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Ecrans tactiles et ordinateurs investissent les salles de classes. Un nouveau marché prometteur dominé par Microsoft, un acteur de plus en plus concurrencé.

Ecrans tactiles, réalité augmentée, sol interactif, tableaux virtuels, manipulation d'objets en 3 D… Depuis décembre 2012, professeurs et élèves testent des outils pédagogiques de dernière génération à Issy-les-Moulineaux, ville où se trouve le siège de Microsoft France. C'est ici que l'entreprise a aménagé sa «classe immersive», un lieu d'apprentissage inédit ouvert aux classes du primaire et du secondaire invitées à s'inscrire en ligne pour découvrir une e-classe.

«En proposant de tels services, Microsoft se positionne pour prendre des parts de marché, analyse Philippe Torres, responsable conseil et stratégie numérique à L'Atelier BNP Paribas. Cette stratégie commerciale lui permet d'éduquer clients et prospects, et de les fidéliser.»
Le marché de l'éducation est en effet prometteur. Partout dans le monde, les écoles s'équipent aujourd'hui de matériel high-tech et testent de nouveaux outils. Des milliers de tablettes sont distribuées aux élèves en Belgique, Turquie ou Corée du Sud, les grandes universités américaines diffusent leur cours en ligne tandis que les manuels scolaires numériques se multiplient dans les écoles.

Si les contours du marché sont difficiles à définir avec précision, un rapport GSMA-McKinsey sorti en 2012 estime que 5,5% du budget mondial de l'éducation est désormais dépensé dans les nouvelles technologies, soit plus de 64 milliards de dollars en 2010.

Jugée à la traîne parmi ses homologues européens en termes d'équipement en Tice (technologie de l'information et de la communication pour l'enseignement), la France compte bien rattraper son retard.
Vincent Peillon, ministre de l'Education nationale, le martèle depuis plusieurs mois: l'école doit entrer dans «l'ère du numérique». Il n'est pas question d'un énième plan, affirme-t-il, mais d'une stratégie globale et pérenne comprenant à la fois la formation des enseignants au numérique, la mise en ligne de ressources pédagogiques de qualité, le raccordement des établissements scolaires au très haut débit, la généralisation de l'usage des espaces numériques de travail (ENT) ou encore la création d'un Conseil du numérique éducatif. Un programme ambitieux certes, mais quid du financement?
«Impossible de donner des chiffres», dit le ministère, car en France, le financement de l'école est complexe. Tout ce qui relève de la pédagogie est à la charge de l'Etat, mais l'accueil pédagogique c'est-à-dire les bâtiments, le mobilier, y compris l'équipement numérique, incombe aux collectivités territoriales. La maintenance également, comme l'a clarifié le texte de loi sur la Refondation de l'école en janvier.

Gilles Braun, conseiller technique au cabinet du ministre, reconnaît que la gouvernance du numérique est une véritable problématique. «Collectivités, académies, enseignants, etc. doivent collaborer et se concerter sur ces questions-là, sinon cela ne fonctionne pas», indique-t-il avant de préciser que le numérique doit désormais être intégré de manière structurelle dans les budgets, au même titre que les manuels scolaires, par exemple.

Le conseiller technique est, quoiqu'il en soit, confiant. Une convention vient d'être signée avec la Caisse des dépôts pour le raccordement des écoles au très haut débit. «Les choses s'accélèrent. Il y a eu un effort très important de la part des collectivités. Les collèges et les lycées sont désormais assez bien dotés en matériel informatique.»

Contre-offensive tous azimuts

Du côté de l'offre, le marché de l'éducation intéresse, au premier plan, les constructeurs et éditeurs informatiques, comme Apple, Dell, HP… Ou encore les logiciels libres, type Linux. Parmi eux, Microsoft s'est positionné en leader depuis plusieurs années en finançant de nombreux projets dans le secteur, notamment à travers son programme international Partners in Learning (PIL), doté d'un budget de 500 millions de dollars sur dix ans.

La classe immersive n'est qu'un exemple des nombreuses initiatives prises par la firme de Redmond pour innover en matière de pédagogie, se rapprocher des acteurs de l'éducation nationale et emporter les marchés. Au grand dam des fans d'Apple ou des partisans des logiciels libres, qui critiquent la légitimité pédagogique de Microsoft, la qualité de ses produits et sa volonté hégémonique.

