Consulting
Rachats d’agences, réorganisation, recrutements… les cabinets de consulting se mettent en ordre de marche pour attaquer le marché. Les acteurs historiques observent avec une sérénité toute relative.

Sous la pression d’Uber, BlaBlaCar, Netflix et autre Amazon, « la transformation digitale des entreprises est devenu un  vrai sujet », analyse Véronique Beaumont, CEO de DigitasLBI France. « Il est réfléchi au niveau du Comex, qui lui accorde un haut niveau d’investissement. » Les acteurs historiques ont été rejoints sur un marché global et stratégique par d’autres, devenus légitimes : les cabinets de consulting. Après avoir procédé à quelques rachats de structures digitales – Backelite par Cap Gemini en 2011, Ubermind par Deloitte en 2012, Fjord par Accenture en 2013 - ces derniers se sont lancés il y a quelques mois dans le recrutement de profils référents, dans le but d’interconnecter les expertises intégrées ou développées, et créer de nouvelles offres pour attaquer le marché. Et les arrivées successives, chez Accenture l’été dernier, de Claude Chaffiotte et Matthieu Morgensztern, anciens patrons respectifs de JWT et Digitas (Publicis), confirment l’imminence de l’offensive : « Il nous faut évoluer en permanence, anticiper pour aider nos clients à faire évoluer leur entreprise, à se développer et à maintenir leur leadership » affirme Claude Chaffiotte, directeur France et Benelux d’Accenture Interactive, spécialisée sur les problématiques d’expérience client, de contenu, de marketing et de commerce. « Sachant que 80 des cent premières entreprises en France ont fait du digital une priorité, et bien que seules 26 % d’entre elles ont alloué un budget transversal dédié à la transformation digitale, nous avons décidé de nous placer comme le conseil leader sur le sujet. » Le cabinet s’est d’abord attaqué à sa propre digitalisation, en investissant 3 Mds€ en acquisitions, en R&D et en formation des équipes. De quoi revendiquer une expertise auprès de marques établies et demandeuses d’accompagnement.

Ré-enchanter l’expérience

« En multipliant les connexions, la digitalisation favorise l’émergence de nouveaux acteurs » observe Emmanuel Arendarczyk, Dg France et UK de Netbooster, groupe indépendant de marketing digital. « Elle oblige les marques à proposer un nouveau parcours de conversion pour garder le client. » Pour séduire et vendre, il leur faut désormais travailler tous les points de contact avec la marque. Autant d’aspects sur lesquels les consultants revendiquent une légitimité. « Mais pour concurrencer les agences, les cabinets vont devoir opérer un shift » prévient Édouard de Pouzilhac, dirigeant de 5e gauche (Herezie Group). « Nous avons un mode de fonctionnement très collaboratif mêlant tous les profils - créatifs et techniques – que n’ont pas les consultants. » Ce dont les cabinets ont pris acte, procédant à quelques changements de process, de culture et de profils… « Il a fallu rendre la méthode de travail du consulting plus agile en nous appuyant sur le design thinking », explique Sébastien Ropartz, associé et patron de Deloitte Digital. Jusqu’à se doter d’entités fonctionnant suivant un autre code. Ainsi, les collaborateurs de Fjord, l’agence digitale d’Accenture, évoluent dans les locaux spécifiques au sein du siège parisien, où tout - mobilier, outils, ateliers, management… - a été pensé pour favoriser les échanges, la réflexion et l’émergence de concepts. « Contrairement aux agences, nos designers passent beaucoup de temps à l’extérieur et/ou avec les consommateurs » ajoute Matthieu Morgensztern, directeur de l’activité digitale au sein du secteur produits d’Accenture. « Leur créativité ne porte pas un message, elle résout un problème. »

Réhabiliter l’expertise

De fait, les agences doivent elles aussi faire leur révolution. À l’image de Tribal, fermée en 2011, puis relancée il y a quelques mois pour (re)devenir l’agence digitale du groupe DDB. « Aujourd’hui DDB Paris est une agence qui s’est digitalisée, ce qui ne suffit pas à en faire une agence digitale » explique Alban Callet, directeur général de Tribal. « Les métiers, les univers et les cultures sont trop différents pour être revendiqués par une seule structure omnisciente ! Il était donc logique de recréer un pure player pouvant regrouper différents profils en mode projet, comme nous le faisons pour Volkswagen. » Une structure autonome, plus agile et plus légitime pour les appels d’offres digitaux : une vision partagée par les grands groupes, qui disposent tous de structures dédiées (Publicis avec Digitas, Havas avec Fullsix, TBWA avec Dan Paris…).

