Tribune
Aujourd'hui, les consommateurs attendent des entreprises qu'elles s'engagent et surtout qu'elles alignent ce qu'elles font sur ce qu'elles disent. Aux communicants de se saisir de ces sujets dans le discours des marques.

Notre histoire commence avec la publication de deux études initiées par nos honorables confrères mais néanmoins concurrents, les agences Wellcom et Elan Edelman. Leur contenu, en revanche, en dit beaucoup sur la révolution en marche menée par les citoyens consommateurs. La première étude (Observatoire Wellcom du Sens d'octobre 2019) affirme qu’un Français sur trois attend des entreprises qu’elles agissent concrètement pour la société et la planète. Le baromètre annuel d’Edelman sur la confiance des consommateurs marque quant à lui un tournant : goodwashing, greenwashing, etc., les consommateurs disent stop aux campagnes valorisant des engagements très esthétiques mais bien souvent sans fondement. En un an, le pourcentage de consommateurs estimant que les sociétés ont des idées plus pertinentes que le gouvernement pour résoudre les problèmes de leur pays a chuté de 3 points, à 34%.

Une révolution est au cours. Ces études mettent des chiffres sur un mouvement au coeur duquel la communication joue un rôle de premier plan. La loi Pacte a fait basculer nos sociétés capitalistes reposant sur un modèle d’hyper consommation dans un changement de paradigme fondamental. En admettant dans la loi, et non dans une charte écrite en volapük, la raison d’être des entreprises en tant qu’objet social, le monde politique pourrait bien avoir signé son arrêt d’extinction, sans vraiment s’en apercevoir. La loi confère aux entreprises de changer le monde. Et les études menées par nos confrères démontrent combien ce monde, c’est-à-dire les citoyens comme vous et moi, intime aux entreprises de cesser de s’échiner à séduire le consommateur en papillonnant au gré de tel ou tel engagement sociétal.

S'inspirer des Sleeping Giants

Ces baromètres et observatoires sont précieux pour chiffrer et quantifier cette tendance. L'agence CorioLink a aussi choisi cet exercice pour mesurer l’importance de la convivialité comme valeur des hommes politiques et des leaders, en soumettant les candidats aux élections municipales de Paris au fameux Beer Test. Mais j’affirme qu’il faut aller beaucoup plus loin. Regardons le travail formidable des Sleeping Giants et brandissons leur exemple comme un moyen pour nous, communicants, de devenir acteurs de ce monde qu’il faut changer.

Pour rappel, Sleeping Giants (Les Géants Endormis) est une organisation activiste qui vise à assécher financièrement les relais de la haine en ligne. Ses campagnes visent à persuader les entreprises de retirer leurs spots de publicités des médias qui relaient des discours haineux, racistes ou sexistes. Leurs premiers faits d’armes remontent à novembre 2016, peu après la victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle américaine. L’organisation lance alors un compte Twitter appelant à boycotter Breitbart News, média dirigé à l’époque par Steve Bannon et connu pour ses contenus racistes, antisémites et complotistes. En février 2017, selon les premières statistiques fournies par l'organisation, 820 entreprises avaient rejoint le mouvement et cessé de fournir de la publicité (et donc de l'argent) au média.

Aujourd’hui, la liste des entreprises ne cesse de s'allonger, fédérant notamment AT & T, Kellogg's, BMW, Visa, Lenovo, HP Inc., Vimeo, Deutsche Telekom, et plus récemment Ferrero, qui a rendu public son désengagement des émissions d'Eric Zemmour sur Cnews. Rappelons que le mouvement a été créé par le publicitaire Matt Rivitz, dont le nom a été révélé contre son gré par le média conservateur Daily Caller.

Révolution copernicienne

N’est-il pas du rêve intime de chaque communicant d’investir le Comex de sa boîte pour contrarier les reportings financiers, challenger son propre P&L et toutes leurs descendances gémellaires, pour aligner ce que fait l’entreprise et ce que dit la marque ? Car l’actif immatériel constitué par la marque doit être protégé plus encore que sa capacité d’autofinancement ou son Ebitda. La marque incarne l’adage de Warren Buffet, l’oracle d’Omaha dont les compétences financières sont incontestables : «Il faut 20 ans pour construire une réputation et cinq minutes pour la détruire. Si vous gardez ça à l’esprit, vous vous comportez différemment». Communicants de tous les pays, vous faut-il autre chose pour entamer la révolte et bouter le financier, avide d’un projet à court terme, hors de la mission souveraine de sanctuarisation de la marque ? Patagonia – la marque californienne de vêtements techniques - est dans ce domaine une entreprise en avance sur son temps. Et fort heureusement, il y en a d’autres.

Comprenons que les entreprises connaissent une révolution copernicienne. Le secteur mondial de la communication a accompagné avec brio le développement du capitalisme de la production et de la consommation. Nos métiers se sont élevés sur les bases des techniques imposées par Edward Bernays, décrites dans son ouvrage de référence Propaganda. Quand Bernays vantait les mérites d’une grande marque de cigarettes en clamant qu’elle était la marque favorite de 40 000 médecins américains, ce génial communicant édictait les bases de la com d’influence. Or ce temps est révolu. La société demande aux entreprises et de facto aux communicants de construire une nouvelle arche qui porte les valeurs du commerce, du capitalisme, de la croissance saine. La communication d’influence a déjà entamé ses changements d’habitudes en ce sens.

Terminons par une autre étude, les règles de la rhétorique me l’imposent. Selon le Baromètre de la confiance politique de janvier 2019, publié par le Cevipov, 78% des Français disent avoir confiance dans les PME, alors que les partis politiques atteignent péniblement 9%. Seule dans son monde hyper concurrentiel, c’est en portant le nouveau projet politique conféré par le citoyen consommateur que l’entreprise saura se démarquer et se développer. La communication est morte, vive le nouveau leadership en communication.

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