Étude
Brand Union explore quatre pistes pour redonner au luxe son côté mystérieux que la technologie menace, au risque de le banaliser, de le lui ôter. Avec un mot d’ordre: l’imagination au pouvoir.

[Cet article est issu du n°1928 de Stratégies, daté du 7 décembre 2018]


Place à l’imagination. C’est la conviction de l’agence de design Brand Union. Travaillant notamment pour des marques de prestige comme les cognacs Gautier ou le whisky Chivas Regal, elle a cherché à voir comment le secteur du luxe pouvait renouveler son discours à l’heure des technologies omniprésentes. Pour Camille Yvinec, executive strategy director, «la technologie donne aujourd’hui accès à tout et l’on a l’impression d’avoir déjà tout vécu avant même d’avoir vu tel lieu ou tel produit. On peut pratiquement voyager sans quitter son canapé et découvrir via les stories d’Instagram tournées sur place les cosmétiques que l’on aura dans la salle de bains de l’ incroyable hôtel» où l’on a prévu de se rendre à l’autre bout du monde. D’abord en retard sur le plan de la technologie, l’industrie du luxe s’y est ensuite engouffrée, sur les traces d’une marque comme Burberry passée très vite au tout digital. La technologie a, certes, permis d’augmenter l’expérience client mais elle a aussi tué une part du rêve qui était attachée à l’idée même de luxe. Car, comme aime à le dire Camille Yvinec, «le désir naît d’une distance à l’objet». Comment, dans ces conditions, redonner au luxe sa part d’intrigue et de mystère qui en fait son essence ? Brand Union, dans une étude baptisée «Le luxe a besoin d’imagination» et réalisée par Camille Yvinec et Romain Quédreux, assistant planneur stratégique, liste quatre pistes de réflexion présentées ici.

1. Le futur et son mystère

Quoi de mieux pour une marque que de jouer sur la notion de futur qui, justement et par définition, ne peut pas se montrer mais qui, en revanche, est à même de créer du fantasme? Le rapport au temps fait déjà partie de la mythologie du luxe, dont l’industrie met depuis longtemps en avant les notions d’héritage ou de transmission, notamment dans l’industrie horlogère. Là, désormais, elle peut jouer une nouvelle carte, celle du futur, qui redonne tout son pouvoir à l’imaginaire. L’exemple le plus frappant est celui du cognac Louis XIII de la maison Rémy Martin qui a présenté un film que «vous ne pourrez jamais voir», pour la simple et bonne raison qu’il a été enfermé dans un coffre-fort et ne pourra être visionné qu’en… 2115. Veuve Clicquot a imaginé de son côté une opération de brand content après la découverte en 2010 de bouteilles de champagne de sa propre marque au fond de la mer Baltique. À son tour, la maison en a immergé 350 à 43 mètres de profondeur en pleine mer, dans un but scientifique (en goûter une de temps en temps pour contrôler son évolution) et dans la perspective d’une dégustation prévue dans quarante ans.

2. La synesthésie et sa surprise

La synesthésie, ou l’association de plusieurs sens -par exemple la capacité d’imaginer une odeur à partir d’une couleur-, est une occasion pour une marque de redonner à son produit une aura de surprise et de merveilleux en aiguisant les émotions. Brand Union a relevé plusieurs exemples de marques qui cherchent à faire voyager leurs consommateurs au pays des sens. C’est le cas de Johnnie Walker Blue Label et de son «flavour conductor», un instrument présenté lors d’un événement durant lequel le public dégustait le whisky en profitant d'un spectacle son et lumière. Ceux-ci modifiaient alors le goût du breuvage… Voyage dans les sens aussi pour la dernière série limitée de crayons Caran d’Ache parfumés au bois de Tibet par la maison genevoise Mizensir. Quant à la marque Floraïku de Clara Molloy, elle a imaginé des parfums à partir de haïkus, ces poèmes japonais composés de trois vers pour, là aussi, un mariage subtil entre mots et odeurs. Comme Martin Margiela l’a fait aussi avec ses parfums Replica dont chacun doit réveiller les images d’une soirée au coin du feu ou sur la plage de Calvi.

3. L’insaisissable de l'instant

Les marques de luxe cultivent déjà à l’envi la notion d’éphémère, ne serait-ce que dans les pop-up stores ou dans les séries limitées dans le temps. Désormais, note Brand Union, la tendance s’étend aux secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, des voyages… Dans cet «après pop-up store», le mystère entretenu est total. C’est l’exemple marquant du palace Claridge’s à Londres dont le restaurant Fera propose une expérience inédite à quelques privilégiés qui ne connaissent pas le menu proposé à l’avance et le partagent en compagnie de cinq autres convives au grand maximum. L’agence de voyages Black Tomato joue, elle, la carte du sur mesure et de l’inattendu en invitant ses clients à choisir de planter leur 35 étoiles à l’endroit où ils le souhaitent. Glacier, désert, jungle ou savane, rien n’est impossible… pour une expérience unique et non reproductible.

4. La poésie des souvenirs inutiles

Les souvenirs sont matière à rêverie, nous offrant, à partir d’un son, d’une forme ou d’une saveur, un voyage immédiat dans notre enfance, note l’étude de Brand Union. Pour une marque, convoquer la poésie surannée attachée à ces madeleines de Proust est propice à créer chez chacun d’entre nous, comme pourrait le faire une œuvre d’art, une expérience personnelle. Hermès ne fait rien d’autre avec sa gamme de produits upcycling Petit h, qui propose ainsi un porte-galet en cuir à l’utilité toute relative mais tellement poétique. Dans la même veine, l’artiste Quentin Carnaille, revisitant Dali, avait imaginé The last watch, une montre qui ne donne pas l’heure, comme s’il voulait arrêter le temps. Là encore, nous voilà à mille lieues des prouesses technologiques dont le luxe se doit de n’en garder que les plus indispensables, sous peine de perdre la part de rêve et de mystère qui lui est attachée. Pour opérer ainsi, en somme, un retour aux sources.

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