Longtemps négligée au profit de la performance, la création fait enfin ses premiers pas dans le secteur, enrichie par une science de la data de mieux en mieux exploitée. Une aubaine pour un marché en quête de pertinence.

En lançant en juin dernier une nouvelle catégorie «creative data», le festival international de la publicité de Cannes consacrait enfin l’avènement de la donnée au cœur du processus créatif. Un pas de géant pour l’automatisation publicitaire ciblée, secteur où l’attrait du message et sa mise en forme ont longtemps suscité l’indifférence.

Fascinés par des capacités de ciblage très poussées ainsi que par l’optimisation des stratégies d’achat, agences médias et annonceurs priorisaient à l’origine la course à la performance. Les agences de création, quant à elles, ne voyaient dans l’exercice de personnalisation qu’un travail de déclinaison laborieux et infini. En bout de course, dans une sorte de consensus général, l’adaptation du visuel de la campagne en simple bannière JPEG a longtemps gagné la bataille. «Les acteurs faisaient la moitié du chemin, avec des cibles très fines, à qui on se contentait d’adresser le message type de la campagne nationale», synthétise Nicolas Izel, directeur du channel planning pour Publicis Conseil.

Prise de conscience

Aujourd’hui, pourtant, le marché a la gueule de bois. Croissance inquiétante de l’utilisation des logiciels de blocage de publicité, taux de performance qui plafonne… il opère doucement sa prise de conscience sur la nécessité d’une création programmatique pertinente et mieux adaptée aux cibles identifiées. Question d’intérêt général autant qu’individuel. «Nos clients comprennent que la data ne suffit pas. Pour générer de l’attention et de l’engagement, la création doit être au cœur des enjeux de conception», rappelle Yann Daby, fondateur de l’agence de création digitale MadMix.

Faire amende honorable est une première étape. Intégrer un nouvel art créatif en est une autre, non moins essentielle. Centrée sur la donnée, soumise à l’épreuve du test and learn permanent, cette nouvelle création casse le schéma traditionnel publicitaire. Vincent Luciani, directeur général de l’agence de stratégie data Artefact, qui exploite la donnée en amont pour identifier les perceptions du consommateur qui définiront le mieux les fondamentaux de communication, décrypte: « On inverse les raisonnements. L’histoire se raconte par rapport aux cibles et non plus par rapport au produit. C’est une nouvelle manière de penser. » Le sacro-saint concept de la «big idea», idée phare et unique, vole donc en éclats au profit du storytelling, nouveau contenu conversationnel reposant sur la scénarisation de messages différents tout au long du parcours de l’internaute.

Des possibilités multiples

L’apparition de nouveaux formats, responsive par définition, c’est-à-dire capables de s’adapter à tous les types d’écrans, doit aider le créatif à raconter autrement. La boite à outils du rich media s’enrichit tous les jours, pour générer davantage d’interaction et d’engagement. En parallèle, le secteur peut aussi compter sur l’automatisation progressive de formats événementiels jusqu’à peu réservés aux opérations spéciales. En première ligne, Sublime Skinz, plateforme publicitaire créée en 2014 et proposant l’automatisation de l’habillage intégral des home pages et des rubriques de 1200 éditeurs. Jérôme Maréchal, directeur du bureau France, considère apporter une avancée réelle aux annonceurs: «avec plus de 94% de taux de visibilité et 66% d’agrément sur le format, le concept séduit et pèse déjà 7% des investissements publicitaires display.»  

Autre incontournable, l’exploitation de  la data et des possibilités de personnalisation du message qu’elle offre. «La nouvelle création devient analytique» rappelle Arthur Querou, directeur de l’activité mobile au sein de la régie Motion Lead by Adikteev. Les différents clusters, groupements de cibles par centre d’intérêt, reçoivent des messages en phase avec leurs attentes, leur statut de client ou de prospect, mais pouvant être aussi pensés pour un environnement détecté en temps réel : site ou éditeur consultés, conditions météo, localisation… Renault Occasions propose désormais des modèles correspondant aux recherches d’un internaute sur Leboncoin.fr, le Futuroscope adapte les attractions mises en avant selon la météo et Volkswagen customise  ses messages avec les scores du match en cours pendant l’Euro. Les nouvelles technologies de DCO - Dynamic Creation Optimization - poussées par des acteurs comme ADventori ou Google, aident de plus en plus et de mieux en mieux annonceurs et agences à diffuser instantanément des milliers de messages différenciés, avec un temps passé et des coûts unitaires moins importants qu’auparavant.

Le créatif doit aussi faire face à un autre corollaire de cette diffusion en temps réel, celui de la performance,  car «la plupart des campagnes sont aujourd’hui des réalités quantifiables et pouvant être optimisées», souligne Kamal Mouhcine, directeur des ventes Europe du Sud du DSP Turn. L’exemple du dispositif Zoé, imaginé par Marcel et OMD pour le constructeur Renault, parle de lui-même. La mesure des interactions sur les variantes créatives générées par la technologie d’ADventori a permis d’optimiser la combinaison création-média et réduire les coûts d’acquisition de 34% sur la période. 

