Objets connectés
Le lancement de sa montre connectée Apple Watch marque l'entrée du groupe de Cupertino dans l'univers de la mode.

«L'Apple Watch est la montre la plus avancée jamais créée», lançait crânement Tim Cook, CEO d’Apple, lundi 9 mars, devant des centaines de journalistes, lors de sa dernière «keynote». Après l'Ipod en 2001, l'Iphone en 2007 et l'Ipad en 2010, Apple va-t-il créer un nouveau marché ou tout du moins rendre désirable celui des objets connectés? En présentant officiellement l'Apple Watch, la firme de Cupertino compte bien renouer avec le succès et la baraka de son fondateur Steve Jobs.

Comme lors de ses précédentes innovations, Apple arrive toutefois dans un marché où plusieurs de ses concurrents sont déjà présents. La start-up Pebble a ouvert le feu en 2012, suivie par le japonais Sony et sa Smartwatch, puis les géants sud-coréens Samsung, avec Galaxy Gear, et LG, avec G Watch et G Watch R suivis de Motorola (racheté en 2014 par le géant chinois Lenovo) et sa Moto 360. La semaine dernière, le Chinois Huawei présentait aussi sa Watch…

L'Apple Watch, elle, sera disponible le 24 avril dans neuf pays, dont la France. Dotée d'un écran tactile personnalisable, cette montre connectée, dont l'autonomie sera de dix-huit heures, offre de multiples fonctions: écouter de la musique, recevoir des SMS, donner et prendre des appels téléphoniques, réaliser des dictées vocales avec Siri (appli vocale), commander un taxi via la fonction Uber X, payer par Apple Pay d'une simple touche, ouvrir sa chambre d'hôtel dans les chaînes partenaires, disposer d'un système de vidéosurveillance, relever son rythme cardiaque, contrôler à distance des objets connectés, communiquer sur des réseaux sociaux comme Facebook, et accessoirement… donner l'heure. Avec ce nouveau produit, Apple espère booster le marché des produits connectés. 

Trois modèles seront disponibles: l'Apple Watch Sport, modèle sportif, donc, en entrée de gamme (399 euros et 449 euros); l’Apple Watch (649 euros à 1 249 euros); et l'Apple Watch Edition, la version luxe avec un boîtier en or jaune ou rose de 18 carats, des saphirs et des bracelets haut de gamme, à partir de 11 000 euros. La gamme propose deux tailles d'écran (38mm et 42mm), seize bracelets différents (caoutchouc, cuir et acier) et six boîtiers de montre.

Apple, très fashion

Reste maintenant à convaincre le public. La puissance de la marque Apple et ses aficionados devraient largement y contribuer. Sans compter l'irrésistible attraction qu'exerce la marque à la pomme auprès des médias qui, à la moindre de ses prises de parole, se répandent en commentaires et analyses. Une addiction médiatique habilement créée par feu Steve Jobs depuis la fin des années 1990, avec ses célèbres keynotes et son goût du secret. Mais face à la concurrence, il va falloir une nouvelle fois faire la différence. 

Sur ce point, le design, l'ergonomie et la diversité des fonctionnalités semblent à nouveau être les principaux atouts d'Apple. Pour les vendre au public, la marque et son agence TBWA Media Arts Lab, spécialement créée à Los Angeles en 2006 pour gérer le budget publicitaire d'Apple (et aujourd'hui présente à Londres, Tokyo, Shanghai, Séoul et Sydney), ont décidé de faire une incursion dans le monde de la mode. Une démarche amorcée en fait depuis 2013, avec les arrivées de Paul Deneve, ex-directeur général de Yves Saint Laurent, nommé vice-président chargé des projets spéciaux, Catherine Monier, ancienne directrice Europe du couturier, Patrick Pruniaux, ex-vice-président de la division ventes chez Tag Heuer, et Angela Ahrendts, ex-PDG de Burberry, arrivée à la tête du réseau de distribution d’Apple. «Une manière de dire en creux qu’Apple allait s'investir dans la “fashion”, note Nicolas Chemla, consultant spécialisé dans l'univers le luxe. Le coup d'envoi de l'offensive du groupe sur ce terrain a débuté en septembre 2014. Apple entame une opération de charme auprès de blogueuses et de rédactrices mode lors de la Fashion Week de New York. Le 30 septembre, lors des défilés parisiens, le magasin «trendy» Colette de la rue Saint-Honoré expose pendant une journée les différents modèles de l'Apple Watch en présence de Jonathan Ive, le patron du design de la marque. Peu avant l'ouverture de la boutique, lors d'une séance VIP largement médiatisée, ce dernier avait reçu Karl Lagerfeld, de Chanel, et Anna Wintour, rédactrice en chef de l'édition américaine de Vogue.

