Portrait
Passionné, enragé et toujours sans filet… Tel apparaît Yann Moix sur le petit écran. Mais l’écrivain est aussi un animateur qui défend la nuance en télévision.

Le 20 mars, son émission Chez Moix, sur Paris Première, a battu pour la première fois Zemmour et Naulleau. À la grille idéologique d’un Zemmour, l’écrivain oppose le joyeux désordre d’un aréopage d’invités qui rappelle Droit de Réponse, de Michel Polac, dans les années 80. Rien d’étonnant à cela : l’animateur-écrivain ne regarde pas la télé – sauf une fois par mois chez sa grand-mère – mais adore visionner des vidéos de l’INA. « J’aime la télé où il se dit des choses et où les gens ont un temps infini pour parler », dit-il.

La télé de Polac avait, selon lui, ce mérite. Et les réseaux sociaux, cette « poubelle géante », n’existaient pas. « Je préférais avant. Internet a complètement pourri le monde », lâche-t-il. Bien sûr, il est facile de voir dans ce dédain l’effet des vents contraires qu’il a lui-même suscités (la police « chie dans son froc », « Michael Jackson n’était pas pédophile car il était lui-même un enfant », etc.). Mais l’homme y voit surtout un signe des temps : « On ne peut strictement plus rien dire. Le rêve qu’avait la Stasi dans les années 1970 est réalisé par les citoyens. Ce sont eux qui filment, se scandalisent, écrivent au CSA pour interdire. La dictature est celle de tous. » Pour lui les réseaux sociaux forment des communautés de partage qui suscitent des « réflexes de meute ». Exemple : « la communauté de ceux qui trouvent qu’on n’a pas le droit de sortir avec une fille de 20 ans même s’ils le font quand même. »

« Landru ou Himmler »

Marie-Claire, nous y voilà. L’écrivain assure avoir reçu des milliers de mails – « plutôt des femmes de 30 ans, et pas forcément les plus épanouies » - après son interview en janvier dans laquelle il se disait « incapable d’aimer une femme de 50 ans », au « corps pas extraordinaire du tout ». Trois mois après, il affirme ne rien avoir à répondre au tribunal du bon goût : « La revue papier se demande ce qui va embraser la Toile. Alors, on cherche, on isole. La publicité, ce ne sont plus les annonceurs, c’est le buzz que ça va faire. Il y a aussi de la pseudo-offuscation : on fait semblant d’être choqué. La journaliste a déclaré après “je suis restée stoïque” comme si j’étais Landru ou Himmler. »  

Le jour de ses 50 ans, lui s’est acheté une guitare, une Fender Stratocaster. Une nouvelle lubie. Chez lui, les passions s’amoncèlent mais ne se dissipent pas. Après son reportage sur un camp à Calais, il s’apprête à partir en Libye cet été avec un reporter de Paris Match, sur les traces des migrants. Mais pour lui, la société du spectacle actuel signe la mort de la passion car elle zappe à une vitesse vertigineuse. Et l’ennui l’emporte. « On sent bien que plus grand grand-chose n’intéresse personne », dit-il. L’écrivain pourfend aussi l’arraisonnement des êtres à leur lieu d’origine. « Dès qu’il y a un débat, ce sont toujours les gens concernés qui défendent tel ou tel. Vous ne verrez pas un nain défendre les rouquins, un rouquin défendre les handicapés, un handicapé se faire le chantre des homosexuels. » Sur l’antisémitisme, ajoute-t-il, il en va de même : ce n’est pas seulement aux Juifs d’en parler. Lui s’est fait, comme Bernard-Henri Lévy un amoureux inconditionnel d’Israël. Il parle de « communautés intellectuelles ». Mais c’est aussi par fidélité envers celui qui lui a donné sa chance chez Grasset : « J’ai la reconnaissance du ventre. Je ne critiquerai jamais personne qui m’a mis le pied à l’étrier. Même si on s’est hurlé dessus au moment de la guerre en Libye. »

Du trash et du classe

De son expérience de trois ans à On n’est pas couché, il retient avoir assisté aux obsèques de la nuance. « Vous dites quelque chose d’assez fin qui défend les musulmans, les trois quarts pensent que vous en avez dit du mal. Les communautés réagissent au signal de leur appellation, s’inventent à mesure que l’on parle d’elles. » Pour lui, l’identité est multiple, mouvante.  Il reconnaît se laisser parfois emporter par ses obsessions, comme ce jour où il s’en prend à la police – sans nuance – devant une policière qui se suicidera ensuite – ce qui lui vaut un procès. « C’était une grosse connerie. Quand on fait trop de télévision, cela arrive. » Mais comme il ne se regarde jamais en replay, il s’accommode d’une image vulgaire. Rien à voir avec la télé « élevée au rang d’art » de Thierry Ardisson pour qui il intervient dix minutes sur C8, à raison de 3 000 euros par émission, le double de sa prestation chez Laurent Ruquier, de 2015 à 2018. « C’est avant tout un écrivain. Je l’ai pris pour qu’il fasse de la littérature à la télé, explique l’animateur des Terriens du Dimanche. Il apporte du trash et du classe. Il s’indigne parfois au-delà du réel, dit les choses de façon outrancière mais il est sensible, très attentionné et touchant ». Touchant et trébuchant.

Parcours 

 

1968. Naissance à Nevers.

1996. Jubilations vers le ciel (Grasset), Prix Goncourt du premier roman.

2002. Podium (Grasset), suivi du film en 2004.

2008-2013. Le « feuilleton » du Figaro littéraire.

2010. La Meute (Grasset).

2013. Prix Renaudot pour Naissance (Grasset).

2010-2014. On va s’gêner, Laurent Ruquier, Europe 1.

2015-2018. On n’est pas couché, France 2.

2018. Dehors, Lettre ouverte au président de la République (Grasset) et Re-Calais, documentaire sur Arte. Chez Moix, sur Paris Première.

2019.  Rompre (Grasset).

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