Dossier Hyper-personnalisation
D’un côté, les annonceurs se plient en quatre pour mieux exploiter les datas dont ils disposent. De l’autre, les internautes se montrent exigeants sur la gestion de leurs données personnelles. Dans ce contexte, jusqu’où peut aller la personnalisation en digital aujourd’hui ?

Sur Netflix, les recommandations de séries ne sont pas une bonne nouvelle pour ceux qui aimeraient arrêter le binge-watching… Ce n’est pas une nouveauté – Amazon agit exactement de la même façon avec la recommandation de produit –, mais un certain symbole de ce qu’il est possible de faire actuellement en matière de personnalisation sur le digital, à savoir proposer des communications très ciblées, adaptées à l’interlocuteur, à son comportement en ligne, à ses goûts. Techniquement, on peut aujourd’hui aller très loin dans le ciblage et l’orchestration des messages. « L’enjeu pour les annonceurs est de passer d’une segmentation de masse à une personnalisation individuelle », estime Yassine Hamou Tahra, directeur associé et cofondateur de Cartelis, cabinet de conseil en marketing digital et data. Et l’expert de rappeler les différents types de segmentation existants : de masse (par profil, localisation…), RFM (récence, fréquence, montant), microsegmentation (ajoutant aux données transactionnelles des données comportementales) et enfin la segmentation incluant tous ces facteurs en temps réel. « Si les Gafa en sont à l’étape 4, la plupart des entreprises en sont plutôt à l’étape 2 », juge-t-il.

 

« Le bon carburant »

Côté distribution du message, alors qu’avant, le ciblage portait sur une audience définie, un profil d’individu, l’hyper-personnalisation est aujourd’hui possible grâce au programmatique et au RTB – real time bidding –, système d’enchères en temps réel qui permet l’affichage d’une publicité pertinente selon le profil de celui qui la regarde et d’autres paramètres comme la date ou l’heure. Si toutes les entreprises n’ont pas recours à ces pratiques, la personnalisation nécessite dans tous les cas des datas. « Être précis dans la publicité, au niveau du one-to-one ou plutôt du very few, via le machine learning, requiert de la donnée », appuie Ludovic Moulard, responsable de l’expertise analytics et personnalisation de l’agence Fifty-Five.

Au-delà de la collecte des datas, l’un des challenges principaux pour les entreprises aujourd’hui est de disposer d’une vision unifiée du client alors que leurs données de facturation, e-commerce ou encore navigation ne sont généralement regroupées nulle part. On voit ainsi émerger des référentiels client unique (RCU). « L’enjeu en ce moment est de centraliser la donnée. Les DMP [data management platform] et CDP [customer data platform] étaient à la mode en 2019. Maintenant, il faut le bon carburant et la bonne data… La valeur de la donnée au sein des entreprises est de plus en plus identifiée », explique Christian Neff, dirigeant fondateur de Markentive, agence notamment spécialisée en marketing automation. « Durant les cinq ans qui viennent, le gros sujet pour les marques sera de mettre en place un écosystème technique qui va pouvoir reconnaître un client quels que soient les canaux empruntés et d’avoir une vision unifiée de ce client », renchérit Yan Claeyssen, vice-président exécutif d’Epsilon, structure regroupant l’activité data de Publicis.



Un écueil d’organisation

Si c’est une condition sine qua non pour être efficace, pour autant, l’hyper-personnalisation ne sera pas totale. « Aujourd’hui, on estime qu’une pub hyper-ciblée peut se faire sur 60 % de l’audience », rappelle-t-on du côté du trading desk Gamned. « Lorsque j’étais chez Axa, nous travaillions en R & D sur des sujets d’hyper-personnalisation sur le digital. Le constat après deux ans, c’est qu’elle n’était pas forcément utile sur 100 % du reach », témoigne Ollivier Monferran, dirigeant d’O & A Conseil et expert data et ROI digital au Media Institute, organisme de formation au digital et aux médias.

