Shopping
Payer avec son téléphone en magasin représente un confort pour les clients et une aubaine pour les enseignes. Les initiatives se multiplient sur ce marché prometteur.

« Tout le procédé de paiement est basé sur un bout de plastique. Nous dépendons de bandes magnétiques et de chiffres, mais notre ambition est de remplacer le portefeuille ». Le PDG d’Apple, Tim Cook, semble bien décidé à en finir avec les vieux modes de paiement. Outre le lancement de l’Iphone 6, le successeur de Steve Jobs a dévoilé, début septembre, le service Apple Pay. Il permettra aux possesseurs de l’Iphone de payer dans les magasins avec leur smartphone, sans avoir à sortir leur « bout de plastique ». Le signal que les utilisateurs attendaient pour faire (enfin) leur shopping avec leur mobile ? Pierre Métivier, le délégué général du Forum des services mobiles sans contact (FSMSC), est pour sa part optimiste : « L’arrivée d’Apple est un symbole fort. La marque pourrait dynamiser le marché et accélérer l’adoption du paiement mobile, comme il l’a déjà fait dans de nombreux domaines. »
Reste que, à ce jour, le m-paiement, déjà bien connu et pratiqué au Japon, en Corée du Sud et dans les pays peu bancarisés d’Afrique, tarde à s’imposer aux Etats-Unis et en Europe. En France, si la pratique se développe, elle reste balbutiante. Selon une étude Ifop de novembre 2013, si 73 % des sondés considèrent le paiement sans contact comme une solution d’avenir, seuls 7 % l’ont adopté. En juillet, 5 millions de transactions sans contact ont été réalisées en France, soit un peu moins de 1 % de l’ensemble. L’une des raisons tient dans le manque d’équipement des commerçants : ils ne sont que 200 000, soit 17 % d’entre eux, à avoir acquis un terminal compatible avec la technologie NFC (Near Field Contact). Parmi eux, des acteurs tels que Leroy Merlin, Carrefour, Décathlon, Ikea ou Starbucks. Thibault de Dreuille, délégué général de l’Association française du sans contact mobile (AFSCM) se montre cependant confiant : « Le renouvellement se fera naturellement à mesure que les commerçants changeront leur équipement. Nous visons un taux d’équipement de 30 % à la fin de l’année. »

 

Perspectives alléchantes
Chez Paypal France, on ne doute pas non plus de l’essor du m-paiement : « La frontière entre le monde physique et l’univers digital ne cesse de s’estomper et le mobile prend une place croissante dans la vie des consommateurs », remarque Gimena Diaz, la directrice générale de ce spécialiste du paiement en ligne aux 150 millions de comptes actifs dans le monde. Une intuition confirmée par une étude Gartner, qui prévoit que le marché du paiement mobile  atteindra 721 milliards de dollars en 2017, pour 450 millions d’utilisateurs. D’autant que le paiement par mobile présente un intérêt majeur : recueillir des données très précises sur ce que les consommateurs achètent effectivement.
Ces perspectives éveillent l’appétit de nombreux acteurs prêts à disputer le monopole historique des spécialistes du terminal de paiement électronique (TPE) pour préempter le marché : des banques, comme BNP Paribas et Crédit mutuel-CIC, des opérateurs télécoms, tel Orange, sans oublier les GAFA, avec Apple Pay et Google Wallet. Facebook, qui vient de recruter l’ex-patron de Paypal, David Marcus, est en embuscade. Il serait en train d’introduire le paiement dans sa célèbre application de messagerie Messenger, offrant la possibilité d’effectuer des transferts d’argent entre utilisateurs, sans commission.
En France, les initiatives font tâche d’huile, puisque des villes comme Nice, Strasbourg, Caen ou Nancy, où les taux d’équipement des commerçants dépassent la moyenne nationale, sont devenues des laboratoires à ciel ouvert. Depuis septembre, Paypal teste ses offres dans une trentaine de magasins et restaurants nancéiens. Orange a commencé au mois de février les essais de son compte prépayé Orange Cash à Caen et Strasbourg, où il fréquente les expérimentations de la Société générale et de la Banque postale. « Il nous paraissait important d’accompagner le développement de cet usage d’avenir », explique Karine Munoz, responsable marketing monétique France de BNP Paribas, qui a lancé l’appli KIX au niveau national en 2011.


