Production
Dans une lettre adressée aux annonceurs et aux pouvoirs publics, Bertille Toledano et David Leclabart, présidents de l’AACC, dénoncent certaines dérives des cabinets de cost control dans la production publicitaire. Ils s’en expliquent à Stratégies.

Que dénoncez-vous dans ce courrier ?

Bertille Toledano : C’est une lettre que nous avons adressée à l’Union des marques, au Club des annonceurs, au ministère de l’Economie et à tous nos membres. Nous avons été alertés par plusieurs de nos adhérents sur le fait qu’il existe un problème en lien avec la production et les demandes des cost controllers. Les annonceurs ont des budgets qui ne sont pas exponentiels, c’est pourquoi ils se tournent vers des cost controllers pour optimiser leurs coûts de production. Mais ces derniers temps, cette productivité de la production demandée aux agences a donné lieu à un certain nombre de dérives, dont celles des cost controllers.

David Leclabart : Ce sont des gens avec qui nous travaillons depuis toujours. Ils ont un rôle de tiers de confiance auprès des clients, et de pédagogie. Mais nous avons été alertés sur l’existence de dérives dans ces pratiques. En proposant à leurs clients non plus seulement un contrôle de leurs coûts de production mais aussi des solutions, ils deviennent des conseils en production. Or on ne peut pas être juge et partie.

Bertille Toledano : La production est l’endroit où se concrétise la création. C’est elle qui cristallise toutes les attentions car cela coûte cher. Il y a de plus en plus d’assets à produire, d’où un besoin de rationalisation des coûts. Quand les cost controllers sont dans l’optimisation et le dialogue, c’est une fonction très pertinente. Mais on voit deux dérives. D’abord, le cost killing, c’est-à-dire quand le cost control cherche à faire baisser les devis quoi qu’il en coûte. Ça crée des perversions dans le système. Ensuite, quand les cost controllers deviennent des conseillers en production, quand ils introduisent des sociétés de production, demandent des modifications de script pour réduire le nombre de jours de tournage. On n’est plus dans l’audit ici mais dans le conseil en production. C’est une concurrence déloyale.

A combien chiffrez-vous ce manque à gagner ?

Bertille Toledano : Sur les gros clients, ça peut devenir très important. Mais au-delà du chiffre, vous perdez ce qu’il y a de plus important : la qualité de la relation agence-annonceur. Si le tiers de confiance qu’est le cost controller entre dans le dénigrement, ça abime cette relation, ce lien de confiance.

Pourquoi ce point de bascule maintenant ?

Bertille Toledano : Il y a de moins en moins d’argent pour les productions, ce qui crée une tension, y compris sur le métier de cost controller. Aller sur le conseil est une forme de diversification pour eux. Mais ils ne peuvent pas rentrer avec une casquette d’auditeur et en sortir avec le budget. C’est un problème quand ils ont un impact sur les choix artistiques.

David Leclabart : Le problème que nous pointons ne concerne pas tous les cost controllers, heureusement.

Ces dérives sont-elles la conséquence de la place que prennent aujourd’hui les directions des achats dans les compétitions d'agence ?

David Leclabart : C’est vrai que la place des achats a complètement évolué. Aujourd’hui, dans les compétitions, vous avez deux discussions, le brief avec la direction marketing et une discussion avec les acheteurs. Mais ce n’est pas le même sujet. La dérive de certains cost controllers, qui passent de tiers de confiance à concurrents, est récente.

Concrètement, qu’attendez-vous maintenant des annonceurs et des pouvoirs publics ?

Bertille Toledano : On s’est rapproché des annonceurs engagés dans le programme FAIRe et on va s’en parler début 2022. Nous avons aussi un rendez-vous mi-décembre avec le ministère de l’Economie. Nous disons que la concurrence déloyale est un problème et qu’il faudrait par exemple exiger un certificat d’audit, comme ça se fait dans d’autres métiers, qui rappelle que l’auditeur n’est pas le conseiller. Il serait possible aussi d’exiger la séparation des métiers ou d’avoir une charte éthique pour nous aider à obtenir cette séparation des rôles.

Est-ce une question de survie pour les agences ?

David Leclabart : Ce n’est pas une question de survie, c’est une alerte. On n’a pas de souci à avoir de nouveaux concurrents mais qu’ils choisissent leur camp.

Bertille Toledano : Notre métier a de moins en moins de valeur. On le voit dans l’enquête sur le harcèlement en agences : les gens sont épuisés. L’enjeu aujourd’hui est celui de la valeur. Il faut respecter la valeur de la création, celle de nos métiers. C’est une façon d’alerter sur le fait qu’on ne peut pas déprécier la valeur des agences et de notre travail.

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