Communication
Spécialiste en street marketing, enseignant, chercheur et fondateur de LCA Conseil, Marcel Saucet milite pour un marketing créatif et bon marché en phase avec son époque. Rencontre.

Il donnera des cours à Harvard en novembre et prépare un article, pour 2015, dans la Harvard Business Review sur le street marketing. Docteur en marketing, enseignant-chercheur à l’université de San Diego et dirigeant de LCA Conseil, Marcel Saucet pourrait avoir 50 ans. Il en a 32. Beau gosse, débordant d’énergie, il séduit, amuse ou énerve par son franc-parler et son ambition. Il intéresse surtout les étudiants et les marques, de Mr Bricolage à Lancôme, adeptes du marketing de rue dont il ne cesse de vanter les atouts. Auteur de Street marketing, publié fin 2013 aux éditions Diateino, Marcel Saucet a débuté comme chef de produit dans la cosmétique avant de fonder LCA Conseil. Spécialisée en innovation marketing, son agence, basée à Nice, Paris, San Diego et Dubai, associe formation, conseil et communication opérationnelle. Interview.

 

Vous avez été le premier à théoriser le street marketing dont vous avez déposé le nom. Pourquoi un tel intérêt ?

Marcel Saucet. Il est amusant de voir que le terme de street marketing  n’avait jamais été déposé ou protégé aux États-Unis et en Europe avant que je ne le fasse en 2013 ! Il est aussi intéressant de savoir que la notion de street marketing n’existe pas en Amérique. Là-bas, on utilise le terme d’ambient marketing. Il y avait donc une place à prendre. Je suis, par ailleurs, spécialisé en innovation sur les marchés saturés, le sujet de ma thèse. C’est par l’innovation que je suis arrivé au street marketing. En France, il se résume, bien souvent, à une distribution de flyers. Or il est pour moi l’une des nouvelles sources de créativité dont la communication a besoin.

 

Quelle définition en donnez-vous ?

M.S. Le street marketing est une composante du « Guérilla marketing », évoqué pour la première fois par Jay Conrad Levinson en 1984. Son action se situe dans la rue. C’est une opération de promotion peu coûteuse, originale et impactante. La palette d’outils mise à profit est large. Elle va de la simple distribution de prospectus à la customisation de mobilier urbain en passant par des opérations de communication événementielle d’envergure.

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Diffère-t-il de l'ambient marketing ?

M.S. Prenez la grande famille de l’outdoor marketing. Enlevez l’affichage, vous obtiendrez l’ambient marketing. Il peut s’exercer dans le métro, sur la plage ou dans un centre commercial, à la différence du street marketing qui ne concerne que les opérations menées dans la rue et qui s’inspirent de la street culture.


Vous utilisez une kyrielle de termes comme le stealth ou le wait marketing. Vous parlez également de marketing alternatif. Ce sont des sous-catégories ?

M.S. Le marketing alternatif englobe toutes les approches qui se différencient des techniques de marketing conventionnel. Le « Guérilla » est l’équivalent américain. Chaque terme traduit une approche qui n’est parfois qu’une réinterprétation de techniques existantes. Ainsi, le viral marketing n’est pas autre chose qu’une version électronique du bouche-à-oreille. Le stealth marketing, également baptisé « undercover marketing », est un marketing caché. À l’image du placement produit au cinéma. Quant à l’ambush marketing, il permet à une marque de parasiter un événement à son profit.


Les marques vous semblent-elles plus intéressées par ces approches que par le passé ?

M.S. Oui et pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le public est saturé de messages publicitaires. Il en reçoit jusqu’à 6 000 par mois ! Forcément, pour émerger, il faut être plus créatif. La crise a par ailleurs poussé les marques à revoir à la baisse leurs budgets communication. Lorsque vous leur proposez une opération alternative, géolocalisée, à rentabilité supérieure ou égale pour un budget dix à cent fois inférieur, elles tendent l’oreille. D’autant que le street marketing présente un autre atout majeur : son contenu peut être capté en vidéo et mis en ligne. Il sert incroyablement bien le brand content et la communication digitale.


