RH
Enjeu de société, le développement durable s’est invité dans l’entreprise. Le manager est la courroie de transmission pour lutter contre le gaspillage des ressources ou favoriser la sobriété numérique. Une mission de passeur pas si facile !

Caroline Darmon se souvient de la vague de réactions, il y a deux ans déjà, à la suite de la suppression des gobelets plastiques dans les distributeurs automatiques de café. « La première semaine, beaucoup de collaborateurs ont déboulé dans mon bureau, raconte la directrice RSE du groupe Publicis France. Plastique, mobilité douce, tri, consommation de papier –on n’a pas besoin d’imprimer les mentions légales-, voiture électrique pour le covoiturage… on prend les sujets un par un. Les managers ont un rôle clé. Ils font le relais, mais la communication ne part pas d’eux. Important, le turn over impose des piqûres de rappel régulières. »

 

Du bon effet du (bio)mimétisme

Autre lieu, autre dimension mais même conviction avec Sidièse, agence de 25 collaborateurs, experte en matière de transition écologique, dirigée par Gildas Bonnel. « La tâche est plus facile dans une structure à taille humaine, mais si les managers n’adhèrent pas, les collaborateurs vont mal faire les écogestes, souligne celui a misé sur la mobilité douce pour ses salariés il y a dix ans déjà. En jeu : l’exemplarité ! Et il faut le faire sans trop d’emphase, en ayant la patate ! C’est une question de débat interne et de tonalité. On est bon quand on fait des choses sans trop de tam-tam ! »

Les éco-gestes explosent, dans les grands groupes comme dans les PME. Chez Altice France, l'usage du vélo dans les déplacements ou des véhicules professionnels hybrides et électriques est encouragé. Des serveurs informatiques sont éteints la nuit et le week-end. Et le groupe mobilise ses salariés autour d'actions citoyennes comme le Cyber World Cleanup Day, le 20 septembre, qui consiste à nettoyer ses boîtes mails et ses données.

Chez Sanilea, qui organise des transferts de patients, il y a des mails et des impressions bannis, pas d'écran TV au mur, et la plaquette commerciale est prohibée. Au sein de Charier, spécialisée dans les travaux publics, on pratique la déconstruction méthodique pour mieux recycler, le nombre de photocopieuses a été revu à la baisse et on a recours aux gourdes car les poubelles et les bouteilles en plastique ont été supprimées. Chez utrisens, expert en nutrition et santé,  tous les consommables plastiques ont été retirés, et on trouve une flotte de véhicules hybrides…

« Petites actions, mais vraie vertu », résume Fabien Soarès, cofondateur de Sanilea. Pour info : « pas moins de 4 milliards de gobelets sont utilisés chaque année en France », rappelle Florence Baitinger, cofondatrice de Gobilab et de Gobi, une gourde bio. Les poubelles débordent ! 50 % des bouteilles jetables ne sont pas recyclées. » Les questions qui doivent guider la démarche : quels sont les usages sur mon lieu de travail ? Quel impact ? Quelles alternatives existent ?… « Vers quelles solutions vont vos préférences ? On ne peut pas faire rentrer tout le monde dans une seule case », ajoute encore Florence Baitinger, qui adhère aussi à ce grand club mondial du « 1% for the planet ».

 

Théorie des parties prenantes 

Savoir embarquer les collaborateurs porte un nom dans la sphère managériale. On parle de la théorie des parties prenantes. Et Ouiam Kaddouri, professeure en management et marketing, à l’École de management Léonard de Vinci (EMLV) de détailler : « d’un point de vue organisationnel, le manager est responsable du bien-être de ses collaborateurs et donc de leurs bonnes pratiques. Avec une forme de mimétisme. On parle du "role modeling manager". Avec l’émergence du développement durable (DD), l’ensemble des métiers s’est enrichi, au-delà même du bénéfice financier, opérationnel ou bien encore humain… D’où un manager qui doit toujours être dans une phase d’apprentissage. » Et Valérie Mas, co-fondatrice de WeNow, spécialisée dans la transition carbone des entreprises d’ajouter : « Les salariés n’ont pas confiance dans les plans RSE des entreprises, qui est plus du ressort d’un effet d’annonce, des powerpoint, sans rien de concret. Le changement de mindset passe par le manager. »

