Avec la dématérialisation, les Français consomment différemment la musique, entraînant un nouveau rapport au "bien" musical et ouvrant de nouvelles perspectives à son industrie.

Absolue et imparable, la musique est le bien culturel qui met l'ensemble des Français au diapason. Une étude Ipsos Media CT pour la Sacem, de février dernier, l'atteste: 99% des Français écoutent régulièrement de la musique, et les trois quarts déclarent tout bonnement «ne pas pouvoir s'en passer». Avec une moyenne de 2 heures 25 minutes par jour, la musique s'écoute partout, aussi bien à domicile qu'en mobilité: en voiture sur son autoradio (68%), sur ordinateur (59%), à la radio (56%), sur une chaîne hi-fi (42%), à la télévision (39%) et sur son smartphone (31%). Selon une étude internationale menée par le service de streaming musical suédois Spotify, en avril 2014, deux personnes sur trois l'écouteraient même au travail, pour doper leur productivité (36%) ou tout simplement pour s'isoler de leurs collègues (16%).

Si l'écoute de la musique en format dématérialisé s'impose de plus en plus dans les habitudes des Français, elle ne supplante pas totalement les supports traditionnels. Selon l'étude LH2 du mois d'avril, menée pour le site Maréduc.com, nous écoutons encore principalement la musique sur CD (64%), à la radio (63%) et même sur vinyle (8%).

Changement de logique

Ainsi sur un marché de la musique enregistrée de 100,2 millions d'euros au premier trimestre 2014 (en recul de 7,1% sur un an), la part du marché physique représente encore près des deux-tiers des ventes (67,2 millions) mais accuse une baisse de 12,6%, tandis que le marché numérique à 32,9 millions, est, lui, en progression de 6,6%.

Le CD, en recul de 14%, n'est pas le seul support à souffrir. La «vente à la carte» digitale (téléchargement sur Internet et téléphonie mobile) est aussi à la peine, tandis que les ventes par le biais des mobiles (sonneries, titres, vidéos musicales...) s'écroulent de 36,1% au premier trimestre 2014. Les téléchargements payants sur Internet, quant à eux, chutent de 10,3%, selon le SNEP.

Et ce n'est pas tout! D'après les données compilées par le cabinet américain Morgan Stanley, les ventes de musique de l'Itunes Store se seraient effondrées de 24% entre 2013 et 2014. Ce danger n'est pas pris à la légère par Apple, qui a non seulement racheté l'entreprise de casques audio et de haut-parleurs Beats Electronics, mais surtout, sa plateforme de streaming Beats Music, dans l'espoir d'investir ce créneau qui semble aujourd'hui le plus porteur dans l'industrie de la musique.

En effet, avec le streaming, la logique d'accès à la consommation de la musique, accessible grâce à ce format en flux continu et sans téléchargement, a totalement changé. Le Web devient donc une gigantesque discothèque où tout ce qui est visible, tout ce qui devient audible, est à la disposition des internautes. «Internet a été un véritable tremblement de terre pour l'industrie musicale qui a dû assurer une transition vers l'usage en favorisant une logique d'accès. Il n'y a plus besoin d'être propriétaire de la musique que l'on écoute», confirme Guillaume Leblanc, directeur général du SNEP.

Ripping en hausse, streaming en poupe

Le streaming a définitivement le vent en poupe. Il est devenu le premier usage en ligne devant le téléchargement, représentant plus de 50% des ventes numériques, ce qui en fait le principal moteur de croissance du secteur. Selon le SNEP, les revenus publicitaires du streaming audio auraient augmenté de 8,2% en un an, entre le premier trimestre 2013 et 2014. Et les revenus du streaming par abonnement auraient gonflé de 41,6%. «Ce succès est dû à la bonne alliance entre des offres légales satisfaisantes, à la fois gratuites et de qualité mais également payantes à des tarifs raisonnablement accessibles», explique Pauline Blassel, secrétaire générale de l'Hadopi (Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet). Celle-ci se félicite que la musique soit ainsi «l'un des biens culturels que les Français consomment le plus de manière licite et pour lequel ils sont de plus en plus enclins à payer.»

A cet égard, le modèle économique du streaming fait des émules. En atteste le succès du français Deezer, deuxième plateforme de streaming la plus utilisée (23% du marché français), derrière le géant américain You Tube (54%) et le suédois Spotify (3%), selon une étude Opinion Way-Hadopi de juin 2013.

Sur un marché concurrentiel, l'enjeu pour les acteurs est, aussi, de rester à la pointe des attentes des consommateurs. Ainsi, Deezer - à l'instar de Spotify - a lancé en avril dernier un système de recommandation d'écoutes personnalisée et des offres de streaming exclusives sur mobiles et tablettes en écoute illimitée gratuite (contrairement aux offres générales restreintes à dix heures gratuites par mois) moyennant des coupures publicitaires. Ce modèle permet de fidéliser des «natifs du digital» (15-24 ans), qui ont pris l'habitude d'écouter leur musique sur mobile (82% des 16-19 ans et 73% des 20-24 ans, selon Strategy Analytics- juin 2014) et pour qui le streaming est le mode d'écoute privilégié (59% s'y adonnent régulièrement, selon LH2).

Le streaming a également entraîné une baisse des téléchargements illégaux. Certes, cette pratique touche encore 39% des jeunes mais ne concerne que 19% des internautes français et ne cesse de diminuer. L'utilisation du «peer-to-peer», partage de fichiers entre ordinateurs connectés à Internet, aurait, elle, carrément chuté de 30% en trois ans, selon Guillaume Leblanc du SNEP.

Last but not least, le streaming a donné naissance à un nouveau phénomène: le «ripping». Il s'agit de télécharger de la musique à partir de streams disponibles sur de nombreuses plateformes via des convertisseurs en ligne. Selon l'institut Hyperworld, 56% des consommateurs de musique digitale s'y adonneraient, et un quart utiliseraient You Tube à ces fins. La légalité du procédé dépendant toutefois de la nature du contenu et de l'exploitation qui en fait par la suite par l'internaute.

Dans cet environnement dématérialisé, le marché physique n'a pas dit son dernier mot. «Ce ne sera plus un marché de masse, mais il y aura toujours des consommateurs sensibles à l'objet physique, particulièrement s'il est collector», estime Pauline Blassel. Qui avait en effet prédit le retour du vinyle?

 

Les revenus de la musique enregistrée (1er trimestre 2014- en millions d'euros)
Marché physique 1er trimestre 2014
Evolution (% 1er trimestre 2013)
Albums  59,5   -13,8%
DVD  7,4  -3%
Singles  0,217  -11%
Total marché physique  67,2   -12,6%
     
Marché numérique 1er trimestre 2014 Evolution (% 1er trimestre 2013)
Téléchargement payant  14,7  -10,3%
Téléphonie mobile  1,7  -36,1%
Streaming par abonnement  11,6  +38,3%
Streaming financé par la publicité  4,8  +43,8%
Total marché numérique
32,9 
 +6,6%
Total marché
 100,2  -7,1%
Source: SNEP    

 

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