Pour se démarquer des concurrents, elles avancent aussi une forte culture de la marque (et, derrière elle, de la big idea) devenue aussi importante que la culture de l’entreprise que revendiquent les cabinets de consulting. Mais avec un changement de taille, dont toutes n’ont peut être pas encore conscience. « La big idea publicitaire a laissé sa place à la big idea business », estime Matthieu Morgensztern. « Une marque se construit désormais plus par ses produits et services que la communication qu’elle développe. La big idea d’Airbnb ou Uber, c’est leur concept réellement pensé par rapport à un marché, pour répondre à un vrai problème. La définir demande un travail d’évaluation des business models qui ne relève pas des agences. » Fermez le ban !  Conscientes de cette lacune, certaines agences procèdent à des acquisitions stratégiques qui leur permettent d’accompagner les entreprises dans leur transformation digitale. C’est le cas de Publicis qui, après avoir fait l’acquisition de Razorfish, Digitas, Rosetta et LBI, s’est offert Sapient en 2014 (pour 2,96 Mds€) : « Publicis met en place un modèle permettant de monter en puissance, via des ressources groupe et un écosystème de start-up avec lequel nous sommes en interconnexion permanente » souligne Véronique Beaumont.

Conflits d’intérêts

Les agences médias sont celles qui manifestent le plus de méfiance à l’égard des cabinets de consulting. Déjà challengées par leurs clients intégrant des compétences média et gestion du programmatique, par Google et autre Facebook sur la data, elles le sont désormais par les consultants sur l’analyse de la data et la définition des stratégies de moyens. « Ils ont des gros moyens et ont l’oreille des grands patrons, quand nous n’avons que celles des directions générales, marketing et communication » estime Fernando Da Costa, président d’OMG. « Mais cela me pose surtout problème dans la mesure où ces cabinets, parce qu’ils auditent nos clients, ont de facto accès à des données sensibles (conditions de négociation, mesures d’efficacité…) qu’ils peuvent utiliser ultérieurement. » Craignant de les voir arbitrer une partie dont ils seraient également les joueurs, il met en garde : « Certains métiers ne doivent pas se mélanger. Nous devons rester les gardiens du temple de la stratégie de moyens, notamment de l’exploitation poussée de la data pour définir des insights pertinents. »

Pour l’heure, la plupart des acteurs du marché préfèrent y voir une concurrence stimulante, obligeant les historiques à sortir de leur zone de confort pour monter en compétences. Édouard de Pouzilhac se veut confiant : « les agences digitales sont, par essence, capables de se réorganiser pour s’adapter aux exigences du marché. Entre 1996 et aujourd’hui, mon agence a changé dix fois de modèle ! » Et il n’y a pas, économiquement parlant, péril en la demeure : « la croissance est très forte sur notre marché, souvent à deux chiffres, et la rentabilité y est très bonne, de 7 % à 28 % sur les résultats d’exploitation avant impôt. » Et Alban Callet d’ajouter : « La où certains se battent pour garder des parts de marché, les agences digitales le font pour savoir qui va gagner le plus. » Un optimisme qui ne doit cependant pas faire oublier qu’Accenture Digital a été désignée « Agence digitale dont le réseau est le plus important et dont la croissance a été la plus rapide au monde » par Ad Age dans son rapport annuel 2016 !

3 questions à Sébastien Ropartz, associé et dirigeant de Deloitte Digital



Les cabinets de consulting et les agences digitales partagent-ils la même culture ?

S.R. Les cultures sont différentes, la digitalisation de la société impose un rapprochement des profils de consultant en stratégie marketing et de consultant en technologie pour mieux répondre aux demandes de nos clients. Nous avons créé Deloitte Digital pour nous doter d’une vision bipolaire et pour associer cerveau gauche et cerveau droit, analyse et esprit créatif. Nous avons donc dû intégrer de nouvelles sociétés, de nouveaux profils, ce qui nécessite de se réinventer, de réinventer des méthodes de travail et donc de changer de culture.



Qui trouve-t-on chez Deloitte Digital ?

S.R. Tous les spécialistes du marketing digital : graphistes, designers, UX designers, chefs de projet… Chaque industrie ayant sa propre problématique de digitalisation, ils vont travailler avec les spécialistes de chaque secteur (retail, manufacturing…). Cette association de profils est très importante, car tous les secteurs n’ont pas la même maturité en matière de digitalisation.



Les profils plus créatifs, plus connotés agences, sont-ils formatés pour travailler dans un cadre de consultant ?

S.R. Ils évoluent dans un studio, un endroit plus personnalisé, un cadre plus créatif, plus agile. Un endroit qui facilite la constitution et la mobilisation d’équipes en mode projet, bref, un cadre assez éloigné de l’image que l’on se fait de nos métiers de consultants.

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