Société
Un an après sa création, le mouvement britannique Extinction Rebellion entre dans une deuxième phase et s’internationalise. Énième phénomène catégoriel voué à une brutale dégénérescence, ou réel basculement citoyen ?

Sam Knights est né au début de l’été 1996, quelques jours avant la parution du roman Fight Club. Sa manière d’être évoque celle du personnage central du film, joué par Edward Norton, qui s’avère être le double du héros Tyler Durden, sublimé par Brad Pitt. Ce jeune Anglais fuit le regard, l’interaction informelle, et rougit plus vite que son ombre. Jusqu’au moment où on lui demande de parler d’Extinction Rebellion. Il prend alors les commandes, le port altier, et place sa voix dans la cafétéria comme pour interrompre les discussions voisines, forcément futiles en comparaison des enjeux qu’il défend. Sa cause va bien au-delà de l’existentialisme extra-lucide de Tyler Durden, ou d’une simple crise de satiété consumériste. 

Tout juste diplômé de la prestigieuse université de Cambridge, Sam Knights a d’abord mis à contribution son excellent niveau d’anglais dans un institut de sondage, où il appelait des particuliers pour leur poser des questions pré-rédigées, puis cocher les cases correspondantes. Un job où « vous ne vous sentez pas autorisé à utiliser votre cerveau », selon ses propres mots. Le brown-out, ou crise de sens professionnel, couvait. La lecture du rapport 2018 du Giec a fait basculer son destin. « Cela a agi comme un réveil, m’a fait comprendre ce que j’ignorais depuis si longtemps. C’est un moment de ma vie où j’ai compris que je devais me lever, prendre des notes, regarder les faits scientifiques, et trouver des réponses proportionnées à ces faits. Mes recherches et lectures m’ont vraiment effrayé, voire bouleversé. »

Les débuts avec Greta

Il s’est déplacé dans une petite ville du Gloucestershire pour assister à une réunion de Rising Up, un mouvement alter déjà actif depuis quelques années au Royaume-Uni, et qui cherchait à monter une action pour pousser le gouvernement britannique à accélérer sa lutte contre le changement climatique. Plus jeune membre présent ce soir-là, Knights a proposé aux leaders de Rising Up, âgés d’une cinquantaine d’années, de mettre son petit appartement londonien à disposition du groupe pour l’organisation de la première action de XR. « Le lendemain, une dizaine de membres sont venus. C’est là que nous avons organisé la première action et planifié la campagne médiatique. » Quelques heures plus tard, le 31 octobre 2018, à 9 h 30, Extinction Rebellion se faisait entendre pour la première fois à Parliament Square, en présence d’une adolescente inconnue venue de Suède : Greta Thunberg.

Depuis, Sam Knights est devenu à la fois l’une des figures les plus vocales de l’organisation centrale de ce mouvement, symbole aussi de cette jeunesse qui (s’)éveille. Il n’a pas pu éviter une nuit en prison après avoir enduit ses mains de glu pour bloquer l’entrée d’un grand hôtel qui organisait une conférence pétrolière. Il a ensuite édité le manifeste du mouvement (« This Is Not A Drill: An Extinction Rebellion Handbook »), dont il a rédigé l’avant-propos, où il rappelle l’objectif d’atteindre une économie zéro carbone dès 2025.

Créativité et non-violence

Au-delà d’une révolution de pouces ou d’une haine anti-vitrines, Extinction Rebellion est un modèle inédit de déploiement à grande échelle d’actions coordonnées autour d’un objectif précis. Il s’agit d’être à la fois debout, créatif et non violent. Le premier élément expliquant le succès mondial de ce mouvement est le fait qu’il concerne l’avenir de toute l’humanité, plus exactement de tout le vivant, et qu’il repose sur des bases scientifiques solides. À la différence des autres mouvements qui ont pullulé sur les réseaux sociaux tout au long de cette décennie, il ne tombe pas, ou peu, dans le piège de la violence réelle ou symbolique. Le moyen d’action est clair : la désobéissance civile doit rester non violente, sans dénonciation individuelle ni catégorielle, et sans discours moralisateurs et culpabilisants. L’idée est d’utiliser des forces collectives pour modifier les systèmes de pensées, ou les systèmes tout court, afin de réorienter les énergies vers des fins plus constructives. En soi, les énergies ne sont pas le problème, ni ceux qui les portent. Elles doivent simplement être déviées de leurs circuits habituels, et redirigées en bonne intelligence.

Pas de leader

L’imagerie du mouvement est simple, marquant aussi une transition entre deux mondes : d’un côté, celui d’hier, avec la logique top/down, représentée par une pyramide. De l’autre, une logique d’autonomie, avec des cercle interdépendants. Le principe d’émulation et de réplication entre ces cercles constitue leur énergie renouvelable. Le logo, qui représente un sablier, joue opportunément avec ses deux images, puisqu’il représente deux triangles inversés, enfermés dans un cercle. « C’est un mouvement de masse avec une structure décentralisée », explique Sam Knights.  « Ce n’est donc pas une structure pyramidale, comme celles que l’on peut souvent observer dans d’autres mouvements activistes. Si vous voulez mener une action au nom d’Extinction Rebellion, vous n’avez pas besoin de permission. En ce sens, nous n’avons pas de leader. En même temps, nous avons des groupes de travail, qui traitent des problématiques techniques, médiatiques ou politiques, avec des coordinateurs élus. »

Réplicable à l’infini

Extinction Rebellion repose ainsi sur un groupe de coordination centrale, au cœur de ce cercle, et non pas en haut de la pyramide, à partir duquel d’autres cercles spécialisés peuvent s’affilier. Ces cercles, définis par le groupe central, sont l’Infrastructure, la Logistique, la Communication, la Recherche (transition politique, économique, données scientifiques), la Finance, la Formation, l’Art (réalisation des campagnes, des visuels, etc…) et la Régénération (soutien aux prisonniers, support en ligne, debriefing, etc…). La force de cette organisation « naturelle », assez proche de l’esprit originel du web, est qu’elle est réplicable à l’infini. Son caractère inquiétant est qu’elle semble dénier le fait que la logique pyramidale fait partie intégrante du vivant, et que les hiérarchies existent aussi, et surtout, dans le monde animal et le monde végétal, harmonieux par nature.

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