« Vingt fois sur le métier, remettez votre ouvrage », disait Boileau. Constant Charier, responsable RH de l’entreprise du même nom ne le démentira pas. « Sur le terrain, on commence à y arriver depuis quatre ou cinq ans. Mais, il en aura fallu 15 pour aboutir à ce résultat. Le “mieux-disant RSE” est de nature à nous faire gagner des marchés. Reformatée DD, cette offre intéresse les secteurs privé et public. »

 

Une barque trop chargée ?

Dans ce tableau, une petite voix différente se fait entendre malgré tout, celle de Thomas Chardin, dirigeant fondateur de Parlons RH, agence-conseil spécialisée : « Passage obligé pour les RH, la DAF (direction des affaires financières), la DSI (direction des services informatiques), le manager est en première ligne constamment, explique-t-il. Il recrée le lien dans l’entreprise ; il forme ses collaborateurs ; il donne du sens au travail…. Et maintenant, les écogestes et la dynamique en matière de développement durable… C’est le bon bougre. On le met à toutes les sauces, s’agace-t-il. Jusqu’où cela va-t-il aller ? Et il est parfois sous le feu croisé d’injonctions paradoxales, sur fond de corbeilles de fruits frais, et pas de saison, proposées en hiver aux salariés, dans des locaux chauffés même le week-end… Et merci de le dire avec conviction ! »

« Il y a urgence, rappelle Fabrice Bonnifet, directeur DD & qualité, sécurité, environnement pour le groupe Bouygues, auteur de L’entreprise contributive, en librairie le 14 avril prochain (Dunod). Il n’y aura pas d’autre avenir possible. Mais, l’appétence des collaborateurs est grande. Un escalier, ça se balaie par le haut. Aux directions d’en faire plus. »

« L'attention vaut à tous les étages »

 

Trois questions à Éric Lamarque, président du réseau IAE (institut d’administration des entreprises) France, directeur de l’IAE Paris-Sorbonne business school.



Les IAE se sont-ils emparés du développement durable dans la formation des futurs managers ?

Clairement, oui ! Maison commune des business schools (privées) et des IAE (publics), la Fédération nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (FNEGE) s’est récemment dotée d’un observatoire de la transition environnementale pour savoir où on en est de la sensibilisation aux questions du risque climatique. Aujourd’hui, deux tiers des IAE ont intégré cette dimension dans les cursus. Par exemple, le master RH et RSE à l’IAE de Paris-Sorbonne. 



Avec quel impact dans l’entreprise ?

De retour dans l’entreprise,  après une parenthèse de formation continue, on peut espérer que les managers le mettent en pratique. En plus du reste. Mais, parfois de manière inégale. Inscrire la diffusion des problématiques de développement durable dans les objectifs de performance des managers peut faire avancer dans la bonne direction. Les entreprises qui ont basculé ont utilisé ce levier : la part variable de la rémunération se joue sur cette performance-là aussi. Pour les plus jeunes, c’est différent. Ils ont pleinement conscience de la nécessaire évolution. On n’est pas là pour les convertir.



Et dans le fonctionnement quotidien des IAE ?

L’attention portée à la transition écologique vaut à tous les étages de la fusée des IAE, des étudiants aux chercheurs, des enseignants aux conseils d’administration (CA). Ce n’est pas une option. Nombre de CA comptent en leur sein un chargé de mission RSE et transition écologique qui nous poussent tous, entre politique de réduction de la consommation électrique, plantation d’arbres pour compenser l’empreinte carbone générée par les déplacements à l’international et recyclage…

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