Formation
Patrons d'agences et de grands groupes se pressent sur les campus de Stanford, Harvard ou de la Singularity university… La quête du graal pour tous ces dirigeants : l’innovation.

Ils commencent souvent par le visiter en touriste lors d’une learning expedition (voyage d’étude), puis reviennent le temps d’un programme executive, avant parfois d’ouvrir un lab, voire de s’installer carrément dans la Silicon Valley… Si des dirigeants d’entreprises ou d’agences (Lire l’interview d’Yseulys Costes, ci-dessous) du monde entier viennent en touristes ou en étudiants sur les campus de Stanford ou d’autres universités américaines, c’est pour une seule raison: la quête du Graal de l’innovation. Celui qui va leur permettre de réussir la transformation digitale de leur société, de comprendre et d'anticiper les vagues successives d’innovation et de faire pivoter leur business model… Cette quête du Graal de l’innovation se déroule aussi bien à Stanford qu’au MIT, à Berkeley et Harvard…

Premier arrêt de cet «innovation tour»: Stanford. Si cette université n’est pas en tête du classement de référence des universités mondiales (Classement de Shanghai), elle a tout de même un (petit) coup d’avance sur ses rivales américaines sur le terrain de l’innovation. De par sa situation géographique même, nichée au cœur de la Silicon Valley, à quelques encablures des sièges d’Apple, Google, Facebook, Ebay, ou encore Netflix, tout près, à Los Gatos. Proche aussi des gros fonds d’investissements, et des accélérateurs de start-up les plus connus, tel Y Combinator. Résultat, à Stanford, «on se trouve au cœur de ce microcosme, on peut développer son réseau. Et comme les venture capitalists donnent des cours, on peut facilement lever des fonds», assure François-Xavier Jammes, 29 ans, tout juste diplômé du MBA 2015 de la Stanford Graduate School of Business, également passé par le MIT. Stanford serait devenue l’antichambre des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon): «Ceux qui ont pour objectif de créer leur entreprise passent par Stanford, puis vont chez Facebook ou Google, qu’ils perçoivent plus comme un incubateur, pour se créer un réseau, avant de lancer leur start-up», estime François-Xavier Jammes.

Les start-uppeurs en herbe prisent particulièrement les cours «Startup Garage», animés par d’anciens «venture capitalists», «Lean Lauchpad», animé par Steve Blank, qui a théorisé le mouvement Lean Startup (qui théorise le démarrage d’une start-up), «Entrepreneurship & VC», animé par Eric Schmidt en personne, cofondateur et ex-PDG de Google, ainsi que «Formation of New Venture + Aligning Startups with their Market», assuré par Andy Rachleff, notamment cofondateur du fonds Benchmark Capital.

Stanford est aussi très orienté entrepreneuriat dans ses cours, sur «comment amener un produit sur le marché», résume François-Xavier Jammes. «Stanford est également réputé pour son programme “Symbolic Systems Programs”, sur les sciences cognitives et les relations hommes-machines», poursuit Georges Nahon, d’Orange Labs. Et puis participer à un des programmes exécutifs de trois semaines l’été, «c’est rejoindre le cercle prestigieux des alumnis de Stanford, voir son nom inscrit dans l’annuaire des anciens aux côtés de Larry Page et de Sergey Brin», précise Nathalie Doré, CEO de l’Atelier BNP Paribas US. Et accéder au réseau qui va avec.

Fait à la main

Rosa Luna-Palma, directrice générale de l’Institut Multi-Médias (Mediaschool group) vient d’emmener 25 dirigeants des médias lors d’une learning expedition, une semaine aux Etats-Unis. Au programme, il y avait la visite du campus de Stanford et la rencontre du directeur de l’école de design: «Ils sélectionnent 300 à 350 étudiants de Stanford par an, quels que soient les profils (juristes, ingénieurs, médecins…), qui suivent un cursus de dix semaines où ils apprennent à travailler avec les méthodes du design thinking, jusqu’à la conception d’un prototype.» Les locaux de la design school sont assez spartiates, décrit Rosa Luna-Palma: «Les étudiants peuvent utiliser du matériel d’écolier pour fabriquer des choses de leurs mains: stylo, colle, grands panneaux de carton…» Et le droit à l’erreur est érigé en règle d’or: «Rien n’est une erreur, le plus important c’est de faire.» Elle envisage de revenir sur le campus de Stanford avec ses étudiants-touristes pour une session d’été.

