communication
À l'heure des réseaux sociaux, les marques doivent gagner en réactivité pour sortir du lot. Pour répondre à cette exigence, les agences s'équipent façon chaînes d'infos en continu. Illustration avec quelques projets pionniers.

Oreo est devenu la gourmandise préférée des publicitaires français. Pas tant pour ses qualités gustatives que pour le tour joué l'an dernier par le petit biscuit de Nabisco lors du Super Bowl. Profitant d'une panne de courant dans l'enceinte accueillant la finale du championnat de football américain, son agence de publicité s'est offert le buzz de l'année en tweetant dans la foulée ce message : «Power out? No problem. You can still dunk in the dark.» Ce jeu de mots - dunk signifie à la fois tremper (son Oreo dans le lait, par exemple) et smasher (comme le font certains joueurs en marquant dans l'en-but) - a fait le tour de la twittosphère en un éclair. Et rapporté bien plus, en visibilité, que tous les spots commerciaux achetés à prix d'or par les concurrents sur le petit écran...

 

La réactivité d'Oréo révèle une des tendances de fond à l'œuvre dans le secteur de la communication : le temps réel. Frappée du sceau des réseaux sociaux et des live-tweets, poussée par de nouvelles technologies inédites, elle se déploie sous de multiples visages depuis quelques mois. Ici, c'est une plate-forme de webmarketing 3.0 conçue par une start-up rennoise pour adapter en continu les pages Web d'un site en fonction du profil de son utilisateur. Là, c'est une start-up américaine Dispop qui modifie en direct le design des bannières publicitaires enregistrant une baisse d'audience et d'engagement. Là encore, c'est la technologie de détection faciale utilisée par Digitas LBI pour la carte de vœux digitale de Publicis: son contenu s'adaptait en fonction du nombre de spectateurs présents, leur nombre étant calculé en temps réel par une webcam.

Présent perpétuel

« Nous sommes entrés dans l'ère du présent perpétuel, un monde passionnant où la tension s'accroît entre le temps long de la vision stratégique de l'entreprise et le temps réel des opportunités du digital », commente Elie Ohayon, président de Saatchi & Saatchi Duke.

Face à ces enjeux, les communicants n'ont pas tardé à se mettre en ordre de bataille.

À commencer par TBWA. « Le sujet du temps réel nous préoccupe déjà depuis quelque temps, explique Philippe Simonet, son vice-président. Le social media et le community management se font en temps réel. Or, la publicité vit au rythme d'une chaîne de production, avec des phases de conception et de production, qui l'empêche d'être aussi réactive. Certes la culture du temps réel existait déjà. Mais l'ancêtre, c'était les annonces que nous préparions à l'avance pour les faire paraître le lendemain d'un match. Il y avait deux versions de prêtes, selon le résultat. »

En novembre 2013, pour le lancement de la PS4, la nouvelle console de son client Playstation, TBWA a voulu vérifier si ses équipes pouvaient relever le défi du temps réel. «Pendant quatorze jours non-stop, sur une très large amplitude horaire, nous avons monté une war room avec huit personnes, raconte Philippe Simonet. Elle devait couvrir l'univers du sport en déployant le point de vue de la marque.» À son bord, un planneur, des graphistes, des concepteurs, des illustrateurs et un spécialiste social media. Leur mission : travailler en temps réel suivant le schéma «un événement-un brain storming-une idée-une campagne», avec une exécution sur le champ de tweets, de posts sur Facebook et d'annonces pour le lendemain matin dans L'Équipe et Libération. Bilan de l'opération : deux semaines plutôt éprouvantes pour les équipes, mais quelques jolis coups réalisés à l'occasion des rencontres de l'équipe de France de football contre l'Ukraine.

Réactivité optimale

«Trois marques se sont distinguées lors du mach retour sur Twitter, relève Philippe Simonet. Marc Dorcel, avec une offre de VOD gratuite pour ses films X si la France venait à gagner. Ce que, bien sûr, tout le monde a retweeté... Domino's Pizza, mais avec des annonces visiblement préparées à l'avance, devenues de plus en plus froides au cours du match. Et nous, qui avons réussi à être chaud tout au long de la partie grâce à notre dispositif... »

En décembre dernier, le lancement de la nouvelle Qashqai a donné lieu au montage d'un dispositif similaire chez Digitas (groupe Publicis). Pour le crossover de Nissan, l'agence digitale a installé une brand live room entièrement dévolue à ce client. « Nous nous sommes inspirés de ce qui se fait dans le réseau aux États-Unis, indique Jean-Philippe Martzel, directeur général adjoint et patron du planning. Les dispositifs montés il y a deux ans pour les marques Tide et Sprint nous avaient bluffés et je cherchais une occasion d'importer et d'adapter ce schéma en France. J'en ai parlé à Nissan. Ils étaient d'accord pour un galop d'essai. »

Ainsi, lors de la journée du Ninja, par exemple, comme ce thème collait à la marque, l'agence a posté sur les réseaux sociaux un message lié à la Qashqai. De même, quand la PS4 est sortie ou quand Burger King a rouvert un restaurant à Paris, elle a inscrit le modèle dans ces temps forts de l'actualité. Dans la forme, la brand live room est une simple pièce équipée d'un mur d'écrans géants. L'un est branché sur i>Télé, un autre affiche Newsmap, logiciel qui détecte les mots saillants dans l'actualité, un autre ne quitte pas la page Facebook de la marque, un supplémentaire agrège les réseaux sociaux et l'évolution des discussions autour du Qashqai... Dans ce bureau de 10 mètres carrés, équipé de trois canapés, se retrouvent, autour du MC chargé des analytics, des planners, des responsables des réseaux sociaux, des créatifs... et parfois le client. Quand celui-ci est absent, un téléphone rouge permet de rester en contact permanent avec lui pour valider le travail de l'agence. « Ce dispositif est en place pour une période de trois mois renouvelables, précise Jean-Philippe Martzel. Nous ferons le bilan à la fin de l'opération, mais notre client semble plutôt satisfait.» La Nissan live room a d'ores et déjà permis d'établir une cartographie de la relation de la marque avec son audience.

