Qui sont ces filles postées à l'entrée du Palais des festivals, à Cannes à la recherche d'invitations? Y a-t-il des films colombiens dans la programmation? Y a-t-il, en fait, une actualité à Cannes en dehors des défilés d'égéries L'Oréal et des soirées à la villa Inrocks? La réponse est oui, et il existe même un média couvrant cette autre actualité, le blog Cannes vu par, lancé par Canal France International.
La filiale de France Télévisions chargée de soutenir le développement des médias à l'étranger a invité un petit groupe de blogueuses de pays du Sud et du Caucase, en l'occurrence de Géorgie, du Liban, de Tunisie, du Togo, de Madagascar, d'Ouganda et d’Égypte, à couvrir le 65e Festival de Cannes. Ainsi, des journalistes ou chroniqueuses qui n'auraient jamais eu les moyens financiers, logistiques et techniques d'assister à la célèbre manifestation peuvent partager leur point de vue sur l'événement.
L'opération en est en fait à sa troisième édition, mais est pour la première fois relayée sur «les nouveaux médias» - les blogs - et son équipe constituée uniquement de femmes.
«En 2010 et 2011, nous faisions du journalisme plus traditionnel, se souvient Guillaume Pierre, directeur Afrique de CFI. Des reportages audiovisuels qui étaient transmis aux télés partenaires de CFI. Mais la situation a évolué: les nouveaux médias se sont développés, les "journalistes citoyens" ont de plus en plus d'influence dans les débats. On a beaucoup parlé de la Tunisie, mais ce que l'on sait moins, c'est qu'au Sénégal, si les élections se sont bien passées, c'est aussi parce que les journalistes twittaient en direct des bureaux de vote...»
Cannes vu par est donc devenu un blog collectif. Son rédacteur en chef, Cédric Kalonji, éminent spécialiste des nouveaux médias, assure en même temps une formation à sa rédaction. Mais les blogueuses associées au projet ne sont pas des débutantes. «Nous recherchions des personnes qui avaient déjà un blog, qui étaient déjà lues, pour simplement les tirer vers le haut, explique Guillaume Pierre. Après, le fait que ce soit des femmes, cela s'est fait naturellement. Il y avait une dominante féminine dans la sélection de départ, alors on s'est dit que cela serait sympa... C'est un bon signal, je trouve, surtout après cette polémique à Cannes sur l'absence de femmes réalisatrices.»
Espace de rencontres
Parmi les invitées figure une jeune femme malgache, Lalatiana Rahariniaina. Elle blogue depuis 2010 sous le pseudo Ariniaina. «Mon blog[Ampela miblaogy] signifie "Femme qui blogue", raconte Lalatiana. Je parle de la vie sociale et de la culture, à Madagascar surtout, mais mon public cible n'est pas Madagascar, où la connexion à Internet est assez limitée. C'est le reste du monde. Je veux donner la vraie version de Madagascar. Pour effacer l'image du film Madagascar...», s'amuse-t-elle.
C'est en remportant, il y a deux ans, le concours Mondoblog de RFI (qui avait pour but de créer et de former une communauté de blogueurs francophones), que Lalatiana est entrée en contact avec Cédric Kalonji, lequel l'a proposée pour intégrer l'équipe cannoise. Cannes est une excellente expérience, assure-t-elle. «C'est la première fois que je découvre la France, confie Lalatiana. Et j'ai rencontré d'autres blogueurs, comme Rosebell Kagumire, blogueuse ougandaise, qui est devenue une grande amie.» La jeune femme lui a en effet consacré un billet sous forme de portrait chinois.
Autre aspect positif du projet: la diversité des sujets. «Nous nous intéressons à des sujets que ne traitent pas les grands médias, affirme Lalatiana. De mon côté, je me suis penchée sur la production cinématographique africaine. J'ai notamment rencontré deux réalisateurs malgaches.» Et des filles désespérées à la recherche d'invitations, donc.
Les statistiques de fréquentation du blog sont «très bonnes» selon Guillaume Pierre, avec 10 000 visites depuis le début du festival. Il compte près de 2000 amis sur Facebook. Prochain projet du CFI: inviter des journalistes, du Sud toujours, à couvrir le Sommet de la Terre de Rio.
