Télécoms
Patrick Drahi est prêt à acquérir Bouygues Telecom pour près de 10 milliards d'euros. Une situation qui n'arrange guère le gouvernement, qui s'apprête à organiser la vente des basses fréquences. Mais que le groupe Bouygues préparait depuis longtemps...

Coup de théâtre, dimanche 21 juin: Le Journal du dimanche révélait qu'Altice, maison-mère de Numericable-SFR, mettait sur la table près de 10 milliards d’euros pour acquérir Bouygues Telecom. Annonce confirmée par communiqué, lundi matin, par l’intéressée.

L’annonce n’était pas vraiment une surprise, alors que plusieurs acteurs du secteur, dont Stéphane Richard, patron d’Orange, ou encore l’Idate, le think tank des télécoms, affirmaient à l’envi, la semaine dernière, que l’on s’orientait vers une «rationalisation» du marché des télécoms - qui était passé de trois à quatre opérateurs en janvier 2012 avec l'arrivée fracassante de Free Mobile - avec un retour à trois acteurs.

Dimanche matin, quelques heures après la sortie du JDD, la réaction de Bercy ne se faisait pas attendre: «L'emploi, l'investissement et le meilleur service aux consommateurs sont les priorités. Or les conséquences d'une consolidation sont à ces égards négatives, comme l'ont prouvé les cas récents en Europe, réagissait vivement Emmanuel Macron, ministre de l'Economie et des Finances, dans une déclaration à l'AFP. Le temps n'est pas à des rapprochements opportunistes auxquels plusieurs peuvent trouver un intérêt qui ne retrouve pas ici l'intérêt général.» Une réaction par laquelle il avalisait l’information quant aux discussions en cours...

Une nouvelle étape, donc, pour l'homme d'affaires franco-israélien Patrick Drahi, à la tête d'un empire des médias et des télécommunications en France: en un an, coup sur coup, il a acquis SFR pour 13,36 milliards d’euros – à l’issue d’une bataille avec Bouygues Telecom – puis les publications L'Express et Libération.

Dans les télécoms, sa filiale Numericable-SFR, depuis, a absorbé Virgin Mobile et Telindus, et sa maison-mère Altice a pris le contrôle de Portugal Telecom, puis de Suddenlink Communications, le septième câblo-opérateur américain. Il a même envisagé le mois dernier de lancer une offre sur le mastodonte américain Time Warner Cable (TWC).

Iliad-Free de la partie

Quelles modalités sont prévues pour la reprise de Bouygues Telecom? Concrètement, le schéma actuellement en discussion associerait l'opérateur Free (groupe Iliad), qui récupèrerait une partie des fréquences, antennes et boutiques de Bouygues Telecom. De fait, Iliad a confirmé lundi matin «être entré en négociations exclusives avec celle-ci pour l'achat d'un portefeuille d'actifs».

Orange «reprendrait plusieurs centaines de salariés» de Bouygues Telecom, selon le JDD. Mais l'opérateur historique a affirmé dimanche après-midi «ne pas faire partie de ce deal», précisant toutefois à AFP «nous restons ouverts aux discussions avec les autres acteurs pour voir si nous pouvons faciliter un accord».

Prochaines étapes: l’offre de rachat sera examinée mardi 23 juin par le conseil d’administration de Bouygues Telecom. Par ailleurs, Patrick Drahi sera reçu par Emmanuel Macron. Si elle est acceptée par le conseil d’administration de Bouygues Telecom, l’offre sera ensuite soumise à l’Autorité de la concurrence. «Comme il s’agit d’intérêts privés, elle seule peut trancher», précise à Stratégies un analyste. Et ce malgré les fortes réserves exprimées par Emmanuel Macron dimanche.

Les enchères pour la bande 700 MHz

Pourquoi une telle hâte de Patrick Drahi? Selon le JDD, Patrick Drahi aurait obtenu «un nouvel emprunt auprès de BNP Paribas» et paierait son acquisition en cash.

Le groupe Altice, dont les acquisitions actuelles sont financées par la dette, a clairement profité d’un contexte où les banques lui sont favorables: «Elles sont prêtes à lui prêter de l’argent parce que le câble flambe, la Bourse et les investisseurs l’ont redécouvert.» D’ailleurs, «SFR, Numericable et le groupe Altice valent plus qu’avant en Bourse. Et les taux d’intérêt sont historiquement bas», selon un analyste.

Quant à Bouygues Telecom, il était toujours en vente: «Depuis un an, le groupe Bouygues voulait rendre la mariée assez belle. D’où sa stratégie offensive de baisse de prix pour avoir une base de clients plus importante lors de sa revente», poursuit-il.

En 2014, des discussions avaient bien été menées par Free et Orange pour le rachat de Bouygues Telecom, mais pour un montant moitié moins élevé que l'offre de Numericable.

Cette hâte n’arrange guère le gouvernement. «Emmanuel Macron a manifesté son opposition, aussi pour préserver la concurrence jusqu’aux enchères autour des fréquences en or [la bande 700 MHz], prévues en fin d’année», poursuit une source proche du dossier. Ces fréquences basses permettant de diffuser à l'intérieur des bâtiments et sur de longues distances, actuellement utilisées par les chaînes de télévision, seront libérées avant 2017, pour être à disposition des réseaux mobiles des opérateurs télécoms. Vendredi dernier, l'Arcep, le gendarme des télécoms, publiait les conditions de leur attribution. «Si Bouygues Telecom est dépecé d’ici là, il y aura moins d’argent pour les enchères. Et donc moins d’argent récolté par l’Etat pour ces fréquences», d’après la même source.

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