Communication
C’est l’un des sujets qui cristallisent le plus de fake news en France : l’enseignement supposé de la « théorie du genre » à l’école est la patate chaude des gouvernements successifs. Côté grand public, le message est peu lisible. Alors qu’est ce qui pèche dans la communication politique autour de cette question de l'égalité des sexes et des orientations sexuelles ? Décryptage.

« Pour les experts ès pédagogie, il faut apprendre, de 0 à 4 ans, la “masturbation enfantine” et laisser l’enfant exprimer “ses besoins, ses désirs et ses limites” en termes de sexualité. », « Le ministère de l’Éducation nationale, abusant de la confiance des parents, porte très gravement atteinte à la pudeur, à l’intimité, au respect des enfants. Cette prétendue “éducation sexuelle”, véritable incitation à la débauche, est un viol des consciences »… Sur les réseaux sociaux, les rumeurs vont bon train. Le sujet de la « théorie du genre » brûle depuis plusieurs années sans que les gouvernements successifs ne parviennent vraiment à éteindre le feu des contestations. Mais que signifie « théorie du genre » au juste ? Et qu’en est-il vraiment de son enseignement dans les écoles françaises ? Si de nombreuses confusions sont commises de la part de ses détracteurs comme de ses défenseurs, c’est que l’affaire est plus complexe qu’il n’y paraît. Un petit retour historique s’impose.



Le contexte

La mixité dans les écoles s'est généralisée en France dans les années 1950-1960. Elle a été rendue obligatoire en 1975, mais c’est en 1982, sous la présidence de Mitterrand, que le gouvernement commence à s’interroger sur la présence de « préjugés sexistes » dans les programmes et manuels scolaires. « C’est aussi le début d’une politique en faveur de l’égalité des sexes à l’école qui a persisté, dans des termes souvent semblables, jusqu’à aujourd’hui », indique Gaël Pasquier, maître de conférences en sociologie (1). En 1989, ces idées sont enfin inscrites dans la loi d’orientation sur l’éducation, dite « loi Jospin ». Il y est notamment dit que « les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur […] contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes ». La loi Fillon, puis la loi Peillon ne diront pas autre chose. Du reste, plusieurs circulaires et conventions sont diffusées régulièrement pour cadrer cet avancement. « Les politiques éducatives sont plutôt bien construites dans ce domaine, concède le chercheur, mais l’Inspection générale de l’Education nationale a relevé en 2013 qu’elles ne sont pas appliquées. Et si l’on peut noter des initiatives locales, ou individuelles, cela n’est en revanche jamais décliné de manière cohérente à l’échelle de l’institution. » 



La polémique

En 2011, quand les programmes de SVT des filières L et ES changent, avec l’intitulé « Devenir homme, devenir femme » - une référence plus ou moins lisible à Simone de Beauvoir - certains manuels vont, pour la première fois, recourir au concept de « genre ». Des groupes militants catholiques, dont le relai médiatique est Christine Boutin, vont s’émouvoir de l’apparition de ce terme. Un certain nombre de parlementaires de droite vont signer une lettre ouverte au ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel pour qu’il ordonne le retrait de ces manuels des classes qui les utilisent. C’est la première fois que l’appellation « théorie du genre » paraît dans le débat français. « La pertinence de l'expression “théorie du genre” est contestée dans le champ de la recherche même si le concept de genre y donne en effet lieu à des théorisations, rapporte Gaël Pasquier. Du reste, des travaux très bien documentés, notamment ceux d’Odile Fillod et Sara Garbagnoli ont montré que l’utilisation de ce terme est la conséquence d’une série d’opérations de communication initiée par des organes proches du Vatican, après la conférence mondiale sur le droit des femmes organisée à Pékin en 1995 ».

