Enquête
Les produits estampillés « Made in China » renvoient souvent à une image de mauvaise qualité. Pourtant, des marques chinoises produites localement émergent, détrônant des concurrentes occidentales bien implantées dans le marché.

[Cet article est issu du n°1949 de Sratégies, daté du 3 mai 2018]

 

Made in China, drôle de titre pour ce rap chanté par un groupe de hip hop chinois. Les paroles des Higher Brothers rappellent la provenance de nos produits : bijoux, vêtements, électroménager... que nous le voulions ou non, une grande partie des objets qui nous entourent est fabriquée en Chine. Le titre des quatre rappeurs originaires de Chengdu, vers le sud-ouest de la Chine, fait figure d'ode à la puissance de production et à la culture de leur pays. Comme une réponse musclée aux détracteurs qui voient encore dans le label un gage de moindre qualité. Car le cliché, quoique tenace, n'a, semble-t-il, plus vraiment cours.

Paradoxe. Même les grandes maisons de luxe, victimes de la contrefaçon chinoise, déménagent leurs manufactures dans l'Empire du Milieu. Exemple avec la fameuse chaussure Triple S de Balenciaga. Particulièrement adulées des millennials, ces « ugly sneakers » se vendent comme des petits pains malgré leur prix exorbitant, 680 euros. Mais l'enthousiasme des internautes a été quelque peu douché par une révélation : la maison espagnole, propriété du groupe Kering, a changé de lieu de fabrication. Le traditionnel « made in Italy » présent sur l’étiquette a été remplacé en toute transparence par « made in China », provoquant une consternation générale sur les réseaux sociaux. Selon les internautes, la qualité a baissé alors que le prix, lui, reste inchangé. Pour se défendre, Balenciaga a revendiqué un « un savoir-faire et les capacités à produire des semelles plus légères ». Un argument valable mais qui a encore du mal à passer auprès des consommateurs occidentaux.

La quantité sur la qualité

Les préjugés ont la vie dure. Et la Chine en subit encore les conséquences, quarante ans après la mort de Mao Zedong en 1976 et le lancement d'une politique de modernisation de l'économie en 1978. Car, historiquement, le made in China répondait avant tout à un besoin collectif : nourrir la population chinoise qui s’élevait déjà autour des 960 millions d’habitants. « Avec l’ouverture du marché chinois, les premiers hommes d’affaires étrangers sont arrivés. À l’époque, la meilleure chose pour les Chinois, c’était la production en masse. Sans cet ordre de quantité, il paraissait difficile de nourrir un milliard de personnes... », met en lumière Jing Yang, fondateur de l'agence Bonjour Brand. Dans cette logique de volume, la qualité arrivait forcément au second plan, ce qui explique la mauvaise image ancrée dans l’inconscient collectif. 

Seulement entre-temps, la Chine a dépassé le Japon, devenant la deuxième puissance mondiale en 2008, 2011, 2015. Selon les prévisions cela devrait être encore le cas cette année. « Aujourd’hui, le monde a une image erronée de la Chine, liée en partie à la diaspora qui porte des codes assez “cheap” », explique Christophe Pradère, CEO de l'agence BETC design. Un peu comme une griffe à l’image vieillotte délaissée par les consommateurs, la Chine doit repenser sa stratégie de communication afin de faire entendre sa propre histoire. « Le Made in China est de bonne qualité mais tout le monde s’en fout, parce que cela ne raconte rien », analyse Jing Yang. La Chine c’est une marque en elle-même, qui se construit petit à petit, avec ses 1,4 milliard d’habitants, sa dimension de pays-continent, son melting-pot de cultures.

Chinese dream

Contrairement à leurs aînés, les nouvelles générations chinoises sont désireuses de formaliser et de diffuser le storytelling de leur pays. La politique de l’enfant unique, imposée pendant des années par le gouvernement chinois, a créé une concentration des richesses familiales sur le seul héritier de la lignée, donnant naissance à une nouvelle jeunesse dorée. « Nés en pleine mondialisation, ils sont devenus des consommateurs universels. Par conséquent, ils attendent des entrepreneurs chinois la même qualité qu’à l’étranger. Ils exigent que les Chinois leur racontent des histoires et qu’ils leurs démontrent en quoi le savoir-faire local peut être une fierté », explique le fondateur de Bonjour Brand. Ces jeunes générations contribuent fortement au sentiment d’hypernationalisme grandissant, poussant de plus en plus de marques chinoises à voir le jour. « Le pays se rend compte de son rôle mondial. Les habitants n’ont plus envie de payer une fortune des produits qui viennent de l’étranger quand ils peuvent avoir le même produit à domicile pour moins cher. Ils n’ont plus envie de se faire arnaquer », tranche Christophe Pradère.

Cette résurgence de fierté nationale permet désormais à de jeunes Chinois de vivre une sorte d’American Dream à la chinoise. Comme pour Dai Wei, l'un des créateurs des vélos jaunes en libre-service, Ofo. Ce jeune homme de 27 ans a su profiter d’un service qui a le vent en poupe pour l’exporter à l’international. Aujourd’hui, il est milliardaire et propose son service dans plus de 20 pays, « c’est par l'intermédiaire de ces jeunes riches que la Chine est en train de raconter son histoire », résume Jing Yang.

