Tribune

Avec la disparition de Jean Feldman, fondateur de FCA!, c'est un grand nom de la publicité française qui s'éteint. Jacques Séguéla se souvient.

Jean, je t’aime.

Tu es là près de nous, près de moi. Je ne vais pas te laisser t’envoler si facilement. Les êtres que l’on aime ne meurent pas, ils deviennent simplement invisibles mais plus présents encore. Ta vie, c’est ma vie et cette vie, nous l’avons vécue corps à corps, cœur à cœur. En frères d’arme, en frères d’âme.

Te voilà céleste mais sur Terre. Tu as été, tu resteras le meilleur d’entre nous. Nul ne te ravira le titre de Prince charmant de la pub. La grande pub, celle des années folles, des années libres, des années créa.

Jean, je t’aime.

Tu as toujours été la créativité même dans son essence et dans ses sens, dans son humour, dans son amour. Tu l’as comme pétrie de tes mains, toi le sculpteur rentré, toi le peintre révélé. D'ailleurs, tu es chez toi chez moi. Pas une pièce ne s'illumine de tes toiles. Tu nous as montré le vrai chemin, celui de l’envers des choses. Tu as toujours été là où il ne fallait pas quand il fallait et là où il fallait quand il ne fallait pas.

Jean, je t’aime.

Cocteau croisa un jour Diaghilev, et lui lança « quelle est la définition de ton art ? ».

La réponse fusa : « étonne moi ».

Non, répondit Cocteau, cette définition, c’est celle de mon art à moi, pas du tien. Au musée le danseur, au musée le poète. Cette définition, c’est la tienne, mon Jean, tu as fait de l’étonnement un art. Ta femme à la rose t’a fait l’aimé des femmes, pour ton romantisme à fleur de peau, ton empreinte d’un pied nu sur un deck brûlant des Bahamas t’a fait le jalousé des publicitaires pour ton réalisme à fleur de nerf. Ton secret : tu as eu le don de l’ailleurs et de l’autrement.

Jean, je t’aime.

Tu m’as enseigné la fidélité, la mère de toutes les vertus, tu m’as démontré l’élégance, sa sœur jumelle, et fait aimer l’exigence. Sans elle, la publicité ne serait que ce qu’elle est.

Jean, je t’aime.

Tu m’as fait découvrir la beauté cachée des choses de la vie, tu savais, d’une photo ou d’un coup de pinceau, les transformer en art du quotidien. La publicité te doit tant, tu l’as sortie des griffes de la réclame et protégée des serres du numérique. Tu l’as magnifiée, ensorcelée, béatifiée, poétisée, immortalisée. Privée de toi, elle a perdu de sa superbe, côtoyé le vulgaire, flirté avec la facilité, sombré dans la complexité. Elle s'est banalisée. Que la nouvelle vague des filles et fils de pub consultent tes œuvres avant de se lancer dans l’arène. Tu as été notre Manolete, qu’ils en prennent de la graine.

Jean, je t’aime.

Je n’ai rien oublié de nos éclats de rire, de nos éclats de voix, de nos éclats de cœur. Qu'elle a été belle, notre vie en partage. Te voici en route pour le dernier voyage. A peine arrivé là-haut, passe-moi un coup de fil, pour me donner l’état des lieux, je t’y retrouverai un jour ou l’autre pour faire la campagne de l’au-delà, toi en directeur artistique, moi en copywriter.

Jean, je t’aime.

Tu pars mais tu nous laisses le meilleur de toi-même : ta Chantal.

Que serions-nous sans nos femmes. Elles sont les anges de notre vie sur Terre.

Chantal, je t’aime.

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