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C'est le phénomène du moment : Chatroulette, système de chat aléatoire qui permet de rentrer en contact au hasard avec les internautes du monde entier, effraie, dégoûte et fascine.

C'est un inventaire à la Prévert d'un genre un peu particulier : « Un type qui danse avec un paquet de chips sur la tête, deux adolescentes de 14 ans qui gloussent, un abruti qui te montre ses muscles, et bien sûr, une foule de pénis. » Voilà le bilan bigarré qu'Olivier Mermet, animateur du site de veille publicitaire et marketing Blog de Nuit, dresse du site du moment : l'ovni Chatroulette, qui permet d'être connecté au hasard, via une webcam, à n'importe quel internaute présent sur le site pour discuter en «chat». Si l'interlocuteur n'a pas l'heur de plaire, on peut relancer la roulette en appuyant sur « next », mais l'on peut aussi « se faire nexter » à son tour, une forme de version high-tech du bon vieux râteau. «Tout le monde parle de Chatroulette, alors qu'il va à l'encontre du discours convenu sur Internet», remarque Olivier Mermet. « Depuis des années, on entend dire qu'il est important de créer des liens sur le Web, via les communautés et sur les réseaux sociaux, alors que sur Chatroulette, on n'a aucun moyen de retrouver quelqu'un avec qui l'on a conversé, sauf à «nexter » la planète entière pendant quatre ans pour le retrouver... ».
Ce kaléidoscope humain où l'humour absurde côtoie la trivialité la plus frontale, mais aussi parfois, des conversations intéressantes – îlots d'humanité dans un océan de phallus–, fascine. Il faut dire que son histoire est amusante. Son créateur, Andrey Ternovsky, est un moscovite de 17 ans qui pose dans le New York Times en tee-shirt sur un VTT. S'il a créé le site, explique-t-il dans le NYT, c'est parce qu' « au bout d'un moment [il] a commencé à être fatigué de chatter avec ses amis sur Skype via la webcam, et qu'[il] avait envie de rencontrer des gens nouveaux ». Aujourd'hui, le site reçoit plus de 20 000 visiteurs par nuit. Avec un frisson mêlé d'une étrange fascination. « On joue sur le feu lorsqu'on va sur Chatroulette », estime Olivier Mermet. « Le site va cartonner auprès des ados, qui ont moins d'appréhension que leurs aînés à se dévoiler sur le Net, et sont friands de l'humour exutoire qui a fait le succès de sites cultes comme 4chan.org. »
Déjà, dans les médias, l'inquiétude pointe. Le site représente-t-il un danger pour les plus jeunes ? Serge Tisseron, psychanalyste, auteur de « L'Intimité surexposée » ( éd. Hachette) et de « Virtuel, mon amour » (éd. Albin Michel) est formel : « On n'empêchera pas les jeunes d'aller sur Chatroulette. Il faut simplement que l'éducation change d'objectif : il s'agit de préparer ses enfants à tout voir. Mais aussi leur faire comprendre que leur image leur appartient, et ce, dès le plus jeune âge. » Si Chatroulette déchaîne autant les passions, c'est que « le site colle à l'idéologie contemporaine de l'éternel présent, sans passé ni avenir, puisqu'on ne recroise jamais les internautes rencontrés sur le site ». Le psychanalyste va jusqu'à comparer Chatroulette à « un gigantesque sondage de popularité avec un échantillon randomisé, dont tous les sociologues rêvent ! ». « Les jeunes d'aujourd'hui savent bien que la vie sociale n'est que série de mises en scène de soi successives, rappelle le psychanalyste, Chatroulette permet de tester auprès du plus grand nombre son identité fabriquée. Et si cela marche, si l'on ne se fait pas zapper, on y trouve une forme de validation. On poste alors cette identité empruntée et populaire sur Daily Motion... ». Une recherche permanente de soi dans le regard des autres, aux antipodes de l'introspection. Cette quête narcissique assurera-t-elle la longévité de cette roulette existentielle ?

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