De nouveaux et jeunes entrepreneurs construisent les nouvelles marques de demain nécessaires à la bonne image du pays. « La Chine ne manque pas de marques, au contraire... Elle manque juste d’ambassadeurs référents », affirme Christophe Pradère. En clair, aucune marque chinoise n’a gagné assez de notoriété pour s’imposer comme leader d’un marché. C'est un travail de longue haleine que tente de réaliser la marque de vêtements de luxe Icicle, pur produit de cette nouvelle Chine. Fondée en 1997, la maison s’inscrit dans un mouvement propice à un nouveau made in China qui émerge depuis vingt ans mais encore inconnu des Occidentaux. « Avec Icicle, on tente de promouvoir le nouveau made in China, c’est-à-dire un mélange de savoir-faire empreint de valeurs orientales et d’éco-responsabilité », définit Isabelle Capron, vice-présidente de la marque. Déjà bien implantée à domicile, Icicle veut s’exporter à l’international et se faire connaître en tant que maison de luxe auprès des Occidentaux. Un lancement en France est d’ailleurs prévu d’ici 2019 dans le triangle d’or parisien, « c’est un positionnement de qualité. On part avec beaucoup de préjugés, notre enjeu est donc de faire évoluer certains a priori mais pas de façon arrogante », explique la vice-présidente de la marque née à Shanghai. Cette implantation nécessite un travail d’éducation car les préjugés traduisent, au fond, une certaine ignorance. « Il faut apprendre que les marques chinoises sont des marques de qualité avant de les faire aimer. Le jour où la Chine apportera du rêve, à ce moment-là les Occidentaux commenceront à tisser un lien affectif avec ses productions, et les perceptions changeront », traduit Denis Darpy, professeur en Management, spécialiste du Marketing de la marque, du Comportement du consommateur et du Management du luxe à l'université de Paris Dauphine.

Fin des stéréotypes

Ce pays industrialisé, dans l’air du temps, est en train de réinventer les codes, en tout cas dans le milieu technologique. Alibaba, Baidu, Weibo, WeChat… Les Chinois développent leur propre technologie avec un savoir-faire que les marques occidentales pourraient jalouser. Comme la marque à la pomme dont le téléphone est le plus vendu au monde : le design de l’iPhone est toujours réalisé en Californie mais la fabrication du smartphone se fait en Chine... Et l’argument de la main d’oeuvre moins chère n'est plus de rigueur car, contrairement aux croyances, très peu de composants sont encore assemblés en Chine. « Le prix de la main-d’oeuvre a augmenté de manière considérable. Désormais un ouvrier automobile dans la ville de Huai’an touchera le même salaire qu’un ouvrier en Roumanie », souligne Denis Darpy. Les Chinois délocalisent leurs usines pour des pays moins chers comme la Birmanie, la Malaisie ou le Vietnam et bientôt s’exporteront en Afrique. La part de la Chine dans le PIB mondial est passée de 2,3 % en 1980 à 18,7 % en 2018. Une croissance spectaculaire. En comparaison, celle des États-Unis chute de 21,7 % à 15,5 % et celle de la France de 4,4 % à 2,1 %. Les échanges commerciaux, très longtemps figés, allant de l’Ouest à l’Est, s’inversent désormais. Ainsi l'américain iPhone n’a plus le monopole des smartphones et est concurrencé par des entreprises du monde entier dont Huawei. En France, Huawei représente plus de mille téléphones vendus par semaine car ils sont le produit d'un savoir-faire pointu et les Occidentaux commencent à y être sensibles.

Tous ces mouvements marquent le début de la fin des stéréotypes. « À l’époque c’était le made in Japan qui était stigmatisé jusqu’à ce que le Japon devienne une puissance économique. C’est une question de temporalité », affirme Christophe Pradère. Si le pari semble gagné dans l'univers de la tech, la tâche paraît moins aisée sur le marché du luxe. Les marques chinoises devront patienter avant de se faire accepter par les populations locales. Les maisons de luxe vendent des histoires, une part de leur héritage se retrouve dans chaque produit acheté, il faut donc donner du temps au temps pour que les nouvelles marques chinoises capitalisent sur l'authenticité. « Pour l’instant, la Chine va surtout créer des marques premium, c’est juste en dessous du luxe mais c’est déjà mettre un pied dans le secteur », présage le professeur Denis Darpy.  

Mère nature

Et pour séduire, la Chine a un atout : une relation très forte avec la nature, ce qui peut paraître surprenant au vu de la politique environnementale du pays... Les marques chinoises jouent sur cette fibre écolo, tout comme les marques de cosmétiques coréennes l’ont fait avant elles. Très axée sur le naturel et le végétal, la cosmétique coréenne a su conquérir les Occidentaux. Mettant en avant pureté et qualité, « des nouvelles générations de marques lifestyle, au design minimaliste, éco-responsable et bienveillantes sont en train de voir le jour. Face à l’urbanisation de la Chine, elles ont intégré toutes ces valeurs. Le “Made in Earth” [signature de la marque Icicle] c’est le nouveau “Made in China” », lance Isabelle Capron. En phase avec la planète et les usages des consommateurs, la transformation de la Chine est en route, mais « cela prendra peut-être une à deux générations avant d'imposer cette nouvelle image », prévoit Denis Darpy. Le temps que le made in China fasse peau neuve.

Shanghai Tang : histoire d'une exportation ratée

 

Les goûts et les couleurs ne se discutent pas. La marque de prêt-à-porter haut de gamme Shanghai Tang pourrait en témoigner. Malgré une implantation en France en 2003, la marque chinoise n’a pas su séduire les Occidentaux. L’engouement pour la mode chinoise n’a pas suffi. Trop ancrées dans les mythes orientaux, trop colorées, les collections de Shanghai Tang n'ont pas permis aux consommateurs de se projeter à travers elles. À la suite de cette exportation ratée et d'un chiffre d’affaires en baisse, le groupe suisse Richemont, propriétaire de la marque a revendu la marque à un entrepreneur italien, Alessandro Bastagli. Très connu en Asie, le « Ralph Lauren chinois » réalise plus de la moitié de ses ventes sur le continent asiatique. Mais son implantation occidentale était peut-être un peu trop précipitée. 

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