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Les gens de robe auront bientôt l'autorisation de recourir à la publicité. L'aboutissement d'une lente évolution entamée il y a une trentaine d'années.

Ils ont une réputation de bavards mais avaient gardé jusque-là leur langue dans leur poche. Ceux qui portent la robe vont enfin pouvoir communiquer. Le 17 mars dernier, le Parlement a voté une loi autorisant les avocats - et toutes les professions réglementées du champ du droit - à faire de la publicité. Mais ils devront encore attendre le décret d'application, prévu courant septembre 2014, pour s'afficher en 4x3. Une révolution pour la profession ? En théorie, oui. En pratique, pas vraiment.

 

Cette loi vient clore une révolution culturelle en cours depuis longtemps. « Les avocats ont au départ une réticence ontologique très forte à communiquer », explique Kami Haeri, avocat au barreau de Paris et associé au cabinet d'affaires Auguste & Debouzy. « Il y a encore quelques années, payer pour faire de la com, ça ne se faisait pas. Seule la renommée gratuite avait de la valeur », raconte Gwénaëlle Henri, fondatrice et associée de l'agence de communication spécialisée Eliott & Markus. « C'était péché! », ajoute même Pascal Lagoutte, avocat associé au cabinet d'affaires Capstan.

 

« Le métier s'exerce de manière très traditionnelle », continue Kami Haeri. On ne parle pas d'argent, mais d'honoraires. On ne paye pas, on rétribue pour un service, une mission citoyenne. « Vanter ses mérites est conçu comme très mauvais par la profession, il ne faut pas se mettre en avant », précise Pascal Lagoutte.

 

Pourtant, sous l'influence des cabinets anglo-saxons qui ont débarqué dans l'Hexagone dans les années 1970, les avocats français ont dû s'interroger. « Les cabinets américains étaient complètement désinhibés », raconte Pascal Lagoutte. Ils avaient déjà connu le phénomène de concentration économique, et les structures étaient plus grandes. Petit à petit, et sous l'œil vigilant du conseil de l'ordre (CO), quelques ténors ont commencé à changer les codes. Très lentement.

 

Apparition du «naming»

 

« Les avocats faisaient surtout des relations presse, pour mettre en avant leur expertise, et seulement dans les revues spécialisées », commente Mathieu Bonnefond, consultant pour l'agence de communication spécialisée Shan. En parallèle, la grande préoccupation de la profession consistait à apparaître dans les classements internationaux des cabinets, seul moyen d'avoir de la visibilité.

 

Dans les années 1990, les premiers grands cabinets commencent à embaucher des responsables communication et marketing. Vers les années 2000, le « naming » fait aussi son apparition. Les « nom du père & fils & associés & compagnie » disparaissent au profit de noms plus élaborés avec construction d'identité de marque. Un changement difficile dans un monde où les ego et le nom de famille sont à la base de la réputation.

 

Puis tout s'est accéléré. « L'arrivée des nouvelles technologies a clairement incité les avocats à se mettre en avant », raconte Kami Haeri. La communication s'est structurée et les outils se sont développés. Le « personal branding » convient bien à cette profession ! Mais toujours sous l'œil vigilant du CO. « Il fallait demander le blanc-seing du conseil de l'ordre pour faire son site web, se souvient Amélie Lerosier, cofondatrice d'Elliott & Markus. Voire pour son papier en-tête ! »

 

Depuis cinq ans, les choses ont bien changé. Le CO est parfois moins rigoureux. Les relations presse s'étendent davantage aux médias grand public. « Au départ, les journalistes hésitaient à interroger un avocat, raconte Mathieu Bonnefond, par peur de la langue de bois, du jargon technique. Aujourd'hui, beaucoup font du media training. En tant que consultant, nous leur apprenons les vertus du off, qu'ils n'avaient pas l'habitude de donner. »

 

Les entreprises comme cibles priviliégiées

 

Et cet essor de communication est efficace. « Dans les affaires de rachats d'entreprises, comme entre Bouygues, SFR et Numéricable, les cabinets d'affaires ont été très cités », relate Amélie Lerosier. Les avocats se font plus réactifs, ils sont mieux conseillés. Fondée en 2005, Eliott & Markus a doublé son personnel ces deux dernières années. Avec désormais 20 personnes, l'agence réalise un chiffre d'affaires d'environ 2 millions d'euros. En croissance à deux chiffres.

