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Du 30 mai au 1er juin, le Global Editors Network réunira à Paris 400 rédacteurs en chef de plus de 80 pays. Aperçu des nouvelles tendances du journalisme avec son directeur général, Bertrand Pecquerie.

Vous lancez les 30 mai et 1er juin à Paris votre deuxième News World Summit, conférence annuelle du Réseau mondial des rédacteurs en chef. Quel en seront les principaux axes par rapport à l'Association mondiale des journaux, que vous avez longtemps animée?

Bertrand Pecquerie. Le Global Editors Network – ou Réseau mondial des rédacteurs en chef – est une association basée à Paris qui a été fondée sur l'idée de la mutualisation et de la coopération entre les différents médias et plateformes. Alors que la Wan-Ifra (Association mondiale des journaux) refuse de défendre autre chose que la presse écrite, des quotidiens comme Die Zeit, le New York Times, The Guardian ou El Pais ont estimé qu'il était aujourd'hui impossible de ne pas être «cross-platform». La convergence des médias rend nécessaire l'apparition d'une communauté de rédacteurs en chef, de designers et de développeurs tournée vers le journalisme de demain. A notre conseil d'administration, on retrouve les directeurs généraux de BBC, CNN, Al-Jazira mais aussi les journalistes en ligne Jeff Jarvis ou Dan Gillmor. Pour ce deuxième News World Summit, nous présenterons des services innovants et des nouveaux contenus en matière de «fact-checking» ou de «curation». Notre structure Editors Lab – avec Google – va offrir aux rédactions de nouveaux outils journalistiques comme un logiciel libre de «live-blogging».

 

Du Monde à France Télévisions, tous les médias semblent développer des plateformes de «live» pour coller à l'information en temps réel. Est-ce une tendance de fond?

B.P. Oui, et la France est plutôt dans le haut de la vague. De 20 Minutes au Monde en passant par Libération, les journaux français ont suivi la campagne électorale heure par heure. Il y a une véritable déconstruction du travail journalistique classique. Au moment de l'affaire Merah, tous les sites sont passés en «live», en privilégiant l'interaction avec les lecteurs, ou en validant des tweets. Je pense qu'on aura encore une bonne surprise avec les Jeux olympiques de Londres. Pour faire face à l'afflux de demandes, les éditeurs font appel à de gros serveurs chez des fournisseurs de services qui coûtent de 12 000 à 60 000 euros par an. Le site France TV info est aussi piloté par ce dispositif événementiel de «live-blogging». Je serai juste plus critique sur la façon dont il est organisé sur le plan de la logique d'entreprise. Au lieu d'infuser l'ensemble de la rédaction avec cette nouvelle culture, France Télévisions a fait le choix de recruter trente journalistes qui travaillent depuis leur tour d'ivoire....

 

Et du côté de Twitter, quel est l'impact du «live»? Pensez-vous que c'est, en période de campagne électorale, un instrument d'influence politique?

B.P. Les tweets n'ont, à mon avis, aucun impact sur une campagne, ils ne transforment pas des hésitants en électeurs. Mais c'est un outil de visibilité pour les journaux et cela répond à une demande, sachant que toute personne qui se connecte à 17h20 est contente de découvrir une info de 17h18.

 

Et pour les journalistes, en quoi cette réalité transforme-t-elle en profondeur leur métier?

B.P. Ce métier se redéfinit autour d'une nouvelle répartition des rôles. Le journaliste de presse écrite sera de moins en moins dans l'actualisation des informations et de plus en plus dans l'analyse à chaud des nouvelles. Les agences de presse, elles, vont s'investir largement dans la fourniture des informations en temps réel. Le journaliste de demain ne sera plus dans la transmission de l'info, mais celui qui donne du sens à un flux qui lui échappe. Certains, à un «desk», auront pour fonction de valider l'information en ligne. D'autres seront des journalistes qualifiés et spécialisés qui interviendront sur les réseaux sociaux pour engager leur expertise auprès des lecteurs. Le New York Times et le Guardian disposent chacun d'une cellule de dix ou de cinq journalistes uniquement dévolue à entretenir le «live-blogging»: le lecteur s'abonne à différents fils d'info et il peut y avoir plusieurs live en même temps.

 

Quelles perspectives publicitaires offrent de tels flux d'information en temps réel?

B.P. Pour l'instant, il n'y a aucun annonceur car il n'y a pas de possibilité d'intégrer de la publicité à ces flux. Mais, à la rentrée, des logiciels permettront de le faire. Comme l'audience est là, les marques y viendront. On peut imaginer de la publicité contextuelle en fonction de mots clés dans le cadre d'une approche sémantique. Avec une actualité sur la consommation viendront des publicités en rapport avec cette consommation. Sachant qu'il est difficile de manipuler le citoyen en lui proposant des live en fonction d'intérêts commerciaux: le trafic pourrait s'en ressentir...

 

La vidéo est-elle toujours au centre des sites des titres de presse?

B.P. Oui, on assiste même à l'émergence d'une expertise nouvelle. Sur la Syrie, il faut maintenant dans les rédactions des journalistes capables d'extraire des vidéos de You Tube, puis de les valider. Certaines vidéos inédites en page d'accueil du New York Times représentent un risque pour l'éditeur mais elles peuvent aussi se traduire par un gain d'audience très important. Par ailleurs, sur le plan politique, la vidéo change beaucoup de choses. Pendant la campagne électorale française, les captations sur les plateformes vidéo – You Tube, Dailymotion, Vimeo – ont facilement multiplié par cinq certains débats où il n'y avait pas plus de 3 000 personnes dans la salle. Il y a donc un effet démultiplicateur de l'intérêt pour le rassemblement politique.

 

Le «fact-checking» s'est imposé en France à l'occasion de la campagne. Est-ce là aussi un mouvement de fond?

B.P. Le «fact-checking» est l'enfant naturel de l'immédiateté. Face à Twitter et pour contrebalancer la parole délivrée, le journaliste est obligé d'ajouter cette couche et de vérifier les faits dans le quart d'heure. Libération l'a bien compris avec la rubrique Désintox: face à l'explosion des messages, on est vite submergés, il nous faut des boussoles! C'est d'ailleurs pourquoi je n'ai aucune inquiétude sur le métier du journalisme. On a plus que jamais besoin de sens et de hiérarchies.

 

Et sur le plan de l'exploitation des données, vous avez donné pour titre à votre sommet «#Hack the newsroom». Ce n'est pas innocent...

B.P. En effet, il y a aujourd'hui les «data rippers» qui offrent aux journalistes de sortir des données et de les utiliser. Mais il y a aussi ces milliards de données disponibles – sur la sécurité sociale, sur les prix de l'immobilier, etc. – qui ne demandent qu'à être montrées au grand jour. Il s'agit d'associer le développeur et le journaliste. C'est une tendance qui se développe, au point que cela représentera 15 à 20% du travail des journalistes, d'après moi, dans dix ou quinze ans. Au Guardian, lors des émeutes anglaises, à l'été 2011, le site offrait de visualiser les lieux de violence et il avait en même temps recours au «crowd-sourcing» pour vérifier le nombre de voitures brûlées. Il y a avait eu auparavant l'analyse des notes de frais des parlementaires britanniques. Désormais, même Le Monde n'hésite plus à faire sa Une sur du «data-journalism» en dévoilant les dépassements d'honoraires des médecins en France.

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