Un bad buzz est vite arrivé. Mais les professionnels de la communication corporate veillent au grain. Ils mettent en avant leurs qualités de vigies et de stratèges, notamment auprès des CEO. Tour d’horizon. Un article également disponible en version audio.

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En 2024, la distinction entre la communication corporate et les relations publics n’a plus lieu d’être pour les professionnels. « Il y a aujourd’hui de nombreux sujets sensibles en communication corporate, débute Cyrille Arcamone, vice-président du SCRP (Syndicat des agences conseil en relations publics) et fondateur de l’agence Maarc (30 collaborateurs). Je pense à la relation des marques avec leurs fournisseurs (à la juste rémunération d’une filière agricole, par exemple) ou aux modes de production. » Des sujets qui impliquent une connaissance des clients, de leur marché, de leur historique, de la réglementation (CSRD, compliance…). « Nous avons un très bon taux de rétention de nos clients et nous sommes fiers de cette longévité. Cela nous permet d’être experts de leurs problématiques », intervient Emilie Molinier-Ravage, directrice associée chez Maarc. « On construit des relations de proximité et de confiance, un peu comme un médecin de famille avec ses patients », fait valoir Alexandra van Weddingen, présidente et fondatrice d’Alva, un cabinet de conseil spécialisé en communication stratégique, corporate et sensible, créé en septembre 2022 (trois consultantes, une dizaine de clients).

Besoin de « boussoles »

« Qui dit corporate dit réputation et communication d’engagement », résume Philippe Lucas, président de l’agence Wellcom (80 collaborateurs). Dans un monde « en crise quasi permanente, les dirigeants ont besoin de boussoles, de disposer de grilles de lecture complémentaires à celles qu’ils peuvent déjà avoir en interne », poursuit Alexandra van Weddingen. « Le monde devient très agité et incertain pour les entreprises qui, depuis cinq ou six ans, ont davantage besoin d’un regard extérieur pour structurer leur communication », renchérit Amaury Bessard, managing director du pôle corporate d’Edelman France, qui réunit une quarantaine de collaborateurs sur les 120 que compte l’agence. « Edelman France est dans une bonne dynamique, avec une montée en puissance du “business crise” et du “license to operate” », informe-t-il. Le « license to operate » désigne les leviers par lesquels une entreprise va obtenir l’assentiment de la population pour mener à bien une activité comme, par exemple, un chantier d’autoroute.

« On voit de plus en plus apparaître un volet com de crise dans les briefs corporate, renchérit Stéphanie Bastide, directrice associée de Wellcom. Les clients nous demandent d’être en capacité de les accompagner s’il se passe quelque chose. » Un besoin qui demande aux agences « de savoir gérer les opinions », insiste la spécialiste, et de cartographier les risques, avec plusieurs dimensions en arrière plan, qu’elles soient climatiques, environnementales, économiques, financières, politiques ou géopolitiques (les guerres en Ukraine et à Gaza, la répression des Ouïghours…). Les crises sont protéiformes : une erreur humaine, un accident industriel, une contamination due à une bactérie, une action militante, une enquête journalistique, une action en justice… Il y a aussi les mauvaises pratiques managériales ou encore les risques informatiques avec les cyberattaques et tous les enjeux autour des données personnelles. Et pour les anticiper, « les clients demandent une expertise technique et sectorielle de plus en plus fine », fait savoir Amaury Bessard, chez Edelman France, qui compte parmi ses clients les plus exposés TotalEnergies, remporté en décembre 2023 sur les volets com de crise et formation des dirigeants.

Spécialistes de la veille

Les professionnels de la com corporate sont désormais des spécialistes de la veille. « Avec Data Observer, on développe un outil de veille spécifique au B to B », informe Salima Aït Meziane, directrice associée de Rumeur Publique (120 collaborateurs). « Pour le Service d’information du gouvernement (SIG) et l’Éducation nationale, on assure le prolongement de la veille le matin très tôt, le soir très tard et le week-end », illustre de son côté Cyrille Arcamone, chez Maarc, où la veille représente un quart de l’activité. « On a mis en place des binômes consultants-veilleurs capables de détecter les signaux faibles, détaille sa collaboratrice Emilie Molinier-Ravage. On voit monter certains sujets, on se dit : “demain, ça fera l’actualité” dans une logique de “newsjacking”. » Car « certes, il y a des risques mais il y a aussi un certain nombre d’opportunités, remarque Cyrille Arcamone. Lors des consultations d’agence, on ajoute systématiquement une touche corporate : qu’est-ce que votre marque a à dire, quel est le sens de votre entreprise ? »

