substitution le plus rapide. Toujours avec ses lunettes, il prend une photo et l'envoie en direct sur Google+... Voilà résumée une journée dans la vie d'un porteur de Google Glass. Cette vidéo, postée le 4 avril sur You Tube par Google, comptait déjà 15 jours plus tard plus de 20 millions de vues. Elle donne à voir ce que pourrait être, dans le futur, le quotidien - épuisant? - d'un porteur de ces «lunettes connectées».

En dévoilant son projet de Google Glass en avril 2012, Sergey Brin, cofondateur de la firme de Mountain View, en Californie, a tiré le premier sur le terrain des objets connectés du quotidien. Dotées d'un appareil photo numérique, ces lunettes attendues pour 2014 pourront communiquer avec tout smartphone grâce à leur connexion Wi-Fi et Bluetooth. Une technologie de conduction osseuse, fixée dans la branche des lunettes, permettra de transmettre des commandes vocales.

 

Un marché émergent et prometteur

Google, donc, mais aussi Apple, Microsoft, LG, Samsung, Casio... La liste des acteurs sur ce marché naissant commence à s'allonger. Ces dernières semaines, bon nombre de constructeurs ont dévoilé leurs projets de lunettes connectées ou de montres «intelligentes» («smartwatchs»), parfois via des «fuites» opportunément distillées sur des sites Internet et des blogs spécialisés, mettant en avant prototypes et brevets déposés. De fait, les prévisions sont prometteuses: si 500 000 montres connectées ont été vendues cette année, 92 millions devraient l'être d'ici à cinq ans, selon l'institut d'études ABI Research.

Depuis peu, la rumeur court avec insistance: Apple peaufinerait son projet de montre connectée, Iwatch, attendue en fin d'année. Grâce à sa connexion (Wi-Fi ou Bluetooth), elle pourra afficher des informations issues d'un smartphone: SMS, e-mails, fil Twitter et compte Facebook. Son utilisateur sera aussi à même de passer des appels, se géolocaliser, consulter son rythme cardiaque...

Outsider remarqué, la start-up Pebble, devrait commercialiser sa montre en juin. Pour la concevoir, elle a levé 10 millions de dollars sur la plateforme de «crowdfunding» Kickstarter (financement participatif). Précurseur, Sony a lancé début 2012 sa première Smartwatch, qui se met à vibrer à chaque réception de SMS, d'e-mails, de messages sur Facebook... «Des notifications auxquelles nous sommes devenus accros. La montre connectée permettra de les consulter en temps réel», souligne Laurent La Rocca, directeur marketing de Sony Mobile France. Elle devrait aussi «permettre de piloter l'appareil photo de son smartphone et prendre ainsi une photo à distance», poursuit-il.
Si ces montres et lunettes connectées rencontraient le succès attendu par ses promoteurs, elles pourraient devenir le nouvel eldorado des marques d'électronique grand public. Tous ces nouveaux objets permettent en effet d'interagir avec un smartphone. Ils en deviendraient ainsi une sorte de «hub» central.

Déjà, «l'arrivée de la 4G va permettre de nouveaux usages, compatibles avec la montre connectée: visionner des vidéos, mener des visioconférences, combiner la voix et l'image...», estime Philippe Lasne, directeur marketing de LG France. En somme, les constructeurs ne désespèrent pas de trouver là un nouveau souffle. «Mis à part Samsung, Apple et Google, aucun d'entre eux n'est rentable. Les marchés de la télévision et du PC sont en déclin. Les marques ont intérêt à se positionner sur tous les segments émergents, dont celui des objets connectés», décrypte Aurélien Duthoit, directeur d'études à l'institut Xerfi.

 

Un point d'entrée pour les marques

«Les smartwatchs sont un nouvel écran, une extension du smartphone sur la main, mais aussi de l'OS mobile. Pour Apple et Google, à l'origine des OS IOS et Android, cela permet de verrouiller d'autant plus leurs utilisateurs dans leur écosystème», poursuit-il. Les smartwatchs de Samsung et LG seront compatibles avec Android et auront des applications ad hoc. Google a lancé un fonds d'investissement, Glass Collective, destiné à financer la création d'applications adaptées.

Tous ces nouveaux objets sont aussi un point d'entrée intéressant pour les marques. «Avec ce genre de produits, on s'approche de l'intimité de l'utilisateur. L'enjeu des marques sera d'apporter des services, avec une utilité réelle et non une présence publicitaire classique», insiste Olivier Vigneaux, directeur général de BETC Digital. Seul bémol pour l'heure, Google a exclu les publicités et les applications payantes dans les Google Mirror API Terms of service, à savoir les conditions imposées aux développeurs.

Reste à voir si ces nouveaux objets entreront dans les usages. «Le lapin Nabaztag, sorti il y a une dizaine d'années, était le premier objet connecté grand public. Mais avec les lunettes et les montres connectées, on en arrive à des objets directement portés par l'homme, et qui lui apportent des fonctions supplémentaires», estime Bruno Auret, directeur de Raymond Interactive (Saguez & Partners). En somme, le mythe de l'homme «augmenté» par les technologies... «Il faudra que les Google Glass apportent des services réels pour entrer dans les usages du grand public. Sans compter les questions de respect de la vie privée et de sécurité qu'elles posent», poursuit-il. Quid également d'éventuelles répercussions sur la santé, alors que déjà les ondes émises par les téléphones portables font depuis longtemps polémique?

La question de la protection de la vie privée soulevée par ces produits fait en tout cas déjà débat, avant même leur commercialisation. «Il y a la question de la confiance qui se pose: le consommateur sera-t-il prêt à croire à la neutralité bienveillante de Google?», interroge Jérôme Duchamps, directeur général de BETC Digital. La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a déclaré se pencher sur le sujet. Certains lieux publics (bars, casinos...) ont d'ores et déjà interdit les Google Glass. En Grande-Bretagne, un collectif de Londoniens a lancé une campagne, intitulée «Stop the cyborgs», pour «ouvrir le débat et encourager les gens à réclamer des zones libres, sans surveillance perpétuelle, afin de pouvoir parler et se comporter librement», écrit le collectif. A méditer.

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