A première vue, le Massachussetts institute of technology (MIT) a moins d’atouts que Stanford: il est excentré par rapport au centre névralgique de l’innovation, puisqu’il est situé à côté de Boston. Mais il a développé plusieurs verticales sur lesquelles il est réputé, telles le MIT Media Lab, laboratoire consacré aux projets de recherche mêlant design, multimédia et technologie. Par ailleurs, il est l'éditeur de la Technology Review, revue scientifique qui porte sur l'innovation. Au MIT, «on réfléchit sur comment avoir l’avantage technologique pour que le produit soit meilleur que la concurrence, moins sur comment lancer le produit, contrairement à Stanford, pour François-Xavier Jammes, qui a enchainé les deux campus (MIT puis Stanford). Tous deux sont dotés de moyens extraordinaires, de professeurs de même calibre, avec des prix Nobel qui viennent animer des sessions.»

Fabriques traditionnelles de l'élite

Il ne faut pas pour autant oublier les fabriques traditionnelles des élites américaines, qui sont toutes des marques surpuissantes: Harvard en fait partie. «Bill Gates et Mark Zuckerberg viennent d’Harvard, cela reste la référence absolue», rappelle le président de Fabernovel, Stéphane Distinguin. Harvard a par exemple une méthode pédagogique innovante, baptisée Field, comme l’explique Robert Papin, fondateur de HEC entrepreneur et auteur de Former de vrais leaders: c'est encore possible (Dunod): «Après la mode des cas d’entreprises, utilisés à toutes les sauces (stratégie marketing, financière...) en cours, la nouvelle tendance c’est donc le programme field d’Harvard: les étudiants travaillent en groupe sur des cas réels soumis par des entreprises, comme s’ils étaient déjà des consultants. Mission: développer un produit ou un service, l’améliorer.»

Autre campus incontournable: celui de Berkeley. «Le directeur du centre open-innovation de Berkeley est l’inventeur du concept d’open-innovation, Henry Chesbrough, souligne Nathalie Doré, CEO de l’Atelier BNP Paribas. Il y a également six “executive programs” liés à innovation managériale.» Enfin, comme le train de l’innovation ne s’arrête jamais: «On distingue également une nouvelle tendance: les universités américaines font évoluer leurs programmes, avec une partie scientifique vers l’intelligence artificielle, pour les appliquer à d’autres domaines que les domaines technologiques classiques», résume Georges Nahon. Voilà pourquoi un outsider tel que la Singularity University, perçu comme un think-tank, commence à intéresser avec ses cours autour du futurisme, de l’intelligence artificielle et de la création de start-up (voir encadré). Et que l’université Carnegie Mellon University (Pittsburgh) «travaille avec Uber sur la voiture sans chauffeur», poursuit Georges Nahon.

Pour faire le tour de ces campus, les learning expeditions se multiplient: l’Atelier BNP Paribas en organise deux à trois par mois pour des dirigeants de banques, médias, entreprises automobiles… «Certains clients reviennent ensuite pour participer à des executive programs, à Berkeley par exemple», poursuit Nathalie Doré. Enfin c’est dans ces campus que sont en train d’éclore les Mark Zuckerberg de demain, comme le souligne Georges Nahon, qui dirige Orange Labs, l’accélérateur de l’opérateur, à San Francisco: «Un classement récent (Linked In publié par Poets and quants) relève que l’on compte une part importante de diplômés de ces universités parmi les dirigeants d’entreprises de la Silicon Valley: 303 sont passés par UC-Berkeley, 210 par la Harvard Business School, 177 par Stanford, 103 par le MIT.» 

Interview 

 

«Travailler en amont sur les produits des GAFA» 

 

YSEULYS COSTES, PDG et fondatrice de 1000 mercis

Vous avez posé vos valises dans la Silicon Valley, à côté de Stanford, il y a un an, pourquoi?

