Médias
Articles écrits par un robot, outils intelligents pour repérer les contenus de qualité ou aider les journalistes… L’intelligence artificielle investit le secteur des médias. La cohabitation est faite pour durer.

[Cet article est issu du n°1951 de Stratégies, daté du 24 mai 2018]

 

Ce 1er avril 2018, Jeff s'en souviendra: ce petit robot intelligent, créé par l’entrepreneur spécialiste des médias Benoît Raphaël dans le but de repérer les articles à ne pas rater sur l’actualité d’un secteur, a découvert que, chaque année ce jour-là, les médias les plus sérieux pouvaient écrire n’importe quoi ou presque, au nom de la fameuse tradition du poisson d’avril. «Le 1er avril, c'est le jour autorisé par les journalistes humains pour faire des fake news, c'est ça?», s’amuse Jeff dans un mail d’excuses, après que celui-ci a sélectionné dans sa newsletter quotidienne un article du Média annonçant sa fermeture, une information qui était en fait un poisson d’avril. Preuve s’il en fallait que malgré les milliers de paramètres qu’elles prennent en compte, les intelligences artificielles ne sont pas infaillibles.

Comme presque tous les pans de l’économie, le secteur des médias n’échappe pas à la déferlante de l’intelligence artificielle (IA). «Plutôt que d’IA, il faudrait mieux parler d’outils intelligents permettant de mieux faire son travail, que ce soit dans la production d’informations ou dans leur diffusion», estime Benoît Raphaël, dont le projet vise à sélectionner parmi les millions d’articles produits quotidiennement les informations pertinentes et de qualité en fonction des centres d’intérêt de chacun. Pour ce faire, il s’appuie sur les réseaux neuronaux. C’est ce qu’on appelle le deep learning, qui apprend au fil du temps à différencier des algorithmes, qui ne font que les calculs pour lesquels ils ont été programmés. «Les médias confondent souvent IA et technologie. Les chatbots par exemple, ce n’est pas de l’IA car ils n’apprennent pas des conversations qu’ils tiennent», estime Jean Abbiateci, rédacteur en chef adjoint du quotidien suisse Le Temps, qui utilise un outil intelligent baptisé Zombie pour mieux valoriser ses archives.

 

La robot-rédaction va plus loin

  Parmi les exemples les plus marquants d’utilisation de l’IA à des fins éditoriales, la robot-rédaction. Prenez une série de données sur un sujet, que ce soit des informations financières, des résultats sportifs ou des prévisions météorologiques. En quelques secondes seulement, une IA est capable de générer un texte de qualité. En France, la société Syllabs, qui a levé en mars dernier 2 millions d’euros , a notamment produit ces trois dernières années pour Le Monde , Radio France, L’Express et Le Parisien des textes générés automatiquement autour des élections. «En termes de vitesse et de quantité d’articles produits, la robot-rédaction permet d’aller beaucoup plus loin que ce qu’un journaliste peut faire. Mais en termes d’analyse, celle-ci ne pourra être que succincte puisque la langue porte la complexité de l’intelligence humaine, et rien ne nous permet de penser que les machines arriveront un jour à un niveau d’intelligence proche des humains» , assure Claude de Loupy, PDG de Syllabs.

C’est pourquoi la robot-rédaction, dans le domaine des médias, se cantonne aujourd’hui à l’information boursière ou à l’actualité sportive. D’ici la fin de l’année, 20 Minutes devrait utiliser ce type de technologie pour couvrir les matchs de Ligue 1 de moindre importance. «Sur les élections de 2017, nous avons produit des articles automatiquement à partir des statistiques de chaque commune. Il nous fallait ces pages pour pouvoir publier les résultats. L’automatisation d’articles était davantage un enjeu de productivité que d’audience», se souvient Winoc Coppens, directeur des systèmes d’information du quotidien gratuit. Syllabs discute aussi avec Ouest-France et le groupe belge Mediafin. «L’objectif n’est absolument pas de prendre le travail des journalistes. Aujourd’hui, nombre de médias sont dans une course à la quantité, et dans cette course, les humains ne peuvent pas gagner face aux robots. Nous sommes là pour libérer du temps aux journalistes, pour qu’ils puissent se concentrer sur l’analyse», insiste Claude de Loupy.

 

L'IA pour la qualité éditoriale

Ancien responsable du numérique aux Echos, aujourd’hui chercheur associé à l’université de Stanford, Frédéric Filloux travaille lui aussi sur un projet de deep learning, mettant l’intelligence artificielle au service de la qualité éditoriale. Derrière Deepnews.ai, plusieurs dizaines de critères, pondérés par 25 millions de paramètres, qui lui permettent de définir la qualité d’un article, avec «un taux d’exactitude de 91%». «Nous sommes aujourd’hui dans un système où il n’y a aucune corrélation entre le coût de production d’un article et sa valeur commerciale attendue. Quel que soit le niveau de profondeur ou d’enquête d’un article, le prix de la publicité vendue reste le même. Je suis convaincu que l’intégration d’une notion qualitative serait bénéfique pour le marché de la publicité digitale», estime Frédéric Filloux.

L’intelligence artificielle peut aussi aider les journalistes à faire leur travail au quotidien. C’est ainsi que 20 Minutes intègrera dans la prochaine version de son outil de publication, prévu au plus tard début 2019, des fonctionnalités intelligentes qui suggèreront par exemple au journaliste des mots-clés et des articles à associer à son article, des photos pour l’illustrer et même un titre “Google-friendly”. À lui ensuite d’accepter ces suggestions ou pas. «L’IA est là pour faire gagner du temps aux journalistes», argue Winoc Coppens.

 

Boîtes noires

À Nice-Matin, d’autres outils intelligents ont été utilisés pour personnaliser les articles proposés aux lecteurs, en fonction de leur profil et de leurs centres d’intérêt. Face à une base de données titanesque, l’IA peut également aider les journalistes à identifier ce qui mériterait un article. «Combinée à l’émergence de l’open data, l’arrivée de l’IA représente une formidable opportunité pour les journalistes, qui passeront ainsi moins de temps à éplucher des données», note Damien Allemand, responsable digital du groupe Nice-Matin. «La crainte d’avoir affaire à des boîtes noires peut être un frein au développement de l’IA dans les médias», tempère Frédéric Filloux. Pour gagner la confiance, l’IA devra faire ses preuves. Plus encore qu’un journaliste ordinaire.

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