Vous en connaissez beaucoup, vous, des formations supérieures dont l’objectif est de changer le monde? Telle est l’ambition de la Singularity University, en Californie. Intrigant.

Installée depuis 2008 en plein cœur de la Silicon ­Valley, dans un ancien hangar pour dirigeables de la Nasa, la Singularity University est voisine de quelques centaines de mètres d’une base de recherches de l’Agence spatiale américaine et du siège californien de Google, initiateur et principal financeur de cette université du futur. Un bon début pour être à la pointe…

2029, l'année de la rupture

Des experts et chercheurs, venus des grandes universités américaines (Stanford, MIT…), y enseignent à des étudiants et cadres dirigeants les usages et bienfaits des technologies dans les domaines des biotechnologies, de l’intelligence ­artificielle, de la robotique, des transports, de l’e-santé ou de l’énergie. «Notre mission est d’éduquer, d’inspirer et de guider les dirigeants et futures générations de leaders aux ­technologies répondant aux grands défis de demain en termes économiques, sociétaux et politiques», expliquent sans ambages ses fondateurs, Ray Kurzweil et Peter ­Diamandis. Selon eux, la pauvreté, le chômage, les pénuries d’énergie, les problèmes environnementaux, éducatifs, sécuritaires et même la mortalité, bref, tous les maux du monde contemporain peuvent trouver des solutions dans les technologies dites exponentielles : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives. Des technologies dont le rythme de propagation et d’avancée est si élevé que personne n’est capable d’en prédire les conséquences. Sauf eux, peut-être… Les deux compères ont ainsi identifié un point de rupture à venir qu’ils nomment «singularity», d’où le nom de l’université. Ils le situent en 2029, année où l’intelligence artificielle aura définitivement ­surclassé l’intelligence humaine.

Des fondateurs charismatiques

Les enseignements et concepts développés au sein de la Singularity University doivent beaucoup aux personnalités de ces deux apôtres du progrès. Peter Diamandis, 54 ans, passionné de conquête spatiale. Une sorte de rock star des nouvelles technologies, à la fois médecin, physicien et «­serial start-upper». Dès ses 12 ans, il reçoit son premier prix pour avoir conçu un système capable de lancer trois ­fusées en même temps. Diplômé du MIT et de Harvard, il a créé l’International Space University, de multiples sociétés et la Fondation X Prize, spécialisée dans les grandes innovations bénéfiques pour l’humanité, où siègent notamment Arianna Huffington, Elon Musk ou Ratan Tata.Le second, Ray Kurzweil, 67 ans, est un autre génial touche-à-tout. Informaticien de formation, il est à l’origine de nombreuses entreprises pionnières en matière de reconnaissance vocale et d’image. C’est également un futurologue au charisme et pouvoir de conviction fascinants, capable de prévoir, entre autres, au début des années 1980, la fin de l’empire soviétique et l’avènement d’internet. Un personnage controversé aussi. Obnubilé par l’immortalité, notamment la sienne – il ingurgite 200 pilules de vitamines par jour –, c’est l’un des théoriciens du transhumanisme, ­philosophie qui prône l’alliance entre l’homme et les machines. Notre corps serait selon lui une sorte de logiciel reprogrammable grâce à des clones d’organes vivants susceptibles de prévoir et soigner nos maladies futures jusqu’à nous procurer l’immortalité. Un délire de scientifique à l’esprit contrarié ? Google le recrute en tout cas en 2012 en tant que patron du ­développement. Il avait entre-temps réussi à convaincre ­Peter Diamondis de monter avec lui cette Singularity ­University que plus de 2 500 élèves ont déjà fréquentée.

Des solutions futuristes

Tous les étés, 80 étudiants venus du monde entier, triés sur le volet, intègrent le campus pour dix semaines. Conditions pour l’éligibilité : avoir une tête bien faite et bien pleine, mais aussi un portefeuille bien garni. La bagatelle de 30 000 dollars est demandée pour suivre la formation ! Au programme, travail en équipe et cours magistraux sur ces ­fameuses sciences et technologies susceptibles de changer le monde. Le tout émaillé de visites d’entreprises telles que Google, ­Facebook ou Intuitive Surgical, un fabricant californien de robots médicaux et surtout de travaux pratiques dans un lab. Dans celui-ci, assistants personnels et programmeurs sont mis à disposition pour donner corps à des start-up innovantes – l’université en abrite une cinquantaine – concevant robots sexuels, plantes lumineuses, imprimantes 3D pour les voyages spatiaux, steaks fabriqués sans recourir à l’élevage d’animaux… Des solutions futuristes très surprenantes et en voie d’être opérationnelles.

Des orateurs «brillants et convaincants»

Durant le reste de l’année, l’université accueille, par session de 80 personnes, la crème des entrepreneurs et dirigeants d’entreprise mondiaux pour des séminaires intensifs d’une semaine rythmée de conférences, workshops et soirées où l’on refait le monde autour d’un verre de vin californien. Parmi eux : l’acteur Ashton Kutcher, le cofondateur de ­Linked In, Reid Hoffman, ou l’inventeur d’Atari, Nolan Bushnell. Une quinzaine de Français y ont participé depuis sa création. Michel Lévy-Provençal, fondateur de TEDx ­Paris et cofondateur de Rue89, est l’un d’eux. Si, selon lui, certaines «questions éthiques mériteraient d’être approfondies», il en est toutefois revenu emballé. «J’y suis allé fin janvier le moral dans les chaussettes après les attentats de Paris, explique-t-il. Les orateurs particulièrement brillants et convaincants finissent par vous persuader que le futur est meilleur que ce que l’on croit et que les technologies vont être acteurs majeurs de l’embellie.» Coût de la thérapie : 12 000 dollars la semaine. «Je suis devenu optimiste et j’ai changé définitivement mon regard sur l’avenir. Cela n’a pas de prix», conclut-il. Espérons toutefois que l’optimisme, comme l’amour, ne rende pas aveugle.

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