Dossier Retail responsable
Challengés par de nouveaux acteurs, mis sous pression par leurs clients et soumis à de nouvelles contraintes du législateur, les distributeurs multiplient les gages de responsabilité. Mais jusqu’où sont-ils prêts à aller dans la remise en cause de leur modèle ?

Il suffit de regarder le site MagasinResponsable.com pour comprendre l’effervescence qui règne dans le secteur de la distribution. Mis en ligne il y a six mois par le lobby des grandes enseignes, Perifem, il recense aujourd’hui 600 articles de presse faisant état d’initiatives prises par les enseignes françaises en matière de développement durable. « Cela montre qu’elles sont dynamiques sur le sujet et que, s’il y a des critiques qui leur sont adressées d’une manière assez générale, en pratique, il y a tout un ensemble d’initiatives qui sont mises en œuvre », relève Franck Charton, délégué général de l’association. Toiture photovoltaïque sur le Super U de Bessé-sur-Braye dans la Sarthe, programme de collecte de vêtements pour promouvoir la seconde main chez C&A, drive zéro déchet en Nouvelle-Aquitaine… Dans leur variété, les sujets témoignent des multiples injonctions auxquelles les retailers sont confrontés.

Les nouvelles attentes des consommateurs les obligent tous à se positionner. « Pendant longtemps, le sujet est resté cantonné à des marques à culture sociétale ou environnementale, comme Malongo. Aujourd’hui, même celles qui n’ont pas ce sujet dans leurs gènes nous briefent sur la nécessité de prendre en compte ces enjeux et surtout de les donner à voir », constate Anne Henry, directrice du planning stratégique de l’agence CBA. « Le retail est challengé par le digital et l’écologie est un moyen de faire revenir les clients en magasin en améliorant l’expérience », ajoute Margaux Lhermitte, directrice retail de CBA.

L'ère de la prise de conscience

À Douvaine, en Haute-Savoie, Intermarché a inauguré un pilote de son espace L’alternative, qui rassemble, selon Capucine Delaunay, responsable du planning stratégique de l’agence Intangibles en charge du concept, « l’ensemble des modes de consommation responsables, comme le vrac ou les produits locaux ». L’ouverture à Paris de Sources, un magasin où la majorité des produits sont validés par l’appli Clean Beauty, traduit cette prise de pouvoir des consommateurs. « On entre dans l’ère de la prise de conscience et de l’action », avance Estelle Mège, directrice générale architecture de l’agence W, qui signe cette réalisation pour le groupe Carrefour. Elle ajoute que « ce mouvement est accompagné par le législateur au travers de la loi Pacte, qui a imposé une prise en considération des enjeux de responsabilité dans la raison d’être des entreprises ».

Alors que la loi Garot de 2016 a créé une obligation de lutter contre le gaspillage alimentaire, la société Comerso aide depuis six ans les retailers à valoriser invendus et déchets via des dons aux associations ou la mise en place dans les rayons de « zones anti-gaspi » proposant à prix cassés des produits arrivant à péremption. « On a le vent dans le dos », se réjouit François Vallée, directeur marketing de Comerso, alors que la nouvelle loi sur l’économie circulaire doit étendre au non-alimentaire l’interdiction de jeter. Les enseignes de mode ou de bricolage vont devoir prendre le pli. Sans attendre, certaines ont déjà embrayé. « Nous travaillons avec Besson Chaussures, un réseau de 150 magasins chez lesquels nous avons mis en place des collecteurs de chaussures usagées », note François Vallée. L’enseigne a aussi donné récemment 80 000 paires de chaussures neuves de fins de collection au Secours populaire.

