Billet

[Billet] Dégueulasse, c’est quand on sait que l'éclipse de Jean-Luc Godard ne sera qu’une larme dans le tsunami généré par l’ultime révérence de la reine Elisabeth II.

« Qu’est-ce que c’est, dégueulasse ? ». Ce qui est dégueulasse, c’est que s’il y a un homme qui a traversé le siècle, a irrémédiablement imprimé son style, et est toujours resté droit dans ses bottes, le cigare au bec, c’est bien lui. Dégueulasse, c’est quand on sait déjà, en ce 13 septembre 2022 où l’on apprend son trépas, que l'éclipse de Jean-Luc Godard ne sera qu’une larme dans le tsunami généré par l’ultime révérence de la reine d’Angleterre, un chuchotement dans le fracas des UBM, les « unités de bruit médiatique » - Godard aurait-il trouvé le terme révulsant ou furieusement poétique ? « Qu’est-ce que c’est, dégueulasse ? », insistait, interdite devant Belmondo à l’agonie, Jean Seberg dans À bout de souffle. Dégueulasse, c’est quand la Camarde fauche aussi, dans la même semaine, un autre artiste radical, le photographe et réalisateur William Klein. Vraiment dégueulasse, de voir disparaître Godard, orfèvre du langage, à la parole si libre, dans notre époque d’éléments de langage et de conformisme bêta où, pour reprendre la phrase de Godard sur les festivals de cinéma, bien des dîners en ville, bien des interactions sociales « sont comme les congrès de dentistes. C’est tellement folklorique que c’en est déprimant ». Dégueulasse, de perdre cet amoureux éperdu du cinéma, des images et des mots, qui ignorait qu’en une ligne de dialogue d’À bout de Souffle, il avait déjà écrit la parfaite épitaphe : « Si vous n’aimez pas la mer… Si vous n’aimez pas la montagne… Si vous n’aimez pas la ville… Allez vous faire foutre ! »

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