Presse écrite
Pour suivre leurs lecteurs, les journaux et magazines misent sur les applications. Mais les recettes publicitaires sont décevantes et les modèles économiques incertains. Tout est à inventer.

Après avoir suivi leurs audiences sur internet pendant les années 2000, journaux et magazines défrichent aujourd'hui un nouveau territoire inconnu : celui des applications pour smartphones et tablettes où le trafic a d'ores et déjà massivement migré. Edouard Andrieu, directeur des nouveaux écrans du Monde, constate ainsi que « le mobile compte dorénavant beaucoup plus de pages vues que le web ». Et Frédéric Filloux, le directeur digital des Echos, estime qu'il « comptera pour 50% du trafic digital du groupe d'ici fin 2014 ».

Mais comment attirer les mobinautes en quête de nouvelles fraîches ? Les éditeurs misent sur plusieurs leviers. Premièrement, l'ergonomie de leurs applications, avec un maître mot : l'expérience utilisateur. « La plupart des applications d'actualité se ressemblent, commente Vincent Pillet, directeur associé de l'agence conseil en marketing mobile userADgents et bon observateur du marché. Elles associent le lecteur au processus de réalisation le plus tôt possible en misant sur la simplicité d'utilisation et l'accès rapide à l'information. » Résultat : une rivière centrale où les informations s'empilent les unes sur les autres. Un même lecteur a différentes façons de consommer l'application dans une même journée. Il peut passer du temps à lire un article, même long, quand il se trouve dans les transports par exemple.

Le Monde se démarque
Seul Le Monde a choisi une autre voie. En effet, la nouvelle version de son application, lancée en juin, propose une navigation entre les rubriques qui se fait par glissements successifs des pages, telle une incitation à la flânerie et à la sérenité. Le choix est assumé par Edouard Andrieu : « Nous voulions mettre en valeur la richesse de la rédaction et donner de la personnalité à l'application. Il fallait aussi concilier les multiples usages de nos lecteurs qui peuvent, dans une même journée, s'installer dans la lecture d'un article ou, à d'autres moments, jeter un coup d'œil sur les titres. » Privés de leurs repères, les habitués ont d'abord très mal accueilli la nouvelle version en abaissant sa note moyenne dans l'App Store. Mais « Le Monde a su écouter ses utilisateurs », explique Vincent Pillet. Un tutoriel a ainsi été ajouté. Et l'application a rapidement retrouvé sa barre de menu en même temps que les faveurs de sa communauté. Le quotidien du soir a finalement réussi son pari : le temps de consultation moyen a augmenté de 10% par rapport à la version précédente, avec un nombre de visites et de visiteurs en hausse de 35%.

L'attention portée à l'utilisateur est aussi au cœur du succès de l'application de Télé Loisirs (Prisma), appli de presse écrite la plus visitée (voir tableau ci-dessous) : « Il faut se rendre indispensable au mobinaute pour qu'il ait envie de venir chez vous plusieurs fois par jour », conseille Philipp Schmidt, directeur de Prisma Pub. Pour y parvenir, le titre accompagne l'utilisateur dans sa consommation de télévision, avec de nombreux services : enregistrement des programmes, guide TV personnalisé, alarmes de diffusion, partage d'avis et télécommande. « Télé Loisirs est parvenu à dépasser son statut de fournisseur d'information pour apporter un service à l'utilisateur », analyse Vincent Pillet.

Autre levier indispensable pour séduire l'audience : le contenu éditorial. « Pour les éditeurs, la course va se gagner sur leur capacité à se différencier par des contenus propriétaires », estime Vincent Pillet. Mais l'équation est complexe : comment intéresser les lecteurs avec un contenu de qualité et exclusif – en clair, ne pas se contenter d'un fil de dépêches – sans cannibaliser leurs journaux et leurs versions payantes ? Les Echos a apporté sa réponse en lançant en juin l'application Les Echos Live. Elle est « conçue comme une porte d'entrée vers le site et le contenu payant », souligne Frédéric Filloux. Pour ce faire, une équipe de cinq journalistes « digital native » rédigent des articles courts, sélectionnent des tweets de personnalités et mettent en valeur les articles pointant vers le paywall du site internet.

Dans le Val-de-Marne, Le Parisien expérimente une option originale, le « reverse publishing », déjà adopté par le Financial Times, Le Soir en Belgique et La Presse au Québec : les journalistes publient d'abord pour le numérique, le journal reprenant le meilleur du digital.

La vidéo prend aussi une place croissante dans les applications des groupes de presse, « car c'est un format plébiscité par les lecteurs et efficace d'un point de vue publicitaire », note Philippe Schmidt. Le Parisien et Prisma se sont ainsi dotés de leur propre studio.

