Le stage obligatoire apparaît dans le calendrier des jeunes en classe de seconde dès juin 2024. Et si l’annonce a été bien perçue, quelques grincements de dents se font entendre deux mois avant son entrée en application.

Le stage obligatoire en classe de seconde ? Une annonce que l’on doit au furtif ministre de l’Éducation nationale, Gabriel Attal, en septembre 2023, avec une entrée en application rapide. Élève du lycée Saint-François d’Assise de Montigny-le-Bretonneux (Yvelines), Marius Loupy est dans les starting-blocks : sa recherche est en ligne depuis fin 2023 sur son profil LinkedIn, créé pour l’occasion. Il a tout d’un grand. Le parcours balayé, les entreprises ciblées (médias, institutions politiques), tout y est : la motivation est palpable. Mais pour l’heure, pas de piste solide en vue. Cette expérience professionnelle en entreprise devient une figure imposée au programme des quelque 560 000 lycéens en seconde générale ou technologique.

Pas de « stage kebab »

Les questions d’orientation, la découverte de métiers pas si faciles d’accès dans le monde du digital, Yann Gabay en a fait son métier. Il a créé Oreegami. Et mardi 2 avril, il est allé précisément à la rencontre des classes de seconde à Montpellier. Selon lui, le message à tenir est clair : « un stage constitue toujours une bonne idée, mais il ne faut pas prendre le premier venu. Pas de "stage kebab", pour reprendre le titre d’un article du Monde, explique-t-il, en référence à ces stages par défaut que font les jeunes de banlieue dans une épicerie ou un commerce souvent tenu par un proche. Facile à dire, mais quand les parents sont ouvriers ou femmes de ménage… Les entreprises jouent le jeu… sur le copinage. » Un coup de fil à un ami, un CV glissé entre deux portes : des réflexes bien communs, tout particulièrement dans le tertiaire. Le mot d’ordre chez Vivendi : les enfants des collaborateurs d’abord.

Bien conscientes de ces travers, certaines entreprises ont fait le choix – a contrario - d’ouvrir grandes leurs portes. Ainsi, Le Point a fait passer un message sur LinkedIn, un appel à candidatures. Message rapidement retiré, victime de son succès, « pour ne pas faire de déçus », confie Armelle Le Goff, directrice adjointe de la rédaction. Une étude de la fondation Jean Jaurès, parue fin novembre 2023, montre l’intérêt des 18-24 ans pour ces immersions : pour 74 %, les stages ont été utiles dans leur vie et dans leur parcours. « On fait des efforts, commente Armelle Le Goff, pour leur concocter un cheminement de découverte de la rédaction, du numérique… Cela demande une gestion. Je fais un tableau Excel… », sourit-elle.

« Ces initiatives de rencontre de l’école et de l’entreprise sont plus que jamais nécessaires pour participer à l’effort général, commente Benoit Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (DRH). Les salariés sont assez volontaires. Il n’y a pas d’obligation à tutorer. » Mais il y a un prérequis à la réussite du dispositif, tant pour les jeunes que pour les entreprises qui les accueillent. Une condition sine qua none : l’accompagnement.

« Certes, on va retrouver des pratiques hétérogènes d’un établissement scolaire à l’autre, note Laurent Sovet, maître de conférences en psychologie à l’université Paris Cité, spécialiste des expériences d’apprentissage dans le parcours de formation, mais l’accompagnement pédagogique avant, pendant et après, est essentiel pour bien les aider à faire la différence entre présence et expérience. » Est-ce que les jeunes voient les bénéfices attendus ? Ils sont 1,4 million à être concernés (560 000 lycéens et 822 000 en dernière année de collège). De quoi créer un vrai marché comme l’a flairé la maison d’édition Nathan avec la parution de « Son carnet de stage ».

Effet d'engorgement

Le sujet fait grimacer, d’autant qu’il demande plus aux entreprises : une semaine en classe de troisième, et maintenant deux en seconde… . « Nos collaborateurs n’ont pas de temps disponible, s’agace Frédéric Cronenberger, président de Novembre, agence conseil en communication intégrée, pas de temps gratuit à mobiliser à la place de l’enseignement. Nos métiers ne comptent pas de tâches répétitives à leur déléguer. Sans parler de fausse bonne idée, les modalités vont constituer un frein. Ces jeunes ne vont être que dans des jobs où on a besoin de 15 jours de main-d’œuvre. »

Et puis, le calendrier choisi – à savoir du 17 au 28 juin -, est régulièrement critiqué. « On a souvent déjà des stagiaires d’études supérieures sur la période de mai-juin, note Jean-Baptiste Guignot, réalisateur, à la tête Des Pirates, agence de communication, donc on n’aura pas de place supplémentaire. » À quelques jours des Jeux olympiques, le grain de sable est encore plus gros pour le secteur de la communication, de l’événementiel…

« L’effet d’engorgement est redouté, explique Juliette Couaillier, directrice talents et innovation RH chez Vivendi. Et en tant que société de services, on n’a pas de poste informatique pour chacun des stagiaires. Avec un protocole en place d’une personne pour un ordinateur, cela peut dégrader l’expérience. Ce stage correspond à la reconquête du mois de juin, certes, mais c’est l’entreprise qui la gère… »

Pourtant Jean Pralong, professeur, titulaire de la chaire compétences, employabilité et décision RH de l’École de management de Normandie, reste immanquablement optimiste : « Les entreprises sont habiles pour transformer les pépins en pépites, relève-t-il. Elles contribuent ainsi à un effort de présocialisation, même si elles n’en auront pas les fruits. Cela demande une vision globale. »

Trois questions à Philippe Gineste, directeur de Citéco, qui accueille jusqu’au 21 avril l’exposition temporaire « L’Économie selon Astérix »

Les collégiens et lycéens méconnaissent-ils le monde de l’entreprise ?

Effectivement, c’est un monde fermé aux enfants et aux ados. Ils voient leurs parents partir et revenir le soir. Et entre les deux, c’est un trou noir. En outre, le partage en famille porte souvent sur des expériences négatives. L’entreprise n’est pas vue comme un lieu de créativité, de développement personnel, de création de valeur ou d’opportunités… Plutôt comme un lieu qui fait peur. Aussi, c’est important de pouvoir ouvrir les portes et les chakras et de les aider à se projeter le plus tôt possible.

Ce nouveau stage peut-il faire modifier ce désamour ?

Le temps scolaire doit cibler les savoirs fondamentaux. À partir du collège, placer des stages hors du temps scolaire de façon perlée, à raison d’une journée en immersion de temps en temps, me paraît être la bonne formule. Avec des expériences différentes, dans le tertiaire, le primaire, le secondaire, pour mieux saisir les opportunités, et non pas choisir ce qui rebute le moins. Il y a plein de vacances pour le faire… Et l’éducation des enfants ne passe pas que par l’Éducation nationale, mais aussi par les entreprises, les parents, les organisations syndicales…

Astérix parle-t-il de l’entreprise ?

Il est assez peu question des grandes entreprises, excepté dans Le Bouclier arverne. Astérix part alors en Auvergne et il visite des pneumatiques. On y voit un lieu administré, avec des postes de travail. Sinon, la place est surtout faite aux artisans, commerçants… Mais ce compagnon pour la vie qu’est Astérix a permis à un public un peu plus jeune et plus familial de venir.

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