BILLET

Il y a quinze ans, le champ de bataille langagier voyait s’opposer les tenants et les opposants de l’anglicisme «digital». Aujourd’hui se profile un nouveau virus redoutablement agressif : la contagion du «je vous partage».

Certaines luttes sont d’une infinie noblesse, même si elles semblent perdues d’avance. Il y a quinze ans, le champ de bataille langagier voyait s’opposer les tenants et les opposants de l’anglicisme « digital ». Ses contempteurs, qui remplaçaient systématiquement le terme, - désignant en français, « ce qui appartient au doigt »-, par « numérique », se souviennent, non sans amertume, avoir jeté le gant, de guerre lasse.

Aujourd’hui se profile un nouveau virus redoutablement agressif : la contagion du « je vous partage ». « Je vous partage » ces documents, « je vous partage » les photos de mes « kids », « je vous partage » mon avis sur le conflit au Moyen-Orient. Pitié… Est-ce si épuisant d’utiliser une toute petite préposition, le tout simple « avec », qui rendrait la phrase, comme par magie, grammaticalement correcte : « Je partage AVEC vous » ? À quoi peut bien ressembler la psyché des personnes qui emploient « je vous partage » ? Se sentent-elles plus « cools », plus professionnelles, plus « digitales » ? Mystère de l’âme humaine.

Je n’ai jamais oublié cette phrase de Madame Vermeersch, ma prof de français de 4e au Collège Brizeux de Quimper, qui entendait nous prémunir contre les appas trompeurs du « malgré que » : « Lorsque vous dites “malgré que”, cela imprime “inculte” en lettres de feu sur votre front ! ». Pour moi, le « je vous partage » marque, lui aussi, son locuteur au fer rouge. Mais peut-on encore résister ? Entre l’épouvantablement laid « insulter de » et le plouc-issime « je vous partage », faudra-t-il choisir ses combats ?

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