Car les entreprises ont intérêt à s’emparer des sujets de société. « “Une marque sans prise de position est une marque sans influence”, c’est la signature de Rumeur Publique depuis sa création, en 1988 », fait remarquer Salima Aït Meziane. Mais attention, « on est passé d’une communication d’engagement à une communication de preuve », prévient Amaury Bessard, chez Edelman. Il s’agit de démontrer ce que l’entreprise fait de bien avant de communiquer sur ses ambitions RSE. Amaury Bessard prend l’exemple du groupe Mars Inc., pour qui Edelman a organisé, en octobre 2022, une promenade immersive (avec des casques de réalité virtuelle), dans une galerie d’art parisienne, à destination des leaders d’opinions (acteurs de la grande distribution, institutionnels, journalistes spécialisés…). L’objectif était de « rendre concrets les engagements du groupe » alors que pèse l’ombre de la déforestation et du travail forcé des enfants dans les plantations. L’opération a pris place alors que le groupe vise un approvisionnement en chocolat « 100 % responsable et traçable » dans le monde d’ici à 2025, un objectif déjà effectif dans ses usines en Europe, souhaite préciser la marque.

Alerter l'opinion

Mais la démonstration des engagements de l’entreprise peut aussi se faire par la voix des dirigeants. En la matière, on peut prendre l’exemple récent de Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements écoresponsables Loom. Élue coprésidente du Mouvement Impact France en mai 2023, la dirigeante de 35 ans prend la parole depuis plusieurs années (elle a notamment animé une conférence TEDx en 2020) pour alerter l’opinion publique sur les conditions de fabrication de la fast fashion. Figure militante contre la surproduction et la surconsommation textile, l’entrepreneuse, suivie par plus de 23 000 personnes sur LinkedIn, était invitée début mars sur les plateaux de BFMTV et Arte, ainsi que sur les antennes de France Inter et Franceinfo, alors que la proposition de loi pour endiguer le phénomène Shein était en préparation (elle a été adoptée par les députés en première lecture le 14 mars). Attention cependant à « ne pas faire reposer la com corporate sur le seul dirigeant, avertit Philippe Lucas. Il faut identifier au sein de l’entreprise qui a la légitimité de porter quel message. »

Au-delà de la communication corporate, l’accompagnement des dirigeants est un marché en voie de renouvellement. « Une nouvelle génération de leaders émerge. Ils ont besoin d’un nouveau type de conseillers », estime Grégoire Kopp, ancien directeur de la communication de l’Olympique de Marseille, qui a investi le créneau. Il a fondé son cabinet GRK Impact & Comms en 2021 (quatre collaborateurs, 35 clients accompagnés en trois ans) et propose des services de « chief of staff externalisé ». « On travaille beaucoup avec WhatsApp et les messages vocaux », fait savoir ce fin stratège. GRK Impact & Comms a notamment accompagné Sophie de Closets, ex-PDG des éditions Fayard, pour orchestrer la sortie, en janvier 2022, des Fossoyeurs de Victor Castanet, une enquête au long cours sur la maltraitance au sein des Ehpad Orpea. « L’idée était de créer un tapis de bombes médiatiques et politiques pour permettre au livre de rester dans l’actualité et obliger le gouvernement et les oppositions à réagir », relate-t-il. À ce jour, l’ouvrage a dépassé les 200 000 ventes et Victor Castanet a reçu le Prix Albert Londres du livre. Après deux ans de scandale, Orpea s’est rebaptisé Emeis, le 20 mars 2024. Un futur cas d’école de résilience grâce à la com corporate ?

Un chiffre d’affaires en croissance

Concernant la santé financière des agences, le SCRP, le syndicat des agences conseil en relations publics, communique sur leurs bons résultats en 2023. Selon une étude menée avec le cabinet Occurrence, le chiffre d’affaires est en croissance de 5,2 % sur l’année (et 3,3 % d’augmentation pour leurs honoraires). Si les agences se portent bien, certaines disent faire face à des difficultés, notamment le gel de projets, renvoyés aux calendes grecques. « Il y a une attention portée par nos clients sur leurs performances internes et moins d’énergie déployée pour parler de leurs transformations, pourtant à l’œuvre. Derrière ce conservatisme, on sent une envie des dircoms d’impulser des projets mais, pour autant, on ne voit pas arriver de nouveaux briefs », confie un dirigeant d’agence. « La compétition entre agences se fait moins sur le business, elle se fait davantage sur le recrutement des talents », rapporte à son tour Amaury Bessard, managing director du pôle corporate d’Edelman France. Néanmoins, le SCRP relève une moindre tension de ce côté pour les agences.