Un changement culturel

Pour beaucoup, comme Yohann Dupasquier, président du trading desk Tradelab, la mutation qui s’opère est essentielle : « le contenu créatif doit être disrupté avec de nouveaux langages. La clef repose  sur un contenu plus serviciel». A la question de savoir si le créatif est prêt, la réponse ne surprend pas. « Une publicité mieux ciblée et donc mieux acceptée, ça m’intéresse. Le one to one va nous permettre de faire des choses absolument folles d’ici peu » prévoit Samuel Katan, directeur général de 84 Paris, agence de création digitale trois fois primée sur la dernière édition des Lions de Cannes.

Encore faut-il avoir les clefs, les agences de création semblant avoir été les grandes oubliées de la vague d’évangélisation réalisée par les ad tech ces dernières années. Une étude réalisée en mai 2016 par Morar Consulting au Royaume Uni pour le compte du fournisseur du DSP Turn met aussi en exergue les difficultés que rencontrent plus d’un créatif sur trois pour obtenir de la part des marques la data nécessaire pour concevoir leurs campagnes, alors même que 90 % d’entre eux estiment ces informations indispensables.

Beaucoup prennent les devants, recrutant de nouveaux profils en charge d’accompagner les créatifs dans cette acculturation : data scientists, data scénaristes ou même channel planners, profils souvent chassés dans les agences media pour infuser leur expertise. La bascule vers cette création nouvelle génération est donc bien réelle. Elle sera, à trois ans, probablement encouragée par l’émergence de nouvelles solutions technologiques simplificatrices, des budgets plus conséquents et investis par des annonceurs maintenant conscients des enjeux, ainsi que par la progression des campagnes de branding et d’image, qui poussera encore le niveau d’exigence créative. De nouveaux medias accéderont également à l’automatisation, élargissant d’autant les possibles. En Angleterre, Renault vient de réaliser une des premières campagnes d’affichage individualisé avec diffusion de messages conçus en fonction de la couleur et de la marque des voitures arrêtées au feu rouge. Pour Carole Ellouk, directrice marketing d’ADventori, le meilleur reste à venir : « le Graal publicitaire originel, dont on s’était peut être éloigné un temps, et qui consiste à toucher la bonne personne avec le bon message, est enfin à portée de campagne».

Encadré 1

L’alternative native

Les heures du format display seraient désormais comptées, sur un marché bientôt dominé par le duo des formats événementiels et du native, capables de mieux répondre aux besoins d’une publicité programmatique en recherche d’émergence et de pertinence. Mais alors que le rich media se cherche encore (cf. ci-contre), le format native, naturellement intégré aux flux media des éditeurs, a déjà pris son envolée.  Non intrusif, il sait à la fois offrir à l’annonceur une approche responsable et une réelle efficacité. « Nous relevons un taux de clic moyen allant de 0,8% à 1,5%, versus 0,005% pour les formats displays reconnus par l’IAB » commente Mickael Ferreira, président de Quantum Adversting, plateforme de publicité spécialisée sur ce format.  Un mix de qualité et de performance qui rassure et convertit même de plus en plus de marques de luxe au programmatique, comme en témoignent les récents exemples des campagnes Clarins, Nuxe ou Jaguar (cf. étude de cas). En France, une étude Enders Analysis estime que le marché du native advertising devrait atteindre 824 millions d’euros en 2020, contre 343 millions d’euros en 2015. Une tendance internationale, puisque la même étude prédit que le format pèsera plus de 50% sur le marché de la publicité digitale sous quatre ans en Europe.

 

Encadré 2

Le rich media face à ses contradictions

 

A l’heure où le programmatique veut orienter sa création vers plus d’engagement, le rich media fait débat. Proposant une expérience enrichie, ces formats pourraient être les mieux placés pour lutter contre une saturation publicitaire de la toile au sens propre comme au sens figuré. Les possibilités sont nombreuses - expand, interstitiel, push-down, parallax… - et souvent impactantes dans leur mise en scène : superposition de contenu, transparence, déploiement de la publicité sous la souris, effet avant après, vidéo 360°… Certains, comme l’agence de création MadMix, prototypent même actuellement des formats 3D permettant de manipuler le produit sous tous ses angles. Evénementielle par essence, cette forme de création peine pourtant à se systématiser dans les campagnes. Premier frein, les normes de I’IAB (Interactive Advertising Bureau), suivies de près par les éditeurs pour lutter contre l’intrusivité, et par là même brider une certaine forme de créativité. Autre écueil et non des moindres: le temps de chargement. Pour Erwann Le Page, Président d’Audience Square, le sujet est clef : « A l’heure du device personnel, la réflexion sur l’ergonomie et la fonctionnalité devient essentielle. Pour quelques secondes de latence, on peut perdre 80% de son audience.». Si certains acteurs comme la régie Motion Lead by Adikteev contournent le problème avec une technologie propriétaire produisant des formats plus légers, c’est sur les constructeurs qu’il faudra réellement compter pour libérer la créativité des campagnes. 

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