Gain de 20 secondes en caisse
Ces signaux sont une bonne nouvelle pour les enseignes qui observent avec intérêt la mêlée. Pour elles, le m-paiement présente en effet bien des avantages. « Les grandes enseignes ont depuis longtemps constaté la montée de l’usage du smartphone en magasin. Pour ne pas devenir de simples showrooms, elles souhaitent s’adapter aux nouveaux usages de leurs clients », décrypte Gimena Diaz. Paypal a ainsi noué aux Etats-Unis des partenariats avec Home Depot, Abercrombie & Fitch, Hollister, Toys R Us, ou encore Foot Locker. En France, Paypal est utilisé depuis 2012 par McDonald’s qui propose à ses clients de commander et de payer leur commande avec leur smartphone avant de venir récupérer leurs burgers dans le restaurant. « Le paiement par mobile fait gagner 15 à 20 secondes en caisse, ce qui explique l’intérêt que lui portent la restauration rapide et la grande distribution », observe Cyril Chiche, président du service de paiement Lydia, qui vient de nouer un partenariat avec La Pataterie. Gimena Diaz ajoute que « l’expérience client s’en trouve améliorée, puisque le moment où il faut payer n’est pas le plus agréable. Quant au commerçant, il peut se concentrer sur son offre de service ». Un argument qui a sans doute pesé dans le choix du service de voitures avec chauffeur Über d’intégrer Paypal comme mode de paiement.
La grande distribution se montre elle aussi particulièrement intéressée, mais elle se démarque en créant ses propres applications de m-paiement. Ainsi, Leclerc teste Payment Flash dans sept de ses centres, et Auchan a récemment annoncé le déploiement de Flash’N Pay dans l’ensemble de ses 120 hypermarchés français à partir du deuxième trimestre 2015. « Compte tenu de la fréquence de visite et de la fidélité importante de nos clients, il est légitime que nous réfléchissions à un mode de paiement privatif », analyse Nicolas Paepegaey, directeur des activités digitales de Leclerc. Cette solution leur permet aussi d’optimiser les coûts, de juguler la fraude, et ne manque pas d’atouts marketing : « En un seul geste, les clients pourront payer, passer leurs coupons de réduction, cagnoter leur carte de fidélité et recevoir leur ticket de caisse numérique », explique le directeur général de Flash’N Pay, Benoît Liagre. « Toutes ces innovations participent à fluidifier les parcours en magasins pour les clients qui souhaitent les adopter », renchérit Nicolas Paepegaey. Surtout, posséder son propre service de m-paiement, c’est s’assurer la propriété des données qu’elles revendent par ailleurs aux marques. « Auchan pourra affiner son ciblage marketing afin de pousser des coupons de réduction plus en phase avec les attentes de ses clients », ajoute ainsi Benoît Liagre.
Il reste toutefois des obstacles techniques à la démocratisation du m-paiement. D’abord, les distributeurs devront initier leurs clients. Leclerc a installé des stands et des PLV dans ses sept magasins pilotes pour accompagner les consommateurs et recueillir leurs avis. Chez Auchan, on prévoit d’enrôler rapidement les 2,5 millions de détenteurs de sa carte de paiement Accord, et d’inviter les centaines de milliers de porteurs de l’application MyAuchan à la mettre à jour. « L’enjeu le plus important, c’est la formation des vendeurs et l’accompagnement des points de vente », note Benoît Liagre. La démocratisation dépendra aussi des commissions prélevées par les prestataires : « La carte bancaire a été massivement adoptée quand les commissions ont baissé, rappelle Nicolas Paepegaey. Or, les initiatives des banques dans ce domaine sont plus chères que la carte bancaire. »
Surtout, il faudra lever les craintes qui pèsent sur la sécurité et la fiabilité exprimées par 65 % des mobinautes, selon l’Ifop. Les acteurs du marché n’hésitent d’ailleurs pas à se servir de cette inquiétude pour enfoncer la concurrence : quelques jours après le lancement d’Apple Pay, Paypal s’offrait une page de pub dans le New York Times en clamant « Nous, le peuple, voulons que notre argent soit plus en sécurité que nos selfies ». Une référence au Celebgate, ces photos de stars piratées, qui ont ébranlé la confiance dans Icloud. Apple le lui fera-t-il payer ? La bataille ne fait que commencer.
Aymeric Marolleau

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