Concurrence nouvelle

S’ajoute, pour les enseignes, l’émergence de marques qui les concurrencent sur le terrain de la responsabilité. « Pour ces jeunes marques, comme le fabricant de sneakers Allbirds, l’innovation produit, c’est justement la capacité à le fabriquer de manière éco-responsable », souligne Pascal Malotti, directeur du business développement et des stratégies de l’agence digitale Valtech. Dans un rapport baptisé « Le nouveau retail : apocalypse ou nouvelle ère ? », l’agence Fabernovel pointe le rôle de ces « digitally native vertical brands », les DNVB. « Elles s’adressent à des millennials très sensibilisés et prêts à dépenser plus, et elles ont le contrôle de leur chaîne de valeur et donc la capacité de réduire leur impact environnemental », note Elina Gaillard, analyste chez Fabernovel. Pour les marques établies, face à cette concurrence nouvelle, la difficulté est « d’arriver avec des éléments de preuves hyper tangibles de leur engagement », note Hélène Ortola, directrice générale de Disko, qui travaille sur ce thème pour Jacadi.
Toutefois, remarque Pascal Malotti, les sujets de responsabilité sont parfois abordés avec une certaine forme de « pointillisme » par les enseignes. « Oui, elles s’emparent du sujet du développement durable, mais le font-elles de manière systémique ? », s’interroge-t-il, regrettant que nombre d’entre elles, notamment dans la mode, en restent aux « déclarations d’intention ». David de Matteis, partner chez OC&C, cabinet de conseil en stratégie qui publie chaque année un classement des enseignes préférées des Français, entrevoit la même difficulté : « Le vrai problème, c’est que les enseignes mettent en place des initiatives en parallèle de leur cœur d’activité, mais ça ne peut être une réussite que si toute l’entreprise est concernée et que chacun y contribue ». À la décharge des retailers, les enseignes sont, selon lui, face à un consommateur pas toujours très rationnel, sensible à la préservation de la planète mais pas prêt à payer plus. « Sur une niche, on peut réussir à satisfaire le consommateur en étant rentable, mais avec une proposition plus mainstream, on prend le risque de voir partir ceux pour qui le sujet est moins important », estime David de Matteis.

Au-delà de l’offre produits, pas toujours maîtrisable par les distributeurs, ceux-ci peuvent toutefois jouer la carte de l'éco-conception de leurs espaces de vente, notamment via le sourcing des matériaux. « Dans un contexte où charges et salaires augmentent davantage que les prix, la seule solution pour maintenir son résultat est de réduire les charges de fonctionnement, en matière d’énergie notamment. Installer un toit photovoltaïque sur un supermarché, c’est un million d’euros, mais cet investissement sur 25 ans est rentable en termes opérationnels », remarque Franck Charton chez Perifem. Delphine Serafini, directrice générale du groupe Elba, PME spécialisée dans l’aménagement de points de vente pour Hermès, Marionnaud ou SFR, affirme que « rester dans les budgets en faisant de l’éco-conception est largement possible ». Elle veut désormais aller plus loin en lançant une offre d’upcycling, qui permettra de maîtriser la fin de vie des produits. « Nous allons proposer à nos clients de collecter et de trier le mobilier de vente pour lui redonner une seconde vie », explique Delphine Serafini.

Retail staging

Directrice de la stratégie de l’agence Market Value, Hélène Maillet met aussi en avant la possibilité, au travers le « retail staging », de faire du neuf avec du vieux en utilisant « des éléments recustomisés pour habiller des gondoles sans tout casser ». Son agence teste actuellement, dans un magasin Générale d’optique à Montigny-le-Bretonneux, une signalétique sur toile imprimée, mono-matière, facilement recyclable, appliquée avec une colle acqueuse. Pour le Beendi Bar du Franprix situé boulevard Haussmann, à Paris, « plutôt que d’abattre un chêne centenaire », cette agence a utilisé du bambou, ressource rapidement renouvelable, pour habiller la jupe de comptoir. Au Popai, un projet de PLV éco-conçue a été mené avec Sephora et L’Oréal, et les adhérents de cette association de professionnels peuvent désormais se faire écolabelliser. De son côté, Médiaperformances planche sur une solution « permettant de réduire fortement le plastique » dans les dispositifs promotionnels proposés aux distributeurs, selon la responsable RSE Marion Caillard. En attendant, la société affiche dès aujourd’hui sa neutralité carbone, compensant l’intégralité de ses émissions (3 500 tonnes équivalent C02 par an) par des achats de crédits carbone à un tarif variant entre 8 et 30 euros la tonne. Une belle façon de montrer l’exemple à la grande distribution…

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