Obstacle technique, obstacle d’efficacité… Au-delà demeure aussi un écueil d’organisation. Les entreprises restent aujourd’hui structurées en silos, ce qui ne favorise pas une gestion centralisée des données. En outre, choisir la personnalisation comme axe stratégique peut impliquer l’élaboration de centaines de messages adaptés à la taille de l’entreprise (si l’on est en B to B), au secteur d’activité, aux motivations d’achat… Même en s’appuyant sur des outils d’IA ou des algorithmes, il faut des équipes marketing capables de gérer tout cela. « L’hyper-personnalisation est techniquement faisable, mais pas opérationnellement souhaitable », estime ainsi Christian Neff. Le dernier frein est légal. Si le RGPD a fait évoluer les obligations des entreprises en 2018, la Cnil a récemment proposé de nouvelles recommandations pour encadrer leurs pratiques.



Contrôle des données

Enfin, pour personnaliser leurs publicités de manière efficace, les annonceurs doivent prendre en compte les internautes. Or les attentes de ces derniers vis-à-vis de la publicité digitale évoluent. Sur le principe, ils n’apparaissent pas contre le partage de données personnelles, mais à certaines conditions. Par exemple, selon une étude Herow rendue publique en février, 80 % des Français seraient disposés à partager leurs données de localisation s’ils avaient un moyen clair et facile de contrôler leur utilisation. Toutefois,

l’un des principaux risques pour les annonceurs reste d’être perçus comme trop intrusifs. Leur tâche n’est pas facile alors que, selon une étude eMarketer de 2018, 15,4 millions de personnes en France projetaient d’utiliser un adblocker au moins une fois par mois, soit 28,7 % des internautes.

Quoi qu’il en soit, c’est seulement à ce prix que les entreprises réussiront à faire de l’hyper-personnalisation efficacement. « Nous nous penchons sur un nouveau sujet depuis deux ans : la data sémantique », avance Grégoire Garrel, directeur général de l’agence de marketing digital Activis. Il s’agit d’avoir un état des lieux sur un secteur d’activité à travers les questions que se posent les gens et les mots employés sur les moteurs de recherche, « le graal pour les marques étant la position zéro sur Google ». Autre évolution : « Les entreprises s’intéressent de plus en plus à l’idée de personnaliser les pages d’accueil de leurs sites web », observe Christian Neff. Pas vraiment nouveau, mais « les outils deviennent suffisamment agiles pour pouvoir être manipulés par des users en entreprise. Avant, c’était plus lourd. » 

Disparition du cookie tiers : ce que ça va changer

Ultra-ciblage, communication en one-to-one… Ce que l’on peut faire ou non aujourd’hui en matière de personnalisation du digital risque fort d’être perturbé par la décision de Google de supprimer d’ici à 2022 les cookies tiers sur le navigateur Chrome (lire Stratégies no 2025). « C’est la fin de la personnalisation, la fin du programmatique et la fin de la maîtrise de la durée d’exposition », résume Ollivier Monferran, expert data et ROI digital. L’une des solutions pourrait être le travail en direct avec les publishers, une stratégie très longue à mettre en place, sans parler de la complexité du processus. « Il n’y a plus d’approche universelle. Or l’hyper-personnalisation est intéressante si l’approche est justement universelle », juge Ollivier Monferran. Diffuser des contenus une ou dix fois : l’ampleur de la tâche ne serait en effet pas la même… 

Autre volet de la question, la fin du cookie tiers obligera les acteurs du secteur à se recentrer sur d’autres types de données. « Elle va donner lieu à une recomposition du marché. Il va y avoir une logique d’alliance, d’innovation et de créativité autour de la first party data [donnée collectée par l’entreprise via ses outils digitaux], estime Claude Chaffiotte, directeur exécutif d’Accenture Interactive France et Benelux. Pour les entreprises data driven, cela va être un facteur d’accélération pour connaître chacun de ses clients. Cela va renforcer la valeur des données dans l’entreprise. » Car les données sont les premières clés pour pouvoir personnaliser sa publicité.

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