YSEULYS COSTES. Pour une agence comme la nôtre, cela permet d’être connecté à un écosystème, le cœur de l’innovation technologique dans le domaine du marketing interactif, de mieux le comprendre. Il faut être proche de cela pour travailler très vite sur les produits les plus innovants lancés par les GAFA, avant qu’ils n’arrivent en Europe. Il y a une façon très différente d’appréhender le marketing et l’impact publicitaire, ici. Cela nous a aussi permis de créer un nouveau produit, «Reactivator», destiné à réactiver des clients inactifs en changeant de canal de contact. Nous l’avons imaginé et testé ici, dans la Silicon Valley, puis nous l’avons développé en France. Nous venons de le lancer il y a un mois en France. C’est aussi une zone où il y a une grande concentration de talents. D’ailleurs on retrouve aussi beaucoup de chercheurs français, à Stanford ou Berkeley.  

Qu’est-ce que ces campus américains ont de plus par rapport à leurs homologues français?

Y.C. Il y a beaucoup de petits laboratoires à Stanford, avec une particularité forte: une multidisciplinarité et les enseignants peuvent passer d’une science à l’autre. Par exemple, un étudiant qui avait fait sa thèse chez nous en marketing interactif, est parti faire son post-doc dans un laboratoire de médecine et d’ingénierie. Autre atout des campus américains, il y a des directeurs de laboratoires, et les entreprises peuvent collaborer directement avec les chercheurs en algorithmie, mathématiques, compréhension des données textuelles… 

 

 

L’ovni Singularity University

Université? Think tank? En tous cas, elle a une légère odeur de soufre. La Singularity University, sise dans un centre de recherche de la Nasa, a été fondée en 2008 par Ray Kurzweil, inventeur obsédé par la quête de l’immortalité, et Peter Diamandis, serial-entrepreneur. Elle est financée notamment par Google, la Nasa, Nokia et Autodesk. Derrière la «singularity», il y a cette théorie dont est par exemple proche Sergey Brin, cofondateur de Google, qui marque le moment où l’intelligence artificielle dépassera l’intelligence humaine. Depuis quelques mois, elle cherche à se faire connaître en Europe. Avec des partenariats avec des universités et grandes écoles, comme ceux annoncés avec l'Essec et l’Epitech. Elle a ouvert le 13 juin sa dernière université d’été, avec 80 étudiants. «On veut proposer des cours techniques, et visionnaires. Et des projets de start-up y éclosent», explique Zak Allal, médecin, ambassadeur de la Singularity University pour les pays francophones. Parmi les matières enseignées, les nanotechnologies, l’intelligence artificielle, la robotique. Avec des intervenants de haut vol comme Jeff Bezos, CEO d’Amazon. Des cours pour lesquels les entreprises sont prêtes à payer cher: comptez 35 000 dollars pour l’université d’été, et 15 000 dollars pour l’«executive program» de 5 jours (destiné aux entreprises).

«Ils aident les gens à créer ensemble des start-up disruptives. Ils proposent des disciplines comme les nouvelles technologies adaptées aux pays en développement, avec une ambition utopique, parfois apocalyptique», estime Georges Nahon, d’Orange Labs. Même si Stéphane Distinguin, qui a passé une journée sur place, regrette un modèle «un peu sectaire, porté par un seul modèle économique (la loi  de Moore) et certains concepts, comme le transhumanisme»

 

 

Des marques surpuissantes 

«Depuis des années, ces grandes universités sont gérées comme des marques, avec un financement important et des fondations richement dotées, constate Stéphane Distinguin, président de Fabernovel. Des marques surpuissantes qui dominent le classement de Shanghai.» En septembre 2014, Harvard a reçu la plus grande donation de son histoire: 350 millions de dollars, de l'un de ses anciens élèves originaire de Hongkong, aujourd'hui multimillionnaire. Au-delà de la générosité des anciens diplômés, devenus des patrons emblématiques, ces formations misent aussi beaucoup sur la déclinaison des formations courtes pour les dirigeants.

«Les managers de ces universités ont compris qu’ils pouvaient créer des business très puissants, avec des formations courtes, qui sont des planches à diplômes, et donnent accès à la marque à une flopée de diplômés, sans pour autant la dévaloriser», analyse Stéphane Distinguin. 

Berkeley, Stanford, Harvard ou le MIT gagnent énormément d’argent sur les formats exécutifs, qui peuvent coûter 15 000 dollars pour une semaine. 

 

Chiffres clés                        

N°1. Harvard

N°2. Stanford

N°3. MIT

N°4. Berkeley

Classement de Shanghaï des meilleures universités mondiales, 2014

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