Et quand a lieu, en 2013, le colloque « Enseigner contre les LGBTphobies à l’école primaire », organisé à la mairie de Paris, le terme va être repris par les grands médias, notamment Le Figaro qui titre Ces professeurs qui veulent imposer la théorie du genre à l'école. Cette année-là, le gouvernement prépare le programme des ABCD de l’égalité, proposé par Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre des Droits des femmes, conjointement avec le ministère de l’Éducation nationale. Son objectif est de fournir aux enseignants des outils pédagogiques pour aborder en classe l’égalité filles-garçons et questionner les stéréotypes de sexe. Une formation succincte est alors offerte à des professeurs volontaires. 

 

L’erreur de com

« Selon moi, c’est peut-être là que se situe l’erreur en termes de communication politique : le gouvernement qui arrive en 2012 avec Hollande sent qu’il faut visibiliser son action sur les droits des femmes, et même sur les questions LGBT, en respect pour son électorat de gauche. Mais les oppositions n'avaient pas été anticipées, en tout cas, pas de manière aussi virulente et massive. » En effet, les contestations contre le « mariage pour tous » ont très rapidement rejailli sur l'école. Quand les polémiques éclatent, le gouvernement tente de calmer le jeu… Mais les enseignants, encore à peine formés sur le sujet, ne sont pas du tout préparés à se défendre face à des parents, des mouvements et des médias qui les somment de se justifier… Les maladresses, les confusions, les malentendus et les contrevérités vont provoquer l’emballement médiatique que l’on sait. Farida Belghoul lance l'initiative « Journée de retrait de l'école », invitant les parents à retirer leurs enfants de l'école une journée par mois à partir de janvier 2014, « pour l'interdiction de la théorie du genre dans tous les établissements scolaires ».

Vincent Peillon quitte le gouvernement fin mars, remplacé par Benoît Hamon qui va mettre un terme aux ABCD de l’égalité. La raison officielle est de les généraliser de manière plus ambitieuse à tout le système éducatif… Mais les « nouveaux outils pour l’égalité » qui les remplacent ne bénéficieront d’aucune communication et ne seront appliqués par personne. « Les actualisations, ou les mises en application de textes déjà existants, sont souvent perçues comme des nouveautés et les gouvernements communiquent parfois en ce sens. Ce qui engendre bien souvent de nouvelles polémiques et leur lot de rumeurs », déplore Gaël Pasquier.



Le dénouement

L’été dernier, la secrétaire d'État à l'Égalité Marlène Schiappa en a fait les frais en annonçant qu'une nouvelle circulaire était en cours de préparation pour faire appliquer la loi de 2001 qui prévoit trois séances annuelles d'éducation à la sexualité, de l'école au lycée, afin d'apprendre le « respect dû au corps humain » et d'acquérir une « vision égalitaire » des relations femmes-hommes. Tout l’été, la ministre a été aux prises avec les fausses informations. Pour autant, comme le souligne le chercheur, « il est intéressant de constater que les polémiques se sont rapidement essoufflées. Est-ce que les mouvements d’opposition manquent d’argent et de relais ? C’est possible. Est-ce dû à la personnalité de Jean-Michel Blanquer qui semble plutôt apprécié dans les milieux conservateurs ? En tout cas, la publication rapide de la circulaire a désamorcé les rumeurs, au risque de laisser les personnels démunis : le ministère a fait le choix de ne donner aucune indication aux professeurs des écoles maternelles pour mettre en œuvre cette éducation à la sexualité de manière adaptée à l’âge des enfants…».

Pour conclure, il est important de préciser que toutes les informations qui circulent ne sont pas toujours des fake news. En réalité, il existe encore en France une profonde scission entre deux courants de pensée. « Ce qui pose problème à certains militants à la lecture des manuels scolaires, c’est de voir que l’on intègre dans la norme des phénomènes comme l’homosexualité ou la transidentité qui pour eux font partie de la marginalité, de la déviance », observe Gaël Pasquier. La communication du gouvernement sur le sujet sera toujours un exercice très complexe dans la mesure où évoquer le genre à l’école, cela est choquant pour certains, souhaitable au contraire pour d’autres…

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