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Grâce aux plateformes communautaires, plus d'un million de créateurs sont sortis de l'anonymat et séduisent dans le monde entier des consommateurs lassés des produits standards. Une lame de fond qui n'a pas échappé aux marques.

Pierrette confectionne depuis longtemps des bijoux «poétiques et délicats». Pour ses copines. Depuis 2012, elle décolle sur Internet: «A Little Market est ma première expérience de vente. C'est grâce à ce site que tout a commencé.» Désormais professionnelle, elle suit des cours du soir en bijouterie de l'École Boulle, à Paris. Les Pierrettes est désormais une marque déposée.

Valérie, elle, était préparatrice en pharmacie. Elle a quitté les laboratoires pour embrasser la maroquinerie. Après avoir cumulé ses deux jobs, elle a créé sa marque, La Baïta. Inscrite au répertoire des métiers comme artisan, elle compte à ce jour 650 ventes et plus de 2 000 «admirateurs», réalise 1 500 euros de chiffre d'affaires par mois, vend sur A Little Market ainsi que sur Etsy et Dawanda, où ses sacs séduisent Anglo-Saxons, Allemands, Suisses et Belges. Elle a un e-shop propre à sa marque. Et une clientèle fidèle qui vient directement à l'atelier pour des projets personnels.

Ni Pierrette ni Valérie n'auraient jamais pu faire connaître leur savoir-faire si les places de marché en ligne – Etsy, A Little Market et Dawanda, donc, mais aussi Fait maison et autres Pitimana – n'avaient vu le jour. Ces plateformes communautaires ont permis à des millions de petites mains douées recluses à la maison d'être visibles, du fin fond de l'Hérault à l'autre bout du Colorado. Une aubaine pour ces créateurs, amateurs ou professionnels qui, en un coup de clic, designent leur boutique en ligne et touchent directement leur clientèle. Seul hic, «une concurrence gigantesque et la peur inévitable d'être copiée», avoue Pierrette.

Car les artisans sont innombrables. Etsy, première plateforme créée en 2005, annonce pas moins de 36 millions de membres (acheteurs et vendeurs), un million de créateurs ou boutiques actives dans deux cents pays mettant en vente 25 millions d'articles et totalisant un chiffre d'affaires en 2013 de 1,35 milliard de dollars, contre 895 millions en 2012… Une explosion! A tempérer toutefois, le site étant ouvert aux produits vintage (au moins vingt ans d'âge) et, malgré les contrôles, à des produits pas toujours élaborés «at home». Lors d'un communiqué évoquant le besoin de transparence, le patron du site, Chad Dickerson, a d'ailleurs donné la possibilité aux créateurs de faire fabriquer leurs objets par un tiers, créant une levée de boucliers auprès des internautes. Pas facile de rester petit et local tout en étant global!

Bérangère Lebon, en charge de la communication et l'une des six employés en France (sur un effectif total monde de cinq cents personnes), où Etsy s'est implanté en 2012, explique l'objectif du site: «Chaque pays a son goût, son style et son public, même si en s'inscrivant, l'artisan peut vendre dans le monde entier.»

«Des partenaires qui nous ressemblent»

C'est sur ce même principe qu'A Little Market a ouvert en 2009. Les trois fondateurs misent sur le savoir-faire français et les échanges hexagonaux, avec deux autres sites, A Little Mercerie et A Little Epicerie, mis en ligne respectivement en 2011 et 2013. La start-up française totalise aujourd'hui quelque 90 000 vendeurs, dont 80 nouveaux inscrits chaque jour, 2 millions de produits en vente, une commande passée toutes les 14 secondes et indique un chiffre d'affaires de 20 millions d'euros réalisé par les créateurs, lesquels sont soutenus par 35 employés (contre 20 l'an passé).

L'intérêt de cette «fourmilière» n'a pas échappé aux marques. «Avec un triple avantage, commente Bérangère Lebon, d'Etsy. Les pages Etsy leur donnent une visibilité mondiale. Pour les créateurs, c'est la reconnaissance d'une marque influente. Et pour les clientes, c'est une nouvelle façon de découvrir de nouveaux articles.» Sur les ces pages, lancées en septembre 2013, les marques Martha Stewart Weddings, Lucky Magazine, Apartment Therapy, Poppytalk ainsi que les blogueuses Trendy Mood et Griottes mettent en avant leurs articles préférés vendus sur la plateforme, avec des mises à jour régulières.

Aux Etats-Unis, un partenariat avec l'enseigne Whole Foods a permis aux créateurs d'imaginer les décorations des «tot bags» (sacs à provision). A Londres, un «pop-up shop» a eu lieu le 6 mars dans le magasin West Elm. Treize artisans, sélectionnés par la revue en ligne très trendy Heart Home Magazine, rencontraient les clients de l'enseigne d'ameublement. Une collaboration avec Liberty a permis à la clientèle de la marque emblématique d'apprendre à confectionner des origamis, pompons, bagues avec trois créateurs d'Etsy. Toujours à Londres, la plateforme a lancé un partenariat avec le designer britannique Tom Dixon.

A Paris, c'est la marque Bensimon qui a opté pour cette source de créativité. A l'origine, la rencontre entre deux femmes, Bérangère Lebon, d'Etsy, et Deborah Cohen, chargée de communication digitale pour la marque familiale. Bensimon a invité cinq créatrices sélectionnées à venir présenter leurs collections à une trentaine de blogueuses du monde de la décoration et du «lifestyle», comme Mamie Boude. Dans la boutique de la marque Home autour du monde, rue des Francs-Bourgeois, à Paris IIIe, Oelwein, Lunaticart, Mister Barney, Mathilde Aubier (ex-Shop) et Small Couture ont présenté leurs bracelets, illustrations et autres bandeaux, partageant leurs secrets avec les blogueuses.

« Depuis trente ans, Bensimon fait des basiques, des intemporels avec des belles matières et couleurs, et un joli savoir-faire, explique Deborah Cohen. Etsy va complètement dans notre sens. C'est le retour à l'essentiel.» La prochaine soirée sera tournée vers la beauté. «Avec des partenaires qui nous ressemblent.»

A Little Market pour sa part vient fraîchement de signer un partenariat avec la marque Qooq, premier fabriquant français de tablettes numériques pour la cuisine. Un concours sera prochainement lancé. Le défi pour les artisans: créer des housses originales. Les prototypes gagnants seront reproduits… comme des petits pains par une usine 100% «made in France» et vendus dans les commerces comme accessoires de tablette.

 

Focus : Derrière le business, le partage

« L'e-commerce est dominé par de grands acteurs qui inondent le marché de leurs produits standardisés, rappelle Nicolas d'Audiffret, cofondateur d'A Little Market. Or, le Web doit au contraire permettre aux “petits” de se faire une place en proposant aux consommateurs des produits originaux, mais aussi et surtout une expérience d'achat humaine et conviviale.»

Le concept va bien au-delà de la simple mise en relation commerciale entre acheteurs et vendeurs. Les plateformes donnent des conseils aux créateurs pour calculer leurs prix, s'adresser à la presse, faire de jolies photos… Etsy organise des «meet-up» («faire connaissance») à Paris où les créateurs se rencontrent, organisent des ateliers entre eux et se transmettent une énergie positive. A Little Market organise depuis trois ans Les Journées du fait main, où le partage des savoir-faire est à l'honneur dans toute la France. Cette année, rendez-vous est pris pour les 17 et 18 mai. Enfin, le site organise une conférence intitulée «Vers une économie plus humaine?», le 8 avril au théâtre du Ranelagh, à Paris XVIe, de 10h30 à 12h00.

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