Entrepreneuriat
« Petit » pays d’1,3 million d’habitants, l’Estonie a entièrement digitalisé son administration. Une démarche porteuse pour les citoyens mais aussi les entreprises, comme Skype, qui y est née. Focus sur un pays où les jeunes pousses - et même quelques licornes - trouvent un terreau favorable.

Quinze minutes. C’est le temps qu’il faut en Estonie pour monter sa start-up. En comparaison, un doux rêve, pour les entrepreneurs français… Cette facilité, cette fluidité dans les démarches, ne doit rien au hasard. L’Estonie l’a voulue ainsi. Une question de survie, pour se reconstruire après des décennies de domination soviétique, dans les années 80-90.

«L’Estonie est un État-plateforme, où les services administratifs sont disponibles numériquement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7», explique Violaine Champetier de Ribes, co-auteure de Demain, tous Estoniens? L'Estonie, une réponse aux Gafa (Cent mille milliards, septembre 2018). Les Estoniens disposent aussi d’une identité numérique qui leur permet de réaliser aisément ces démarches.

 

«Signer des papiers n'existe plus»

Même tendance pour les entreprises. Celles-ci peuvent gérer numériquement l’administratif. «L'écosystème estonien est super simplifié car il n’y a pas d'exception à la règle pour les taxes ou autre demande pour les entreprises», témoigne Nadim Taoubi, CFO de Natufia, start-up spécialisée dans les cultures connectées. «Le concept de signer des papiers n’existe plus en Estonie», résume Niroshan Balas, dirigeant fondateur de Zlick, spécialiste du paiement en ligne. Un programme est en place, l’e-résidence, qui donne aux entrepreneurs du monde entier des facilités pour créer une société.  

Cet État-plateforme a aussi sur la sphère économique un impact plus large. Les relations public/privé sont très étroites. L'État a été co-construit avec les entreprises comme les banques, les télécoms. Ce qui insuffle une dynamique globale d’innovation. «Le secteur public pousse le secteur privé à se moderniser», avance Sébastien Le Roux, attaché de coopération pour l’innovation numérique à l'ambassade de France en Estonie et l’Institut français d'Estonie. De quoi, par ailleurs, créer un certain état d’esprit. «Les entreprises sont tournées vers les gens, les citoyens, les clients. Les solutions techniques viennent après», observe Violaine Champetier de Ribes.

Enfin, «cet esprit de simplicité porte sur la vision produit: on ne se pose pas la question de comment s’adapter aux structures légales», déclare Niroshan Balas. C’est même plutôt l’inverse. Loin de contraindre les créateurs, ce cadre légal se veut souple. «Quand les start-up ont besoin de modifier la législation, l'État le fait», indique Violaine Champetier de Ribes. Et ce, en quelques mois. Un modèle pas forcément viable à l’échelle d’un plus grand pays.

 

Terre de licornes

Cet ensemble de facteurs forment un terreau favorable pour les entreprises. C’est là que Skype, la plus célèbre d’entre elles, a pu naître. D’autres licornes comme Taxify, acteur de la mobilité, concurrent d'Uber, y ont également émergé. Tout comme une flopée de start-up tech (lire encadré), nées dans leur lignée. Adcash, qui œuvre dans l’univers de la publicité digitale, est l’une d’entre elles. Née en 2011, cette régie publicitaire revendique aujourd’hui autour de 30 millions de chiffre d’affaires. Son cofondateur, Thomas Padovani, est français. « Pourquoi ça a marché : le système est plus simple, plus “fair”. Il ne met pas de bâtons dans les roues », constate l’entrepreneur. 

Au global, «l’Estonie a l’un des plus gros ratios de start-up par habitant», indique Sébastien Le Roux. En revanche - pas le moindre des écueils -, toutes les entreprises ne bénéficient pas du système de la même manière. «Les TPE et PME sont mal intégrées dans le monde numérique», remarque l’expert.

 

«Effet Skype»

Quoi qu’il en soit, il est possible de parler d’un «effet Skype», qui se traduit de plusieurs manières. L’entreprise a apporté de l’argent, nourri une culture de l’investissement et de l’entrepreneuriat. «Skype a vraiment créé un effet, assure Violaine Champetier de Ribes. Lors du rachat [en 2005, par eBay], tous les anciens ont réinvesti dans l’écosystème naissant, ou recréé des entreprises. C’est le cas de Starship Technologies, fondé par un ancien et un cofondateur [danois] de Skype, ou encore de TransferWise, cofondé par le premier employé de Skype, Taavet Hinrikus». Pour Nadim Taoubi, une dynamique comparable à celle créée après le rachat de Paypal. «Tout le monde osait devenir entrepreneur», relate Niroshan Balas.

 

Un haut niveau de formation

Le dynamisme de l’Estonie en matière de start-up ne tient pas à ce seul acteur. «Les Estoniens ont un excellent niveau de formation», explique Nadim Taoubi. Le pays forme la population au numérique et est par ailleurs très bien placé au classement PISA de l’éducation. Une manne de talents. C’est là, par exemple, que Niroshan Balas recrute ses premiers développeurs. Par ailleurs, le pays donne aussi aux entrepreneurs la capacité de lever de l’argent. «Pendant longtemps, cela a été quasiment impossible. Le pays sortait de la corruption. Il a fallu évangéliser sur le sujet. Convaincre nos partenaires, notamment bancaires», raconte Thomas Padovani.

Autant de facteurs qui aident les start-up à grandir. Outre leur dynamisme, leur particularité est qu’elles regardent vers l’international. Il faut dire que le marché domestique, avec un peu plus d’1,3 million d’habitants, offre, de fait, des débouchés limités. Ainsi, Natufia, actuellement en lancement, a enregistré près d'un million de dollars de précommandes venant des États-Unis, de France, d’Allemagne, du Royaume-Uni, mais quasiment pas d’Estonie. Même son de cloche chez Adcash, qui s’inscrit sur un marché global, travaille avec des agences à l’international, compte ses principaux concurrents à l’étranger. Une vision inspirante pour les entrepreneurs français.

5 succès estoniens

Outre Skype et Taxify, l’Estonie a fait naître plusieurs licornes et pépites, affichant des performances remarquables (croissance, levées de fonds…)  

TransferWise. Solution de transfert d’argent. 

Playtech. Jeux en ligne et paris sportifs. 

Starship Technologies. Robot livreur (fondée par deux anciens de Skype, basée aux USA). 

Adcash. Régie publicitaire en ligne. 

Pipedrive. CRM. 

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