 

 

Les avocats, eux, deviennent sponsors de salons professionnels, partenaires d'associations, d'universités... Les robes sortent du Palais et s'affichent en banderoles. August & Debouzy a lancé un concours pour les start-up : Start you up. Les jeunes entrepreneurs lauréats gagnent un accompagnement juridique pour un prix dérisoire (200 euros HT par mois). « Cela donne une image de dynamisme et de créativité au cabinet. Sur le sujet de l'entreprenariat qui nous tenait particulièrement à cœur », ajoute Kami Haeri.

 

Pour sa part, le cabinet Capstan a mis en place fin 2012 un plateau TV au sein de ses locaux. Pour un investissement d'environ 100 000 euros, les avocats ont la possibilité, dès qu'un sujet technique apparaît dans les médias, de donner un éclairage juridique très rapidement et de le diffuser sur Internet. « Nos plus jeunes avocats nous ont ouvert la voie sur la Web TV, raconte Pascal Lagoutte. Avec les réseaux sociaux, nous avons toute une batterie d'outils pour mettre en avant notre expertise. »

 

Les avocats ont leur blog, écrivent et diffusent des tribunes. A Nantes, le cabinet Harold Avocats a trouvé son nom en 2012. « Cela nous a amené à mener une réflexion sur notre identité. Plus que des avocats, aujourd'hui, derrière Harold, il y a un service », explique Cyril Tournade, un des trois fondateurs du cabinet. Sur le visuel officiel, un jeune garçon en costard-cravate fait de la trottinette pour le côté jeune et dynamique. « Cela assoit une réputation plus facilement et a boosté notre activité », raconte l'avocat. Côté communication, Harold va jusqu'à sponsoriser un festival de musique.

 

Verra-t-on bientôt des avocats faire de la réclame avant le 20 heures ? La communication organisée reste pour l'instant l'apanage des cabinets d'affaires. Eux seuls ont les moyens de s'offrir les services de professionnels. Mais leurs cibles restent les entreprises. Des publicités dans le métro ou à la télévision n'auraient finalement que peu d'intérêt.

 

Respecter les principes de la profession

 

A l'inverse, les avocats du barreau civil, qui traitent des divorces, du travail, ou des permis de conduire, seraient plus à même d'investir. Mais ces derniers évoluent sur un marché plus tendu et surtout beaucoup plus concurrentiel, sans grande structure comme aux Etats-Unis. Les avocats richissimes n'y sont pas légion. Beaucoup n'ont pas les moyens de faire de la pub.

 

Julien Gueguen, avocat en droit du travail au cabinet Gueguen-Caroll, fait lui aussi des vidéos sur Internet. « Nous les tournons nous-même le week-end, avec les moyens du bord », explique-t-il. Une communication à moindre échelle, mais qui permet tout de même de se faire valoir. Surtout pour contrer une nouvelle forme de concurrence : les services de conseils juridiques non réalisés par des avocats - donc illégaux. Ils fleurissent sur Internet. « Nous recevons de plus en plus de clients victimes d'arnaques », explique Julien Gueguen. Des promesses de divorce en quelques minutes pour un forfait dérisoire. Et au bout du compte, pas grand-chose...

 

« L'autorisation de la publicité mettra tout le monde sur un même pied d'égalité », affirme Cyril Tournade. En donnant l'opportunité d'user de tous les supports. Quoique restant dans « les principes essentiels de la profession » : dignité, loyauté, confraternité... Le conseil de l'ordre devra en outre donner son aval pour toutes les publicités. « On tend vers un modèle anglo-saxon. Tout en conservant des garde-fous qui ne sont pas présents dans le système américain », résume Mathieu Bonnefond. Mais qui mieux qu'un avocat sait contourner une loi, tout en restant dans son cadre ?

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