Réseau social
Un important changement d’algorithme, annoncé par Facebook le 11 janvier, secoue l’univers des médias, en France notamment. Pour certains, la chute du trafic est sévère. Explications.

« Facebook a été conçu pour rapprocher les gens et construire des relations. Mais récemment, notre communauté nous a indiqué que les contenus publics – les publications des entreprises, des marques et des médias – noient les moments personnels qui nous rapprochent. » Ainsi commence l’histoire que Facebook raconte pour expliquer son récent changement d’algorithme, annoncé le 11 janvier dernier. Pour y remédier, le fil d’actualité privilégie désormais les contenus partagés par les amis et la famille, au détriment des publications des marques ou des médias. « Avec ces changements, les pages peuvent voir leur reach (le nombre de personnes exposées), le temps de visionnage des vidéos et le trafic généré baisser (…). Les pages dont les publications suscitent peu de réactions ou de commentaires pourraient subir la baisse la plus importante », prévient Facebook.

Un rôle d'éditeur à éviter

Pour Guilhem Fouetillou, cofondateur de l'agence Linkfluence, spécialisée dans l'analyse des médias sociaux, ce sont surtout les médias qui sont touchés par ce changement d’algorithme. « Les marques avaient déjà été habituées à ce que leur reach organique tende vers zéro. Les médias disposaient d’un traitement de faveur en raison de la valeur qu’ils produisent pour la plateforme. Aujourd’hui, pour sortir de la responsabilité morale, politique et éthique qui rapprochait le réseau social de ce qu’il voulait fuir, à savoir le rôle d’éditeur, Facebook a voulu revenir à une plateforme de relations entre proches et non plus être une plateforme d’information. »

Tous les médias interrogés par Stratégies ne se disent pas affectés de la même manière. Parmi ceux dont le trafic provenant de Facebook a baissé notablement ces derniers mois, le quotidien Les Echos. « Le mois d’octobre a été catastrophique. Depuis, nous sommes un peu remontés », estime Meryl Bisagni, social media manager au quotidien économique, qui tire 15% de son audience de Facebook. Selon nos informations, le trafic issu de la plateforme a baissé de près de 25% sur le seul mois d’octobre. En janvier, le recul se limite à 15% environ. « Depuis, nous avons augmenté le nombre de publications quotidiennes (40-45 articles publiés en moyenne par jour aujourd’hui contre 30-35 l’an dernier) et réduit le nombre de vidéos postées. Nous réfléchissons aussi à la création de groupes et/ou de pages ciblés sur un sujet », ajoute Meryl Bisagni, avec pour objectif de renforcer le lien entre Les Echos et ses lecteurs.

Même constat du côté du Parisien. « Comme probablement tous les publishers d’actualités, nous avons observé une baisse de notre trafic venu de Facebook depuis cet automne, indique Ariane Bernard, directrice du numérique. La baisse est plus légère que le chiffre annoncé par Mark Zuckerberg, à savoir une baisse de la part des actualités dans le newsfeed de 20 % (celles-ci passant de 5 % à 4 % de la totalité du newsfeed). »

Au Figaro, la baisse du trafic est continue depuis avril 2017. « Nous n’avons pas baissé la quantité ni la qualité de ce que nous publions mais les gens sont moins exposés à nos contenus et ceux qui le sont cliquent moins », observe Bertrand Gié, directeur délégué du pôle News au Figaro. Facebook ne représente aujourd’hui qu’autour de 5 % de l’audience du Figaro, 3 points de moins qu’il y a un an. « Ce n’est pas vital pour nous, assure-t-il. En revanche, ce qui est plus grave, c’est qu’alors que Facebook est un partenaire stratégique pour qui travaille dans le web, nous n’avons aucune visibilité sur sa stratégie. »

Les jeunes, toujours là

Mais tous les médias ne se disent pas impactés : 20 Minutes assure maintenir, mois après mois, le même niveau d’interaction et de trafic (autour de 30 % de son audience globale), sans avoir dépensé un centime de plus en sponsoring. « Nous nous sommes toujours davantage intéressés au nombre d'interactions qu’au reach », explique Anne Kerloc’h, rédactrice en chef adjointe en charge du participatif, des réseaux sociaux et de la vidéo. C’est le sens du groupe Moi Jeune, créé sur Facebook début 2016 et qui totalise plus de 1200 membres. Autre explication, un lectorat beaucoup plus jeune. « Nos lecteurs ont l’habitude d’interagir avec nous et de partager nos contenus. » Autant de liens publiés par les lecteurs et non par le média lui-même, qui sont ainsi davantage mis en avant dans les fils d’actualité.

C’est pour cette raison que Brut dit ne rien avoir à craindre du changement d’algorithme, malgré une diffusion de ses vidéos exclusivement sur les plateformes sociales, Facebook en tête. « 90 % de notre reach vient du partage entre amis », pointe Guillaume Lacroix, cofondateur du pure player, qui revendique 80 millions de vidéos vues en janvier sur Facebook, un record. « Brut est par essence un média social, c’est-à-dire un média qui engage des conversations avec une communauté. Nos vidéos sont faites pour démarrer une conversation, pour que les gens s’emparent du sujet qu’on traite. C’est pour ça qu’on ne donne pas notre avis. »

Pour Johan Hufnagel, l’un des trois fondateurs de Loopsider, ce sont surtout les liens sortants qui sont pénalisés, quand les nouveaux pure players de la vidéo sociale, comme Brut ou Loopsider, sont conçus pour être regardés et partagés sur les plateformes. « Les médias qui ne sont pas social natifs doivent avoir une communauté suffisamment forte pour que celle-ci partage les articles elle-même. Dans notre cas, nous savons qu’en allant sur Facebook, il faut jouer le jeu des plateformes, ce qui implique de rester souples et pragmatiques », insiste l’ancien directeur de la rédaction de Libération.

À l’étranger aussi

Les médias français ne sont pas les seuls à être impactés par le récent changement d’algorithme de Facebook. Au Brésil, le journal Folha de Sao Paulo a même été jusqu’à annoncer qu’il ne publierait plus ses articles sur le réseau social suite à la perte de visibilité engendrée par le changement d’algorithme. Selon la société Parsely, la part du trafic en provenance de Facebook pour les médias américains clients de sa plateforme serait passée de 31 % à 21 % entre octobre 2017 et janvier 2018. Par ailleurs, selon la Columbia Journalism Review, 38 des 72 éditeurs partenaires lors du lancement d'Instant Articles aux Ètats-Unis en 2015, ne diffusaient plus leurs contenus sous ce format en janvier 2018.

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