Tribune

L'affaire McKinsey ne doit pas nous faire oublier que le secteur du conseil doit sa valeur à l'influence qu'il exerce sur son client.

L’affaire McKinsey nous aura finalement servi quelques poncifs : le conseil est utile aux organisations ; la technostructure de l’appareil d’État a perdu de sa superbe… Mais encore ? Le débat public, marqué par le contexte électoral, a concentré la polémique sur le second point – en déversant des doutes sur la probité et la pertinence des marchés conclus. Quant aux consultants professionnels, qui sont montés au créneau pour défendre, à juste titre, le «soldat» conseil, ils ont le plus souvent évité de mettre le doigt là où ça questionne. Il est pourtant utile de lever certains non-dits…

Le conseil rassemble un vaste ensemble de métiers et de modalités de prestations, mais, dans tous les cas, c’est une relation entre deux parties qui est engagée, et celle-ci a ses exigences. Le client a la responsabilité de savoir acheter, c’est-à-dire de maîtriser son cahier des charges et de comprendre les pratiques des consultants qu’il évalue, à la fois durant la phase de consultation, bien sûr, mais aussi tout au long du processus d’intervention.

Contrairement à ce qui a été soutenu dans l’exégèse de cette affaire, pour conforter une frontière hermétique entre conseil «externe» et décision «interne» : donner un conseil, c’est toujours assumer une influence. Comment imaginer le contraire ? La construction de scénarios n’est jamais neutre ; le fait même de pouvoir ne pas en énoncer certains n’est pas anodin. Les éléments qui sont mobilisés pour étayer des recommandations sont eux aussi le fruit de représentations assises sur l’interprétation de données, aussi objectivées soient-elles. Conseiller est, par nature, influençant, et c’est ce qui en fait sa valeur.

Une part de risque

Ne nous trompons pas cependant sur le sens de cette influence : un client est et demeure totalement responsable de sa décision. L’influence assumée ne déresponsabilise pas celui qui a la charge de prendre une décision. Le conseil ne se substitue pas à celui qui porte la responsabilité de l’action. En cela, il engage sa déontologie. In fine, c’est bien la compétence (et l’intégrité) de l’acheteur et la déontologie du conseil qui canalisent l’influence à sa juste place.

Par nature, tout acheteur de conseil assume une part de risque, car il ne connait pas par avance la qualité du service qui va lui être rendu. Son premier rôle consiste à maîtriser ce risque. Idéalement, le conseil est réputationnel : les professionnels de la profession sont intrinsèquement choisis sur les propositions et l’expertise sur lesquelles ils fondent leur réputation. Ce schéma reste globalement vrai pour les cabinets à taille humaine, où le rapport de force crée un cercle vertueux d’évaluation et d’objectivation de la performance. Tout manquement ou faux pas est rapidement sanctionné.

Les cabinets de conseil d’ampleur ont fait bouger ces lignes : leur stratégie a consisté à déplacer la réputation sur la marque et l’industrialisation de leurs modes opératoires. Leur image vaut promesse et elle sanctuarise a priori la valeur de leurs missions. Cette réputation institutionnelle favorise une forme de déresponsabilisation : on choisit une marque de conseil parce qu’elle devient le principal marqueur de la réputation.

Développer le conseil de méthode

Derrière cette mécanique se jouent des pratiques qui façonnent le marché et des stratégies de croissance. Ces grands acteurs tendent en effet à réduire leur apport en conseil d’expertise pour développer du conseil de méthode. Cette approche a plusieurs avantages : elle limite l’engagement sur objectifs et permet de démultiplier des prestations à forte marge, portées par des consultants à faible séniorité et à faible expertise opérationnelle.

Une autre dérive, régulièrement dénoncée par des observateurs avisés du fonctionnement des organisations, est la survalorisation et la surexploitation de méthodes et de vocabulaires peu opérants, qui surfent sur des «tendances», et qui sont présentés avec force comme essentiels à la transformation des entreprises et des administrations. Or, ces pratiques faussent en réalité les critères pertinents d’une décision d’achat. L’innovation réelle est bien sûr indispensable à l’évolution des organisations, mais perdre de vue les enjeux concrets d’un besoin de conseil, en sacrifiant à une méthodologie grossièrement dupliquée, dont le principal mérite est d’être à la mode, s’avère néfaste.

L’approche industrielle du conseil que développent les grands acteurs peut, bien entendu, constituer une force de frappe bénéfique pour une organisation, mais elle génère aussi des dérives, sur lesquelles il importe d'être lucide. Comme souvent en France, on croit ou l’on feint de croire que c’est en imposant des règles que l’on va agir sur les dysfonctionnements. Dans le cas d’espèce, c’est plus prosaïquement par l’augmentation des compétences d’achat en interne et la qualité de la déontologie que l’on ramènera le conseil à sa juste place, mais aussi à son niveau d’efficience optimal.

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