Dossier Design
Les agences françaises cartonnent à l'international, grâce à l'image du luxe, mais aussi à une approche créative et à des méthodes de travail qui les distinguent des autres nationalités.

En musique, le terme de French touch évoque les Daft Punk, ces DJ casqués qui mixent les influences pour créer un langage universel. Dans le design aussi, pas besoin de porter la marinière pour plaire à international. Les agences françaises ont une aura particulière, ce « je ne sais quoi » que les autres nationalités n'ont pas. Comme le résume Philippe de Mareilhac, président de l'agence d'architecture commerciale Market Value: «Les étrangers ont de la France l'image d’un pays créatif dans la mode, le design, la beauté et même l’entreprise. C’est vrai que par rapport à d’autres grands pays, on sait allier business et création. La French touch, c'est aussi une certaine sophistication et une élégance.» L'agence exporte son savoir-faire grâce à son travail pour Une Heure Pour Soi, Marionnaud ou encore Le Slip Français. Fort de son expérience avec Dior, Hubert de Malherbe a commencé à explorer la Chine il y a neuf ans. Malherbe Design travaille aujourd'hui pour d'énormes projets de centres commerciaux à Shanghai, Hong Kong, Séoul… « De 80 % de notre chiffre d'affaires réalisé en France il y a neuf ans, nous sommes passés à 70 % réalisé à l'étranger », se félicite le dirigeant, qui se rend une semaine par mois en Asie. Depuis huit ans, Centdegrés a étendu sa présence sur le continent avec des bureaux à Shanghai, Pékin, Hong Kong, Canton, Chengdu et depuis peu Ho Chi Minh Ville au Vietnam. Loin du déclinisme ambiant, Matthieu Rochette Schneider, directeur général de Centdegrés Chine, se veut positif : « Les Français sont très bien accueillis en Asie. Il faut se montrer à la hauteur et faire fructifier cette chance que nous avons. »

Appétit frenchy

La bonne image du design français ne tient pas qu'à l'influence de la mode et des cosmétiques. Elle s'applique aussi à la grande consommation, comme a pu le constater Sylvia Vitale Rotta, présidente du groupe Team Créatif qui vient d'ouvrir un bureau à Jakarta en Indonésie : « Dans l'alimentaire, les agences françaises font preuve d'un respect de la qualité gustative très apprécié des étrangers. Elles expriment plus de gourmandise, plus de plaisir, plus de naturalité. Les Britanniques ont un design très esthétique mais trop minimaliste pour l'Asie-Pacifique. » L'appétit des Français pour la bonne chère est un atout dans les négociations : « Les clients étrangers nous aiment aussi parce qu'on aime manger » sourit Boris Gentine, directeur de création associé de Saguez & Partners. «Quand on travaille pour des aéroports ou des hôtels, ce n'est pas anecdotique. »Ces sacrés Français tranchent décidément avec le pragmatisme anglo-saxon. « Les Chinois trouvent chez nous une fantaisie, une créativité, un humour qu'ils ne trouvent pas ailleurs », estime le fantasque Hubert de Malherbe. « Dans les réunions avec les clients, je suis le trublion » s'amuse Kheireddine Sidhoum, directeur de création international de Dragon Rouge, un poste créé il y a trois ans pour fédérer les neuf agences du groupe indépendant. « En tant que Français on est plus libres de dire les choses par rapport aux Etats-Unis où les rapports sont lissés. » C'est sur ce positionnement que David Cabaleiro a monté il y a un an l'agence Les Frenchy, basée à Paris et à New York : « Notre nom fait sourire les clients américains. On revendique notre mauvais accent anglais, notre culture parisienne. Les marques pour lesquelles on travaille recherchent ce côté décalé. »