Les autres géants américains du secteur ont cependant lancé leur contre-offensive. Tandis que Google gagne du terrain avec sa solution clés en main et gratuite «Apps for education», Apple a présenté en janvier 2012 une keynote spéciale éducation annonçant un ensemble d'outils pour le monde de l'enseignement. Les collectivités locales commencent également à miser sur les logiciels libres, telle la région Poitou-Charentes, qui a opté pour Linux.

La concurrence vient aussi des acteurs français qui commencent à s'organiser. L'Association française des industriels du numérique de l'éducation et de la formation (Afinef) a vu le jour en octobre dernier. Elle rassemble, aux côtés des quelques grands groupes internationaux installés en France, une trentaine d'adhérents, parmi lesquels des PME et des start-up. «Notre but est de fédérer l'ensemble des entreprises de la filière pour faire entendre notre voix. Nous représentons déjà plus de 2 000 salariés, pour un chiffre d'affaires cumulé de 400 millions d'euros par an», déclare le président de l'Afinef, Hervé Borredon, par ailleurs dirigeant du groupe Itop Education.
L'initiative est soutenue par Cap Digital, le pôle de compétitivité de la filière numérique en Île-de-France. «Il y a des actions collectives à entreprendre pour convaincre les pouvoirs publics de soutenir cette industrie, car les enjeux sont importants. Il s'agit à la fois de développer une société de la connaissance et de favoriser l'essor international de nos entreprises», déclare Françoise Colaitis, déléguée générale adjointe chez Cap Digital. Ce sont aussi des emplois qui sont en jeu.

Intéressantes perspectives

Arnaud Albou est fondateur et associé de Webservices pour l'Education, une jeune société qui développe des espaces numériques de travail en «open source». Après deux ans d'existence, l'entreprise emploie quinze personnes pour un chiffre d'affaires annuel d'environ 1 million d'euros. Pour lui, les perspectives du marché du numérique sont plutôt bonnes malgré le budget serré des collectivités. «Jusqu'à maintenant, il était cannibalisé par les gros intégrateurs Web, comme IBM ou Logica. Aujourd'hui, il commence à y avoir de la place pour des sociétés plus spécialisées proposant de véritables innovations pédagogiques », analyse-t-il.

Hervé Borredon partage son avis. «La plupart des constructeurs de matériel sont étrangers, mais les Français sont bons dans les technologies de portails et dans les contenus numériques pédagogiques.» Un savoir-faire made in France que les industriels espèrent bien exporter. D'ailleurs, ils étaient une douzaine à représenter la France au Bett Show, l'un des plus grands salons internationaux relatifs à l'éducation et au numérique, qui s'est tenu à Londres fin janvier.

 

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L'Education nationale répond présent dans les réseaux sociaux

Le ministère de l'Education nationale a ouvert ses comptes Facebook et Twitter à l'automne 2012. On peut y suivre les actualités de l'institution, trouver des informations pratiques et institutionnelles ou encore des exemples d'actions éducatives. Idem pour l'académie de Paris, où Christelle Membrey-Bézier occupe le poste de stratégiste digital depuis décembre 2011. Une révolution? «Non, une mission de service public, répond celle-ci. Les réseaux sociaux constituent un canal de communication et de diffusion supplémentaire. Puisque nos usagers les utilisent, nous devons y être présents.»

Mission prioritaire

Pour cette spécialiste du digital, l'intérêt des technologies de l'information et de la communication fait désormais consensus dans la communauté éducative. «L'école numérique est une mission prioritaire, à l'ordre du jour dans toutes les académies», souligne-t-elle. Selon un sondage Opinion Way, 92% des enseignants et des parents, et 98% des élèves estiment que le développement du numérique à l'école est une bonne chose.

Même l'Académie des sciences défend l'utilité des outils numériques, prônant leurs effets très positifs sur «l'acquisition des connaissances et des savoir-faire, mais aussi sur la formation de la pensée et l'insertion sociale des enfants et des adolescents».

La question de la nocivité des écrans pour les enfants continue néanmoins de faire débat. Aux Etats-Unis, par exemple, la Waldorf School of the Peninsula, pourtant située dans la Silicon Valley interdit télévisions, ordinateurs et tablettes dans toutes les salles de classes jusqu'à la fin du collège...

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