Ici New York
Clarisse Lacarrau, planneur stratégique installée à New York, explore chaque semaine dans Stratégies les dessous du storytelling new-yorkais. Aujourd'hui, elle explique pourquoi et comment les habitants de Big Apple supportent l'incroyable pression à laquelle ils sont soumis au quotidien: brutalisés par une ville qu'ils aiment, ils souffrent du syndrome de Stockholm.

«If I can make it there, I'll make it anywhere», chantait l’ami Sinatra. Ça a l’air sympa et encourageant comme phrase mais ça met surtout une pression de dingue. C’est en fait la ligne directrice du storytelling de la ville à laquelle tout le monde doit se soumettre.

 

Vivre à Manhattan, c’est vivre dans une ville chaotique, où le chauffage date du 19e (les radiateurs font «tchoutchou» comme une locomotive), où le métro n’a pas d’horaires ni de règles, où les règles en général sont de toutes façons ultra changeantes, où il faut de l’argent pour tout, tout le temps, où il faut faire semblant d’être super performant, où le marché de l’amour ressemble à une guerre de tranchée, où il faut avoir vu et avoir été vu dans le dernier resto branché, supporter des dîners où l’on ne s’entend pas et trouver ça super.

 

Tous ces obstacles quotidiens sont souvent revendiqués comme les douze travaux d’Hercule qui font de vous un vrai New Yorkais. En 2014, New York a été élue ville des États-Unis où l’on est le plus malheureux et pourtant, tous les New Yorkais vous diront que c’est génial, qu’il n’y a pas mieux au monde, que ça rend dur et fort.

 

Un peu comme enfermés dans Shutter Island, les pensionnaires de Manhattan oublient que la vie peut être douce et qu’on a le droit de ne pas trouver normal de se faire brutaliser par la ville comme ça, sous prétexte de se soumettre au dogme de Frank Sinatra. A la manière des kidnappés restés trop longtemps enfermés, ils finissent par tomber amoureux de leur bourreau: syndrome de Stockholm new-yorkais.

 

Mais New York ne serait pas New York si le remède à la névrose n’était pas disponible sur place. Il faut juste un peu de temps pour le découvrir et se sentir définitivement new-yorkais. Il existe des endroits où l’on dit la vérité sur la ville et ses habitants et il ne m’a fallu que quelques mois pour les trouver.

 

Dans l’intimité des groupes d’amis où par l’humour les choses se disent aussi, dans les tête-à-tête avec les collègues où parce que vous êtes français, donc excusé de ne pas connaître tous les codes, vous servez de catalyseur et la parole se libère, et… surtout dans les caves de Manhattan où le stand up comedy prend tout son sens car c’est un fusible nécessaire au diktat du super New Yorker.

 

Dans un stand up, on peut dire «un homme noir», on peut dire qu’on est dépressif, qu’on n’y arrive pas avec les femmes, le travail, les hommes, qu’on n’aime pas la gym et qu’on a trouvé nul tel ou tel film. C'est une soupape de sécurité qui permet d’aller se frotter encore à Gotham et de sortir de Shutter Island deux minutes.

 

Incroyable relation d’amour/haine que New York propose et qui continue de nous attirer comme des petits êtres fascinés par la lumière. New York, New Yooooooork qu’il chantait! Si tout se passe bien, on finit en effet tous par la fredonner la chanson de Frankie. Et on finit même par l’appeler Frankie.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.