Modèle de rigueur

Il ne faudrait pas en conclure que les agences françaises manquent de rigueur par rapport à leurs homologues anglo-saxonnes. Au contraire, c'est ce côté latin, allié au souci du détail, qui fait la différence. Atelier Pascalie, prestataire de L'Oréal Paris en Chine, a pu le constater : « Sur le marché chinois, la marque est en concurrence avec des acteurs du sélectif, la barre est haute en termes de design. Nous sommes capables de fournir des finitions très sophistiquées, avec des effets nacrés, irisés, parfois des flacons en verre », affirme le fondateur Olivier Pascalie. « Pour nous, la French touch c'est plus une démarche qu'un style » souligne Boris Gentine de Saguez & Partners, qui travaille actuellement sur l'aéroport de Sao Paulo. « On est capables de se plonger dans l'histoire d'un pays pour faire ressortir les valeurs qui lui correspondent et associer les acteurs locaux. » L'agence a procédé ainsi pour l'aéroport de Santiago du Chili, qui souhaitait une identité propre. La capacité des designers français à se fondre dans la culture d'un pays est une compétence reconnue. C'est ce qui a permis à Centdegrés d'être choisie par la marque chinoise de cosmétiques Herborist il y a huit ans. « A l'époque, être chinois et élégant, personne n'y croyait. Nous avons prouvé à nos clients qu'ils pouvaient être fiers d'eux-mêmes, de leur passé », rappelle Matthieu Rochette Schneider. L'agence poursuit cette démarche avec Saigon Cosmetics Corporation (SCC), son premier client vietnamien. « Le design est là pour injecter des codes internationaux dans la marque tout en respectant ses valeurs », souligne Kelly Luu, directrice du bureau local.« Auparavant, les marque chinoises voulaient un style international. Aujourd'hui elles veulent révéler ce qu'elles sont pour le rendre universel » explique Christophe Pradère, président fondateur de BETC Design. « Les clients viennent nous chercher pour avoir un mode de pensée complexe. Les agences anglo-saxonnes vont droit au but mais elles ne sont pas dans la construction d'un imaginaire de marque. » Ce n'est pas de l'arrogance, mais bien un avantage compétitif, qui a permis aussi à l'agence de branding sonore Sixième Son de bâtir, lentement mais sûrement, un réseau international avec des antennes à New York, Chicago, Barcelone, Moscou. L'identité sonore de la SNCF en 2005 est devenue un modèle du genre qui a même fait l'admiration de David Gilmour, le cofondateur des Pink Floyd. Pas mal pour des « Frenchies ».

Ces agences qui ne dorment jamaisChez Landor, Brand Union, CBA, trois agences du groupe WPP, mais aussi FutureBrand (Interpublic) ou l'indépendante Dragon Rouge, le réseau n'est pas un vain mot. « Sur le budget Procter & Gamble, on peut travailler sur trois fuseaux horaires, Singapour, Cincinnati et Paris » explique Luc Speisser, directeur général de Landor Paris et Genève. « En 24 heures on mobilise 20 personnes sur un dossier. » « Quand je me suis levé ce matin, j'avais un mail de Singapour » renchérit Kheireddine Sidhoum, directeur de création international de Dragon Rouge. « Avec Hangout et Skype on est connectés au quotidien. » Pour que la culture du réseau soit une réalité, certaines agences sont incentivées sur les résultats du groupe, au niveau mondial pour Brand Union, européen pour Landor. Elles mettent aussi en place des méthodes communes, par exemple les « crusades » chez CBA, des études exploratoires en supermarché. Mais rien ne vaut le contact humain, avec des réunions entre patrons de bureau au moins une fois par an. Landor les a instituées par communautés de métier et a même lancé une compétition créative interne pour encourager l'émulation. Gérer des équipes internationalesAvec des salaires plus bas et des impôts plus haut qu'à Londres, Paris peut avoir du mal à attirer les talents. Les agences en réseaux contournent la difficulté en créant des programmes d'échanges entre bureaux, sortes de « Vis ma vie » qui ouvrent les horizons. Landor Paris organise des cours de français, afin que les salariés étrangers soient intégrés dans le pays. Les agences travaillent aussi leur marque employeur. « Nous voulons devenir une des marques les plus attractives des millennials, qui ont envie d'entreprendre », affirme Jérôme Lhermenier, directeur adjoint de FutureBrand Paris.

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