Vous dites qu'il répond également à une évolution sociétale...

M.S. Dans la plupart des pays, les identités sont fragilisées. Le besoin de se retrouver physiquement avec sa communauté est de plus en plus prégnant. Or la rue est un lieu de rassemblement. Celle qui est près de chez moi, me rassure car elle me rappelle ma culture. Et la France, l’Italie, l’Espagne sont des pays où la culture de rue est très présente depuis des siècles. Autre raison du succès du street marketing : il met le prospect au cœur de l’action. Le consommateur devient cocréateur de l’expérience vécue avec la marque. Différente, souvent sans vocation marchande apparente, la communication, orchestrée en terrain neutre, est ainsi perçue comme plus authentique. C’est un marketing qui ne donne pas l’impression d’en être, mais qui se révèle efficace pour développer la connivence et la proximité avec le consommateur, la notoriété d’une marque, ses ventes… Il s’inscrit dans la droite ligne de la nouvelle logique de coconstruction, de partenariat, de collaboratif qui régit le marketing actuel.


Quelles sont les limites de l'exercice ?

M.S. Si l’on colle à la philosophie du street art et de la street culture, il n’a pas d’autre limite que celle de la création. Tout ce qui se trouve dans l’espace investi, la rue, peut être potentiellement un levier de communication, une table, un banc, un abribus… Il y a quelques années, IBM s’est appuyé sur des artistes de rue, des grapheurs. Leurs œuvres dessinées sur les murs étaient obtenues non pas en peignant mais en retirant la crasse. Certaines marques investissent le ciel pour se mettre en valeur par le biais de « flogos », un support de communication écologique et ludique. Constitués d’eau, de savon d’hélium et d’air comprimé, ils permettent de fabriquer des logos volants. En 2008, Zoo York, une marque d’habillement underground de New York, a fait parler d’elle en demandant à un groupe de skaters de customiser de vrais cafards au nom de la marque, avant de les jeter sur les passants en pleine rue ! On parle aussi beaucoup de « skinvertisement ». Cette fois, il s’agit de consommateurs se faisant tatouer le logo d’une marque contre rémunération sur les parties visibles du corps. Tout est possible.


Peut-il se pratiquer partout ?

M.S. Tout dépend. Chaque ville ou région a sa réglementation. Certaines sont cauchemardesques. Si presque tout est possible à New York, peu de choses peuvent être envisagées en Californie sans autorisation, spécialement à Los Angeles. Paris reste une ville compliquée, même si les choses s’améliorent. En France, l’espace public est, en principe, libre mais beaucoup sont payants, en réalité. Il faut compter 50 000 euros par jour pour communiquer devant Beaubourg, 5 000 euros la journée à La Défense.


Un street marketing flirtant avec l'illégalité peut-il être un choix délibéré de la marque ?

M.S. Oui. S’il est en rapport avec la culture et les valeurs de la marque, cela peut être bon d’être illégal et de payer une amende. Une étude qualitative que nous avons menée auprès d’agences de publicité et de 180 entreprises a montré que la majorité des marques était prête à flirter avec l’illégalité pour faire du buzz. N’oublions pas que le street marketing est en phase avec la street culture et le street art, lesquels jouent souvent avec les limites.


Comporte-t-il des risques ?

M.S. Les risques sont multiples. Il y a pour commencer les aléas de la météo. Par ailleurs, la rue est imprévisible, ce qui induit un gros travail de préparation. Tout le monde a en tête l’opération « organisée » en 2009 par Rentabiliweb qui avait annoncé la distribution de 40 000 euros dans la rue sans pouvoir contenter la foule mécontente qui avait répondu à l’appel. Elle avait annulé l’opération provoquant des débordements, de la casse et une image de marque dégradée. On ne s’improvise pas professionnel du street marketing.

 

 

Article paru dans le supplément Event de Stratégies en septembre 2014.

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