organisation
A mi-chemin entre les neurosciences et la psychologie, Jonah Lehrer, chroniqueur à Wired et au Wall Street Journal, décrit dans son livre «Imagine: How Creativity Works» (publié en France à l'automne) les processus à l'œuvre dans la créativité.

Beaucoup de théories et de certitudes prospèrent en matière de productivité, un peu moins sur la créativité. Comment naît cette dernière?

Jonah Lehrer. Il faut être lucide, on ne connaîtra jamais l'ensemble des processus permettant d'être créatif. La créativité est la capacité de parvenir à un résultat inattendu permettant de dépasser le résultat qui était attendu. C'est ici que se situe la différence entre créativité et productivité. Je pense que la clé est de trouver son propre espace de relaxation. Les recherches indiquent que la réponse à un problème complexe arrive le plus souvent au moment où on arrête de la rechercher, ce qui peut impliquer autant de diversité d'actions que prendre une douche, aller marcher ou boire un verre de vin. C'est une affaire de lâcher prise. En pleine impasse, Bob Dylan a créé la chanson la plus significative de sa carrière, «Like A Rolling Stone», dans un moment où il a complètement laissé son stylo glisser sur la feuille.

 

Dans votre ouvrage, vous décrivez avec précision les conditions élémentaires menant à toutes les formes de création. Peut-on réellement apprendre à créer?

J.L. On peut apprendre les stratégies permettant de créer. Le problème est qu'on considère trop souvent que la créativité découle d'une seule et même technique, indépendante, alors que des critères intimes sont en question. Si nous voulons vraiment libérer l'imagination, il ne faut placer aucune barrière. C'est comme cela que les tout petits pensent, naturellement. Comme l'a affirmé Picasso, «chaque enfant naît artiste. Le défi est de rester artiste en grandissant.»

 

En France, une récente enquête1 auprès de professionnels du marketing indique que près de neuf d'entre eux sur dix souhaiteraient changer d'employeur dans l'année à venir. D'où vient le malaise dans ce secteur et plus généralement dans les services?

J.L. Les managers doivent élargir leur définition de ce qu'est la «pensée productive». Trop souvent, ils pensent que le seul moyen d'être productif est de rester assis à fixer un écran d'ordinateur. Mais c'est souvent une erreur. Ils devraient plutôt se remémorer ce qu'Einstein a dit autrefois: «La créativité est le résidu du temps gaspillé.» Parfois, lorsqu'il y a un besoin d'introspection, il est nécessaire de prendre le temps de gaspiller du temps.

 

Peut-on penser que la crise systémique globale est, in fine, le résultat de trop de productivisme et de trop peu de créativité?

J.L. Le fait est que la créativité est à la base de la croissance économique durable. Rechercher la croissance sans réelle innovation crée les conditions de l'endettement non maîtrisé. L'une des curiosités du monde moderne, c'est l'observation à la fois de l'analogie et de l'opposition entre les grandes villes et les grandes entreprises. On pourrait penser qu'elles répondent finalement à la même logique, à la même structure. Que plus augmentent leur taille, leur puissance, leur population-effectifs, plus elles deviennent créatives. C'est le cas pour les villes. Or un phénomène exactement inverse est généralement constaté dans les entreprises. A mesure que leur poids augmente, les processus de décision, de partage, de création, sont sans cesse plus lourds, voire inadaptés. L'innovation s'y fait essentiellement via la coûteuse acquisition de petites sociétés dynamiques. Et à la différence des villes, les entreprises sont loin d'être éternelles.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.