La question de la monétisation
Mais attirer l'audience n'est que la première étape. Encore faut-il la monétiser, ce qui est loin d'être évident : « Les éditeurs peinent à trouver le bon modèle économique », déplore l'expert média Pascal Josèphe, qui indique que les ressources publicitaires affectées sont très en deçà des audiences. « Les publicités sur mobile rapportent sept à huit fois moins en valeur que celles sur l'internet fixe », confirme Philipp Schmidt, chez Prisma. La faute à un écran plus petit et au rejet de certains formats trop intrusifs, comme les interstitiels, qui nuisent à la navigation. Pascal Pouquet, directeur des Nouveaux Médias du Figaro, pointe aussi la responsabilité des agences, qui « n'investissent pas beaucoup dans ce média compte tenu de la faiblesse des budgets alloués aux campagnes ».

A l'occasion du lancement de la nouvelle version de son application, Le Monde a tenté de dynamiser le marché en développant de nouveaux formats publicitaires ludiques en partenariat avec l'agence Joule, dont ont profité Land Rover et Sony. Ou des messages qui s'animent quand le mobinaute « déroule » l'article. « Nous voulions des formats ludiques et impactants, mais qui ne perturbent pas le lecteur », précise Edouard Andrieu. Philippe Schmidt ajoute qu'il faut « miser sur les atouts du mobile, comme la finesse du ciblage, la géolocalisation et la réactivité de ce support très intime ». Sophie Reinauld, présidente du cabinet de conseil Revsquare France, souligne à ce titre que « les données recueillies sur smartphones et tablettes jouent un rôle central dans la connaissance des utilisateurs à des fins éditoriales et publicitaires ».

Les éditeurs s'intéressent aussi de près au native advertising. « C'est un format qui reste clairement identifié et mieux intégré que les autres supports publicitaires au contenu rédactionnel, avec des espaces dédiés et des sujets récurrents », décrypte Philipp Schmidt.

Déçus par les recettes publicitaires, les acteurs cherchent aujourd'hui à renforcer la part des achats « in-app » en mettant en avant les articles payants et les formulaires d'abonnement. « L'application mobile est un relais de ventes numériques. Les gens achètent de plus en plus le PDF du journal sur leur smartphone ou tablette », observe Eric Leclerc, directeur des Activités numériques du Parisien. Plus de neuf versions numériques sur dix sont d'ailleurs encore vendues par les éditeurs eux-mêmes, malgré le timide développement des kiosques numériques.

Quant aux abonnés aux éditions numériques, ils ont accès à l'ensemble des contenus et à des fonctionnalités supplémentaires, telle la possibilité de personnaliser l'ordre des rubriques sur Le Monde. Depuis le début de l'année, Le Parisien teste dans le Val-de-Marne une application d'information locale payante : au-delà du cinquième article lu, les lecteurs sont invités à souscrire un abonnement de 2,99 euros par mois. « L'expérimentation est un succès et nous réfléchissons à l'étendre », se félicite Eric Leclerc. De son côté, Télé Loisirs propose à ses utilisateurs de se débarrasser de la publicité pour 2,69 euros. Les tests se multiplient et les modèles économiques se cherchent.

Le pari de La Tribune
Parmi les dernières initiatives du marché, retenons celle de La Tribune qui fait le pari du payant sur smartphone et tablette. Depuis septembre, le quotidien économique, qui a renoncé au papier en 2012, publie chaque jour, à 19 heures, une édition numérique dans le kiosque d'Apple, rompant avec la logique de flux : « Nos lecteurs, pris dans la surabondance de l'information, ont exprimé le besoin d'un rendez-vous quotidien avec la rédaction pour hiérarchiser, analyser et approfondir les sujets », indique son président, Jean-Christophe Tortora. Avec des articles enrichis et une ergonomie repensée pour le mobile, La Tribune rompt avec le classique PDF. Elle projette aussi de miser sur l'information économique locale et personnalisée, grâce à une rédaction en réseau qui se déploie dans une dizaine de métropoles (Lyon, Marseille, Lille…).

 

Top 10 des applis de presse écrite les plus visitées

 

Rang Application Visites totales (en millions) Dont mobile (en millions)
Dont tablette (en millions)
1
Télé-Loisirs 42 35,1 6,8
2 Le Monde 34 27,1
6,8
3
Le Parisien 25,3 24 1,4
4 Public 20,7 18,5 2,1
5 Télé 7 19,3
14,7 4,5
6 20 Minutes 16,8 14,8 2,1
7
Closer 8,6 7 1,6
8 Le Point 8,5
6,9 1,7
9 Metronews 7,6 7 0,6
10 Sud Ouest 5,3 4,9 0,5

 

Source : OJD septembre 2014 (nombre de visites total au mois de juillet 2014)

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