C’est justement avec le magazine Vogue qu’Apple a inauguré son plan médias: une interview de Jonathan Ive est publiée en octobre dans l'édition américaine de la revue de mode, où il détaille le design de l'Apple Watch. Peu après, celle-ci apparaît au poignet du mannequin Liu Wen, qui fait la une de Vogue China, lequel présentait dans ses pages intérieures le nouvel objet portée avec diverses tenues. L'idée étant de positionner l'Apple Watch comme un accessoire de mode à part entière et de se démarquer ainsi de ses concurrentes au look bien moins attirant.

La marque assume

Plus récemment, à quelques jours de sa keynote, Apple mène son premier «coming out» publicitaire dans l'édition américaine de mars de Vogue. Pas moins de douze pages pour présenter les différents modèles de sa montre connectée et, surtout, les assortiments de bracelets qui vont avec, largement mis en valeur. Enfin, dans un spot publicitaire (TBWA Media Arts Lab), Apple joue particulièrement la carte mode en montrant, avec force gros plans, le bracelet et les finitions de la montre. Un spot spécifiquement consacré à sa collection haut de gamme Watch Edition, baptisé «Or», et diffusé sur son site, travaille quant à lui l'image luxe de la marque.

«On est dans les codes de communication de l’horlogerie de luxe, qui montre comment fonctionne le produit avec des gros plans du cœur de la montre», décrypte Johanna Worth, directrice générale de Mazarine Mlle Noï. Pour la première fois, Apple a même une ambassadrice, l’ex-top model Christy Turlington, présente lors de la keynote. Dans un blog sponsorisé, elle raconte son quotidien et ses séances de training avec sa nouvelle montre préférée. 

Comme dans la mode, Apple joue à la fois la carte du prêt-à-porter et celle de la haute couture. «Leur segment le plus cher, Watch Edition, est similaire à Vertu, ces téléphones portables de luxe. Un signal pour montrer qu'on est dans le luxe. Apple est une marque de luxe et en achetant la montre à 399 dollars, vous aurez la même expérience», estime Géraldine Dormoy, responsable éditoriale web de L’Express Styles.

Vincent Bastien, professeur à HEC, spécialiste des stratégies marketing du luxe, confirme: «L’énorme succès de l’Iphone et de l’Ipad a fait sortir Apple de la stratégie de luxe. Cette fois, avec sa Watch, la marque assume une stratégie de mode avec en ligne de mire des objectifs de volume. Dans la gamme présentée, l’Apple Watch Edition est à Apple ce que le sac Prorsum est à Burberry, un produit aspirationnel qui n’est pas destiné à être vendu en quantité.»

Côté distribution, Apple se positionne aussi dans la mode. Outre les Apple Stores, la montre Watch sera vendue dans des grands magasins, via des corners créés pour l’occasion: Selfridges à Londres, Galeries Lafayette à Paris, Isetan à Tokyo, ainsi que des boutiques pointues comme Dover Street Market (Londres et Tokyo), Colette (Paris), The Corner (Berlin), 10 Corso Como (Milan) et Maxfield (Los Angeles). Le pari, audacieux, semble convaincre les observateurs, à commencer par le cabinet de recherche Strategy Analytics, qui projette des ventes de 15,4 millions d'unités à travers le monde en 2015, ce qui garantirait une part de marché de 55%. Les analystes d'ABI Research sont un peu plus prudents, prévoyant 13,77 millions d'Apple Watch vendues, soit moins de la moitié du marché.

«Avec sa montre connectée, Apple se place dans un triangle d’or associant une forte image en tant que marque référentielle, une réponse à de nouveaux modes de vie et la réinvention d’une catégorie de produits dont la valeur d’usage avait en grande partie disparu», analyse Nathalie Varagnat, présidente de M&C Saatchi Little Stories, ancienne directrice de la communication de Cartier.

Et les horlogers?…

Certains restent toutefois sceptiques. «Elle se veut un produit de luxe, mais ce n’est pas comme une montre qu’on voudra transmettre aux générations futures, puisque la technologie à l’intérieur est périssable et n’aura plus de valeur dans dix ans», souligne Géraldine Dormoy, de L'Express Styles. Surtout, elle est vouée à rester un accessoire, et ne devienda jamais aussi «mainstream» que l’Iphone. «On possède plusieurs montres, que l’on porte de temps en temps», sourit Thibaut de Smedt, directeur associé de la banque d'affaires Bryan, Garnier & Co.

Etonnamment, les groupes horlogers traditionnels sont absents de cette bataille. Mais il se murmure que plusieurs d'entre eux, tels Richemont ou Swatch, pourraient se lancer la semaine prochaine lors du Baselworld à Bâle, grand rendez-vous de l’horlogerie.

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