Repenser toute la chaîne de production

Dernière initiative en date, de nouveau au sein du groupe de Maurice Lévy: la newsroom montée chez Publicis Consultants autour de la production de contenus pour Banque populaire. À la manœuvre, Marie-Sophie Joubert, directrice conseil adjointe dans cette agence corporate. «Le constat de départ, c'est que le temps de l'entreprise n'est pas le temps réel. Ses process ne s'y prêtent pas», explique la jeune femme. Résultat: même si ses contenus sont de qualité, ils sont postés en général trop tard et passent inaperçus. L'entreprise rate ainsi des occasions de prendre la parole quand une actualité le permet. «Il faut donc repenser la production des contenus pour répondre à ces enjeux», poursuit-elle.

 

Pour devenir un éditeur de contenus en temps réel, l'agence a monté pour la banque une newsroom dédiée. « Nous nous sommes beaucoup inspirés des médias, raconte Marie-Sophie Joubert. Après tout, les news chaudes, c'est leur métier. » L'agence a donc organisé une rédaction autour de trois pôles : le Lab, qui détecte les signaux forts ou faibles et les insights sur le web ; le Desk, qui produit les contenus à chaud en réaction à ce que le Lab lui transmet et la Factory. Celle-ci reste axée sur la production de contenus déjà programmés mais elle s'enrichit en permanence de ce qui remonte des conversations sur les réseaux sociaux. Autour d'une table, cette minirédaction se rassemble autour d'un directeur de clientèle. Il fait office de rédacteur en chef et constitue le point de liaison avec le client. Elle se compose de profils variés, directeurs éditoriaux, créatifs, concepteurs médias, creative technologists...

« Sur le web, le bon contenu, c'est le bon sujet au bon format, justifie Marie-Sophie Joubert. Et nous avons besoin d'experts qui nous apportent des propositions techniques dès la construction narrative. » L'équipe comprend aussi un « expert content amplification », tant il est vrai que même le meilleur Tweet du monde a toujours besoin d'un petit coup de push financier, du paid media, pour buzzer sur le Web.

 

Mise en place le mois dernier, la newsroom de Publicis Consultants a déjà convaincu un deuxième client. De même, TBWA a réenclenché ce processus de live adversiting, dans un format plus léger, pour Adidas, au moment du crunch de l'équipe de France de rugby contre l'Angleterre. « Cette expérience est suivie avec intérêt par d'autres clients, affirme de son côté Jean-Philippe Martzel. Quand on voit qu'aujourd'hui 53% des gens s'attendent à avoir une réponse dans l'heure quand ils posent une question en ligne, la brand live répond à ça. »

Repenser la relation agence-annonceur

Chez Saatchi & Saatchi Duke, on observe avec intérêt ces initiatives. « Nous n'avons pas de structure comparable, explique son président Elie Ohayon. Mais, pour des clients dont nous avons récupéré le social media comme Hollywood, Visa ou HSBC, nous sommes déjà en veille permanente, avec pour mission de suivre et de rebondir sur l'actualité. »
Dans ce monde «hypersaturé d'informations», «le concept de marque garde toute son importance et reste un repère», selon lui.

 

Le modèle va-t-il pour autant se répandre dans les agences ? Celles-ci sont prêtes, mais peut-être pas encore tous leurs clients... Comment, notamment, réussir à orchestrer une campagne publicitaire en temps réel tout en obtenant dans les temps le feu vert indispensable de l'annonceur ? Le cas Oreo est révélateur : si le tweet a pu partir aussi vite, c'est que le soir du Super Bowl, le client et son agence s'étaient retrouvés pour voir le match ensemble... Certes, il est possible, comme chez Digitas, d'installer un téléphone rouge pour joindre un client dès qu'une validation est nécessaire. Mais toutes les entreprises sont encore loin d'avoir acquis une telle agilité. Ancien journaliste, aujourd'hui dirigeant du cabinet conseil Heuristik et auteur du blogducommunicant2-0.com, Olivier Cimelière le reconnaît : « Dans la plupart des cas, le temps de latence est tel chez les annonceurs que s'ils devaient sortir un quotidien, celui-ci ne paraîtrait qu'une fois tous les quinze jours... »

 

 

War room ou news room ?

Il est important de distinguer les war rooms des news rooms. Les premières sont chargées d'effectuer une veille en temps réel sur une marque, de repérer des signaux faibles pouvant conduire à une crise. Parfois, une war room surveille aussi la concurrence, analyse les comportements, détecte les tendances. L'exemple type est la war room que Nestlé a monté en interne, à Vevey.

Dans une new room, la marque se place en tant qu'éditeur de contenus, à l'instar d'une rédaction. Ce n'est pas nouveau. Avec les consumers magazines notamment, c'est déjà le cas. La nouveauté, c'est qu'avec le digital, cette production de contenus sur la marque et ses produits se fait en plus en temps réel. L'exemple le plus abouti est le site corporate de Coca-Cola au niveau mondial. Il y a un an et demi, il a été entièrement refondu sous la forme d'un portail d'information sur les activités de Coca-Cola. Ce modèle, avec une ligne éditoriale gérée en fonction de l'actualité, est encore peu répandu en France.

 

Article paru dans le supplément Digital de Stratégies Magazine n°1762 

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